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Antonia Luciani : « Il est urgent de rétablir l'équité entre petits commerces et grande distribution »


Nicole Mari le Samedi 2 Janvier 2021 à 17:06

Si la crise sanitaire liée au COVID et les deux confinements, qui en ont résulté, ont été du pain béni pour la grande distribution et la vente en ligne, ils ont été un véritable chemin de croix pour le petit commerce de centre-ville qui a du baisser rideau. La Fondation Coppieters, qui a fait de la défense du commerce de proximité son cheval de bataille, a organisé, en 2019 et 2020, une exposition et des débats pour alerter sur le sujet. Elle a décidé de mettre en ligne une vidéo présentant ce travail réalisé sur les zones commerciales par des artistes et des professionnels de l'aménagement. Explications pour Corse Net Infos d’Antonia Luciani, Secrétaire générale de la Fondation Coppieters.



Antonia Luciani, Secrétaire générale de la Fondation Coppieters.
Antonia Luciani, Secrétaire générale de la Fondation Coppieters.
- Pourquoi avoir mis en ligne la vidéo de l’exposition ?
-  Cette exposition sur les zones commerciales présente le travail réalisé avec le concours d'artistes et de professionnels de l'aménagement. Après une présentation au musée de Bastia en novembre 2019 et au siège de l'ordre des architectes à Aiacciu en février 2020, elle aurait eu vocation à tourner en Corse, mais pour des raisons sanitaires, cela n'a pas été possible. D'où l'idée de rendre public ce travail à travers une vidéo, sorte d'exposition virtuelle, en attendant de pouvoir reprendre les débats et échanges que nous avions prévus. De plus, la situation de confinement, que nous avons vécu, rend la problématique de l'expansion de la grande distribution face à la fermeture des petits commerces encore plus prégnante. La fermeture des commerces dits non essentiels a été vécue, à juste titre, comme une injustice et a été le révélateur de nombreuses inégalités préexistantes au confinement entre la grande distribution et les commerces de centre ville. Cette vidéo vient, aussi, nourrir le débat actuel sur la problématique du commerce confronté également à l'explosion des ventes en ligne.

Vous dénoncez une injustice. Pourquoi ciblez-vous surtout le second confinement ?
- Ce deuxième confinement a été particulièrement injuste pour les commerces dits "non essentiels". D'abord, parce que la grande majorité d'entre eux ont respecté les mesures sanitaires et se sont adaptés à la crise pour pouvoir continuer à rester ouverts. Ensuite, parce qu’au début du confinement, le gouvernement avait laissé les grandes surfaces ouvertes dans leur totalité. Il a fallu que les commerçants, une partie de la classe politique et les citoyens se mobilisent pour que le gouvernement décide de fermer les rayons non essentiels des supers et hypermarchés pour rétablir l'équité avec le petit commerce. Ceci n'était clairement pas une bonne solution ! Cela a fait partie de ces mesures très largement incomprises, notamment pour les librairies. Il est urgent de rétablir l'équité entre petits commerces et grande distribution 
 
- Vous parlez d’un « révélateur ». Qu’est-ce que la crise sanitaire a vraiment révélé ?
- Pour moi, cet épisode a mis en évidence un phénomène que je dénonce depuis plusieurs années, à savoir des inégalités flagrantes entre petits commerces et grandes surfaces. La France a toujours favorisé l'implantation des zones commerciales en périphérie des villes, et particulièrement depuis 2008 avec la loi de Modernisation de l'Économie de Nicolas Sarkozy. La France a fait le choix de l'hypermarché en périphérie, et nous en payons aujourd'hui le prix fort : centre villes dévitalisés, fermeture de nombreux commerces de proximité, consommation foncière et étalement urbain, fort impact environnemental, augmentation des embouteillages... Pour en arriver aujourd'hui à ce qu'un moratoire sur les zones commerciales soit évoqué par la Ministre de l'Écologie en lien avec les recommandations de la convention citoyenne pour le climat.  
 
- Quelle est la situation en Corse ?
- Les cartes réalisées dans le cadre de l'exposition montrent que la Corse, aujourd'hui, compte une moyenne de 600 m2 de zones commerciales pour 1000 habitants, contre environ 350 m2 sur le continent. La Corse, qui avait été relativement préservée, a connu une accélération ces dix dernières années, notamment en périphérie ajaccienne, ce qui fait que nous sommes en état de suréquipement commercial. Là où nous aurions pu faire le choix de préserver nos commerces de centre ville, de quartiers ou de villages, les super et hypermarchés avec leurs galeries marchandes attenantes sont venus peu à peu remplacer les centres villes. 
 
- Peut-on lutter contre cette évolution ?
- Oui ! Des pays, comme l'Allemagne ou l'Italie, ont fait des choix complètement différents et ont encore aujourd'hui un tissu de commerces de proximité très important. Ce qui montre bien que l'hypermarché à la française n'est pas une fatalité et que la Corse aurait pu s'en préserver. La comparaison avec la Sardaigne est éloquente. Cette île voisine ne compte que 20 hypermarchés pour 1,6 million d’habitants, alors que la Corse en a 14 pour à peine 300 000 habitants ! Sachant que les deux îles ont des dynamiques touristiques très importantes, le tourisme ne peut pas expliquer l'énorme différence entre les deux îles. Il s'agit donc, selon moi, de choix de développement, et non d'une fatalité.
 
- Que préconisez-vous ?
- Pour la Corse, il faut, d’abord, que les mesures gouvernementales d'accompagnement et de soutien soient à la hauteur des besoins des petits commerces en zones urbaines comme pour le rural. Dans un premier temps, il faut des mesures d'urgence pour éviter les faillites, mais sur le long terme, il faudra que le gouvernement soit attentif à notre statut d'île montagne et aux mesures fiscales nécessaires à l'ensemble de nos TPE (Très petites entreprises). Enfin, il faut que la Corse tourne définitivement le dos à ce modèle de zones commerciales périphériques et redonne toutes ses chances aux centres villes et aux cœurs de villages. 
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

La vidéo de l'exposition in lingua corsa