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Assemblée de Corse : Les réactions politiques à l’interruption de séance et à la séquence des prisonniers


Nicole Mari le Vendredi 28 Octobre 2022 à 13:27

Aucun élu ne s’est exprimé publiquement dans la journée du 27 octobre après l’interruption brutale de la session de l’Assemblée de Corse par une délégation de onze associations de soutien aux prisonniers, de syndicats étudiants et d’associations nationalistes. Les réactions des groupes politiques ont commencé à tomber dans la soirée après l’adoption à l’unanimité d’une déclaration commune demandant au gouvernement de créer les conditions de la reprise du dialogue et de résoudre la question des prisonniers.



L'intrusion des collectifs de prisonniers et des syndicats étudiants dans l'hémicycle de l'Assemblée de Corse en début de session, jeudi matin 27 octobre 2022. Photo Michel Luccioni.
L'intrusion des collectifs de prisonniers et des syndicats étudiants dans l'hémicycle de l'Assemblée de Corse en début de session, jeudi matin 27 octobre 2022. Photo Michel Luccioni.

Gilles Simeoni : « Il appartient à l’État de reconstruire la confiance et de relancer le processus »

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
« L’épisode d’aujourd’hui est l’aboutissement inévitable d’une situation qui dure depuis sept ans. Nous sommes arrivés aux responsabilités en décembre 2015. Depuis sept ans, nous avons poussé la question des prisonniers qui n’a jamais connu de réponse. Nous sommes allés de promesses non tenues à des décisions de justice incompréhensibles qui reflètent une volonté de ne pas appliquer le droit. Cela crée forcément un sentiment de colère, d’injustice, d’exaspération et, donc, une tension », explique le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. De cette journée, Il ne veut retenir « qu’après un début un peu houleux, nous avons trouvé les chemins du dialogue. Nous avons aussi rappelé la nécessité de respecter l’institution parce que c’est l’institution de tous les Corses, cela a été admis et compris par nos interlocuteurs ». Sur le fond, il retient également que « l’Assemblée de Corse et le Conseil exécutif ont voté à l’unanimité une résolution qui a été rédigée par les élus. Ce n'est pas le texte qui a été remis par les associations, mais une résolution qui reprend les termes de la déclaration votée à l’unanimité le 7 octobre dernier par la délégation des élus de la Corse. Cette résolution réaffirme la demande de libération conditionnelle pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri et rappelle que dans l’histoire des discussions entre la Corse et l’État et, au-delà, dans l’histoire de la France et de toutes les régions du monde où il y a eu des logiques de conflit, on en est sorti en intégrant la question des prisonniers. Il faut donc en parler dans le processus, l’intégrer dans toutes ses dimensions ». S’il se réjouit du vote à l’unanimité de la résolution, il prévient qu’il faudra continuer à travailler « pour que la perspective ouverte par l’arrêt de la Cour de cassation permette d’arriver très vite à un régime de semi-liberté pour Pierre Alessandri d’abord, et ensuite pour Alain Ferrandi, mais aussi à la vérité et la justice pour Yvan Colonna. Et, plus globalement, à régler la question des prisonniers politiques avec le retour à la liberté, l’annulation des amendes et la question du Fijait. On ne peut pas traiter les nationalistes corses comme des islamistes radicaux ! Enfin il faut faire prévaloir une logique d’apaisement, notamment vis-à-vis des jeunes qui ont manifesté en mars dernier ». Gilles Simeoni redit la volonté unanime, exprimée dans la résolution, « de poursuivre le dialogue et le processus engagé avec Paris dans des conditions apaisées pour réussir à construire une solution politique ». La balle, estime-t-il, est dans le camp de l’Etat : « Aujourd’hui, il appartient à l’État de créer ces conditions à travers des actes forts, publics, qui permettent de reconstruire la confiance et de relancer le processus ».

Nanette Maupertuis : « La situation des prisonniers politiques est au cœur de nos priorités dans nos discussions avec le gouvernement »

Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.
Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.
Pour la présidente de l’Assemblée de Corse, les événements de jeudi « sont révélateurs du malaise profond qui règne dans la société corse vis à vis de la situation des prisonniers, au-delà de la souffrance légitime de leurs proches ». Elle rappelle que lorsque Gérald Darmanin est venu à l’Assemblée de Corse le 16 mars dernier, « les représentants des associations de défense des prisonniers politiques étaient présents et lui ont exposé les problématiques. Le ministre a assuré les avoir entendues, notamment vis à vis du FIJAIT et des amendes lourdes. Il s’était engagé, à minima, à se pencher sur la question et à trouver des premières solutions.
Huit mois après, et malgré les demandes répétées des élus de la Corse lors des rencontres à Paris, force est de constater que le compte n’y est pas ! Les appels répétés rejetant la libération d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sur le seul argument qu’ils représenteraient un risque de trouble à l’ordre public sont inaudibles et rajoutent au sentiment d’injustice qui est diffus en Corse. La Cour de Cassation, elle-même, les juge sans qualification. Si cette décision nous renvoie un signal positif, elle confirme la justesse du combat mené pour leur libération ». Si elle comprend l’intrusion des collectifs dans l’hémicycle ou du moins « ses motivations », elle la regrette. « Il me semble important que les principes démocratiques qui sont le sens de notre engagement politique soient appliqués en toute circonstance. Et cela avec d’autant plus de rigueur que nous demandons à l’Etat de les respecter à l’égard des résultats électoraux et des demandes légitimes des élus nationalistes depuis 2015 ». Et souligne que « la situation des prisonniers politiques est bien au cœur de nos priorités depuis le début de nos discussions avec le gouvernement. Ce combat est celui de notre famille politique depuis toujours ». Ceci posé, elle salue « l’état d’esprit constructif » dans lequel s’est déroulée la journée. « Si, dans un premier temps, les esprits ont pu s’échauffer sur la base d’un malentendu, le calme est très vite revenu. La conférence des Présidents a reçu, tout au long de la journée, les représentants des associations pour parvenir ensemble à une solution portée par les élus de l’Assemblée de Corse. Notre résolution a été votée à l’unanimité dans un climat d’entente générale avec l’engagement de se revoir dans les prochaines semaines ». Une résolution qui, précise-t-elle, « est fidèle aux différentes motions et délibérations prises à l’unanimité par l’Assemblée de Corse depuis juillet 2021. Elle demande des actes politiques forts et un échange, dès novembre, sur cette problématique. Nous nous mettons donc en situation de préparer la réunion demandée et nous gardons un état d’esprit constructif car nous savons que c’est seulement de cette manière que nous réussirons à obtenir des réponses claires qui iront dans le sens de l’histoire, c’est-à-dire la construction d’une Corse apaisée et résolument tournée vers l’avenir ». Et de conclure : « Le ministre a annoncé une discussion sans tabou, il serait incompréhensible qu’il se dédise ».

Jean-Batti Arena : « Il faut solder cette question du commando Érignac qui pèse sur la Corse et sur les négociations avec Paris »

Jean-Baptiste Arena. Photo Michel Luccioni.
Jean-Baptiste Arena. Photo Michel Luccioni.
Pour le conseiller territorial de Core in Fronte, l’important était déjà, dans un premier temps, que « les quatre groupes nationalistes puissent trouver un point de convergence et être unis sur cette question pour, d’un point de vue historique et stratégique, ne plus monter à Paris de manière désunie ». Dans un second temps, il était également « important de trouver un point d’équilibre avec le groupe de droite, U Soffiu Novu, malgré le fait qu’il soit traversé par deux courants divergents sur ce sujet, un conservateur et l’autre progressiste. Il est nécessaire de les associer à cette démarche, à la fois, pour la suite des événements judiciaires, en espérant que ces événements judiciaires seront favorables aux prisonniers, et pour la suite du processus. Je tiens à saluer le courage politique et intellectuel de leur président, Jean Martin Mondoloni. En accord avec les onze organisations syndicales et de soutien aux prisonniers, nous avons, donc, pu trouver ce point d’équilibre. Il faut solder à court terme cette question du commando Érignac qui pèse à la fois sur la Corse et les Corses, mais aussi sur les négociations avec Paris depuis maintenant 25 ans. Il faut sortir du conflit par le haut ». Jean-Batti Arena dédramatise l’intrusion dans l’hémicycle : « Il y a eu, dans un passé récent, d’autres intrusions dans l’hémicycle qui n’ont pas suscité autant de publicité. C’est compréhensible de la part des familles et de certains militants qui sont chauffés à blanc depuis plus de cinq ans par le refus de l’Etat d’appliquer le droit. Ils sont excédés par ce mépris et ce déni de justice, une justice qu’on accorde à d’autres en France et qu’on nous refuse à nous, qu’on accorde à des criminels, à des Islamistes et même à des meurtriers d’enfants et que l’on refuse aux Corses. Nous avons une pensée pour les familles de Pierre Alessandri, d’Alain Ferrandi et d’Yvan Colonna ». L’élu indépendantiste tient à soulever le cas particulier de Sébastien Mattei « qui n’est pas un prisonnier politique, mais qui nous a fourni la quasi-totalité des informations concernant l’assassinat d’Yvan Colonna. Il est depuis, pour sa protection, confiné dans un quartier disciplinaire et risque sa vie à tout moment dans cette prison d’Arles parce que sa tête est mise a pris par les Islamistes et que la pénitentiaire fait la sourde oreille. Sous prétexte de vouloir le protéger, il ne peut plus recevoir les visites normales de sa famille, il n’a pas les mêmes droits que les autres détenus. Ce n’est pas normal qu’aujourd’hui un détenu corse soit en danger de mort dans les prisons françaises pour la simple raison qu’il est Corse et qu’il était proche de Yvan Colonna. C’est quand même fou qu’en France, on enferme une personne menacée de mort pour la protéger, et pas les gens qui pourraient nuire à son intégrité physique ! Il faut que l’on se pense sur son cas rapidement, alerter le Garde des Sceaux, et demander que d’autres détenus corses soient rapprochés de lui pour qu’il ne soit plus isolé et en danger. On ne peut pas l’oublier, lui et sa famille. On ne peut accepter un second drame ! ».

Jean-Christophe Angelini : « Il faut associer étroitement le sort des prisonniers politiques à la poursuite des discussions avec Paris »

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Si pour le président du groupe PNC-Avanzemu, « les conditions d’arrivée de la délégation dans l’Assemblée de Corse peuvent interroger, c’est très loin d’être l’essentiel. Les interrogations et les demandes sont légitimes, et l’on peut comprendre que, depuis quelques temps, elles suscitent une exaspération ». Il salue néanmoins « des avancées des dernières heures avec l’arrêt de la Cour de cassation concernant Pedru Alessandri, mais également la semi-liberté accordée à un autre militant, Tito Albertini, qui n’a pas été frappée d’appel. Ce militant, qui est incarcéré à Borgu, sort la semaine prochaine. Ces deux décisions sont incontestablement positives, mais peut-être fallait-il être plus clair et plus direct autour d’un principe simple, celui qui consiste à associer étroitement le sort des prisonniers politiques à la poursuite et l’avenir des discussions engagées avec Paris ». Jean Christophe Angelini se félicite que la déclaration finale ait été adoptée à l’unanimité : « Je pense à celles et ceux qui sont directement touchés au plan familial, amical ou affectif, par ces évolutions et qui attendent, comme nous, que ces prisonniers soient libérés dans les meilleurs délais. Nous demandons dans la résolution que les rencontres avec l’Etat associent les structures de défense des prisonniers politiques. Nous avons également demandé des actes forts dans des dans les meilleurs délais et nous continuons de réclamer une expression politique au plus haut niveau de l’État et du gouvernement avec cette précision dans le temps d’une intervention possible dès le mois de novembre ». Le leader autonomiste précise que le prochain rendez-vous dans le processus de discussion était à priori programmé en novembre ou décembre, « même si le temps nous est compté, nous gardons collectivement un créneau pour reprendre le processus de dialogue dans les meilleures conditions ».

U Soffiu Novu condamne l’intrusion dans l’hémicycle et réaffirme l’application du droit pour les prisonniers

Dès la reprise des travaux de l’Assemblée de Corse, le groupe d’opposition de droite U Soffiu Novu a réagi par communiqué : « Les élus du groupe « U Soffiu Novu, un Nouveau Souffle pour la Corse » condamnent l’intrusion dans l’hémicycle des représentants d’associations des prisonniers ce matin. Si nous pouvons comprendre et partageons une partie des motivations, il n’est pas acceptable d’interrompre des travaux de l’Assemblée de Corse et d’en bousculer l’ordre du jour. Sur le fond, notre groupe réaffirme sa position en faveur d’une issue conforme au droit concernant Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. C’est pourquoi, en responsabilité, nous avons contribué à la rédaction de la résolution finalement adoptée. Pour autant, nous renouvelons notre volonté de voir se poursuivre le processus de discussion engagé afin d’y évoquer cette question sensible ainsi que tous les sujets fondateurs de l’avenir de la Corse ».

Jean-Jacques Panunzi : « L’intrusion dans l’hémicycle est une atteinte à la démocratie »

Jean-Jacques Panunzi.
Jean-Jacques Panunzi.
Le sénateur LR de Corse-du-Sud a réagi dans un communiqué en « condamnant fermement les évènements survenus à la Collectivité de Corse à l’initiative des associations de prisonniers. L’intrusion dans l’hémicycle territorial en pleine session, contraignant les élus de la Corse à suspendre leurs travaux, constitue une atteinte à la démocratie et témoigne d’un irrespect manifeste envers les institutions de la Corse ». Sur le fond du texte adopté jeudi soir à l’unanimité, il « regrette les ajouts apportés à la résolution que nous avions approuvée le 7 octobre dernier. Je m’en tiens pour ma part à la version initiale et rappelle à toutes fins utiles que le pouvoir politique n’a pas la main sur le pouvoir judiciaire en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Par cette résolution du 7 octobre, nous avions pris une position publique dans une logique d’apaisement pour les situations singulières de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Force est de constater que cette démarche n’a pas été reconnue par les associations qui ont fait le choix du recours à la force, interrompant la séance publique et cherchant à dicter les termes d’une motion nouvelle qui va au-delà des deux cas précités ». Pour Jean-Jacques Panunzi, « ces opérations d’intimidation n’ont pas leur place dans l’espace institutionnel où les élus de la Corse doivent pouvoir se concentrer sur les dossiers qui intéressent le quotidien des administrés. C’est la deuxième fois consécutive qu’on se trouve dans cette situation, mettant la Corse à l’arrêt lorsqu’il faudrait à l’inverse redoubler d’efforts pour créer les conditions d’un avenir meilleur aux jeunes générations ».
 
Propos recueillis par Nicole MARI.