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Après les résultats des législatives, un nécessaire "aggiornamento" du nationalisme en Corse ?


le Mardi 9 Juillet 2024 à 10:00

Au lendemain des élections législatives, ce qui s'apparentait au pire pour la famille nationaliste a été évité : l'élection d'un député Rassemblement national en Corse. Mais la présence de plusieurs candidats RN au second tour semble avoir provoqué une prise de conscience au sein des différentes mouvances nationalistes, qui se disent prêtes à se remettre autour d'une table dès cet été, pour évoquer les conditions d'un hypothétique rapprochement, pensé tel "un aggiornamento" du nationalisme corse destiné à contrer "la menace" RN.



La victoire de Pè a Corsica aux territoriales de 2017. © Pascal Pochard-Casabianca/AFP
La victoire de Pè a Corsica aux territoriales de 2017. © Pascal Pochard-Casabianca/AFP
« Poser la question de l’aggiornamento du mouvement nationaliste ». C’est en ces termes que Pascal Zagnoli, secrétaire général du PNC, s’était exprimé, au lendemain du 1er tour des élections législatives, devant les caméras de Via Stella. La qualification du Rassemblement national pour le deuxième tour dans les quatre circonscriptions corses venait de sonner comme un avertissement pour les leaders nationalistes insulaires. Passé la surprise de ce séisme, venait l’heure de la prise de conscience. Le vote RN en Corse n’est pas une nouveauté, mais il s’exprimait essentiellement dans des scrutins à enjeu national. Sur les questions proprement insulaires, le jacobinisme affiché par le parti de Marine Le Pen agissait jusqu’alors comme un repoussoir. 

Pas le 30 juin. Ce soir-là, pour la première fois dans l’île, les électeurs ont envoyé le message qu’ils étaient prêts à se faire représenter à Paris par un député issu des rangs du Rassemblement national. Soit le pire des scénarios pour les quatre mouvements politiques nationalistes représentés à l’Assemblée de Corse (1). La mobilisation qui s’en est suivie en Corse au sein du paysage nationaliste et progressiste a permis de l’éviter, mais qu’en sera-t-il demain ? Face à ce qu’ils vivent comme une menace pour les idéaux qu’ils portent, les différents dirigeants nationalistes n’écartent pas aujourd’hui la perspective de se rapprocher, en dépit des divergences de fond ou des querelles de personnes qui ont creusé leurs divisions depuis les élections territoriales de 2021

"Il y aura des désaccords à purger"

Des événements sur lesquels Pascal Zagnoli ne souhaite pas revenir publiquement : « Les Corses ont bien compris ce qui s’était passé en 2021, l’heure n’est plus à parler de ça. Aujourd’hui, nous plaidons pour que la famille nationaliste se reparle », envisage le secrétaire général du Partitu di a Nazione Corsa. Se reparler, c’est aussi faire table rase des désaccords passés, convient François Martinetti, secrétaire national de Femu a Corsica : « Oui, il y aura probablement des désaccords à purger. La rupture s’est faite sur le fond comme sur la forme. On devra revenir dessus. Ce résultat (du RN en Corse) nous oblige à revoir nos stratégies. » Au micro de RCFM ce lundi matin, Gilles Simeoni résumait ainsi les enjeux : « Il faudra parler du passé, mais il faudra surtout tirer les leçons du présent et préparer l’avenir avec l’ensemble des nationalistes. » Y compris avec Jean-Christophe Angelini, avec lequel les relations se sont avérées glaciales pendant ces trois ans. Et ni le président de la Collectivité de Corse, ni le maire de Porto-Vecchio n’ont cherché à les réchauffer.

"Les problèmes d'égo doivent cesser"

Pour l’heure, la perspective d’une table ronde entre les représentants des différents partis semble faire consensus, « même si ça peut se faire à distance aussi », sourit-Paul-Félix Benedetti, le chef de file de Core in Fronte. « On lancera l’initiative ces prochains jours, on se doit de se rencontrer a minima avant septembre », annonce François Martinetti. Le moment venu, Paul-Félix Benedetti se dit « déterminé à affirmer une ligne politique rigoureuse et empreinte d’humanité ». Mais, prévient-il, « les conflits subalternes, les querelles de personnes et les problèmes d’égo doivent cesser. » François Martinetti fait acte de bonne volonté : « Aujourd’hui, il y a un passif, mais les désaccords politiques peuvent se régler malgré les inimitiés. » 

Au-delà de la mouvance nationaliste, le porte-parole de Femu n’écarte pas d’élargir la concertation « aux forces progressistes ». En disant cela, il pense « à la gauche, à Jean-Charles Orsucci, à Laurent Marcangeli » qui au soir du 1er tour, ont uni leurs forces pour faire barrage au RN. Le leader du PNC Jean-Christophe Angelini avait montré cette voie-là courant mai, durant la campagne pour les européennes, s’affichant comme la seule voix nationaliste en soutien à Jean-Charles Orsucci (le maire de Bonifacio concourait sur la liste Renaissance conduite par Valérie Hayer). 

Laurent Marcangeli, lui, a beaucoup oeuvré en tant que député (Horizons) pour faire avancer le processus d’autonomie de la Corse, ce qui n’a pas laissé certains nationalistes indifférents. Ce processus de Beauvau est d’ailleurs la preuve que sur le fond - et sur l’essence même de leur vision pour la Corse -, la mouvance nationaliste peut tomber d’accord sur un consensus. En effet, ce processus, Femu, le PNC et Core in Fronte le soutiennent. De quoi venir cimenter les bases d’une future union ? « Si tant est que le processus continue, s’en inquiète Paul-Félix Benedetti. Car dans le chaos où se trouve aujourd’hui la politique nationale française, je doute que ce soit leur priorité. »

"Ligne rouge"

Et dans la grande famille des nationalistes en Corse, est apparu le parti Nazione en début d’année. Il est la fusion des indépendantistes de Corsica Libera et du collectif Patriotti. Par la voix de Josepha Giacometti-Piredda, sa seule élue à l’Assemblée de Corse, Corsica Libera avait été le seul parti nationaliste à voter contre le processus de Beauvau. Aujourd’hui, sur le principe, Nazione se dit ouvert aux discussions dans l’optique d’un rapprochement entre nationalistes : « Nous apporterons nos propositions, comme inscrire à l’ONU la Corse sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser, ou en portant un projet de refonte du corps électoral en Corse », souligne Petru Antone Tomasi, le porte-parole de Nazione. Mais dans les faits, demeure un obstacle de taille, « une ligne rouge » même, qui a déjà été franchie : le processus de Beauvau : « Nous avons la conviction profonde que les bases de cet accord sont néfastes pour l’avenir de la Corse, alors s’il devait se poursuivre, cela se ferait sans nous, c’est une certitude. »

1. Femu a Corsica, PNC-Avanzemu, Core in Fronte et Nazione.