André Fazi est politologue et maître de conférences en science politique à l'Université de Corse.
À bientôt un mois des élections toutes les démarches et les têtes de listes ont été présentées. Que peut-on en dire ?
- L’offre politique de 2017 était exceptionnelle par son étroitesse, avec seulement sept listes au premier tour, par la présence d’un grand favori nationaliste et par l’absence de partis de gauche modérés. L’absence de la gauche modérée, très longtemps dominante en Haute-Corse, se répète cette année, mais les difficultés des nationalistes et la liste unique de la droite menée par le maire d’Ajaccio rendent la compétition bien plus ouverte. Désormais, on attend surtout des lignes plus claires en termes programmatiques.
- Il faut aussi noter l’absence des grands partis français comme le Parti socialiste, Les Républicains ou encore le parti présidentiel En Marche. Comment l’expliquer ?
- Historiquement, il était essentiel aux grands élus corses d’adhérer à des partis nationaux, parce que cela conditionnait leur relation à l’État et les aidait dans leur quête de ressources à redistribuer. La décentralisation et la régionalisation ont bouleversé cette logique. Depuis les années 1980, on assiste à un processus de territorialisation du politique, qui s’est accéléré depuis les années 2000. En 1998, on voyait encore les leaders de droite se déchirer pour obtenir l’investiture du RPR. Aujourd’hui, les leaders corses refusent les investitures nationales, parce qu’ils jugent cela défavorable à l’image d’ouverture et d’autonomie qu’ils veulent donner.
- Le mot qui revient souvent est « l’ouverture », avec des élus traditionnellement à gauche qui rejoignent la liste de droite de Laurent Marcangeli, et d’autres qui seront aux côtés des différents candidats nationalistes. Que peut-on en dire ?
- Les changements de parti ne sont pas quelque chose d’innovant. Dans l’Italie de la fin du XIXe siècle, on a appelé ça transformisme. Cela dit, il y a un siècle, changer d’appartenance partisane était souvent assimilé à une pure trahison, moralement difficile à assumer. Aujourd’hui, on cherche logiquement à vouloir élargir le spectre de ses soutiens, mais ça reste quelque chose de plus facile à faire qu’à réussir. Le calcul n’est pas toujours gagnant, loin de là.
- Le clivage gauche-droite est-il dépassé comme sur le continent ?
- Il y a toujours des conceptions différentes de l’égalité politique, et donc – du point de vue socio-économique – des idées de gauche et des idées de droite. La différence se trouve dans la faible capacité des acteurs à les incarner efficacement, dans les changements du monde du travail, et dans l’irruption de nouvelles questions structurantes, notamment liées à l’identité. En Corse, d’un côté les grandes idéologies avaient un impact assez faible sur la plupart des électeurs. D’un autre côté, les questions identitaires sont très saillantes depuis les années 1970. En d’autres termes, le clivage gauche/droite n’est pas dépassé mais il ne structure pas à lui seul la vie politique.
- N’y a-t-il pas un risque de confusion pour les électeurs ?
- Oui. Plus les offres politiques sont différenciées, plus l’électeur a l’impression de faire un choix fondé sur des idées, ce qui a même un côté valorisant pour lui. Mais si la différenciation est faible, on a logiquement plus tendance à se décider en fonction de l’appréciation du leader et des sollicitations de l’entourage.
- Avec l’abandon de la démarche Pè a Corsica, ce ne sont plus deux listes nationalistes candidates mais quatre : Femu, Corsica Libera, Core in Fronte et Avanzemu. Peut-on parler de fragmentation du nationalisme politique Corse ?
- Depuis 1982, une seule élection a connu une démarche nationaliste unique, en 1986. En 1998 et 1999 il y a eu six et cinq listes nationalistes. En somme, la division est la règle. Le contexte est nouveau, puisque les nationalistes forment la majorité sortante, mais on ne peut pas parler de surprise au regard des tensions internes révélées depuis 2017. Dorénavant, la question est celle du second tour, avec l’enjeu de la prime majoritaire qui semble imposer la recherche d’un nouveau pacte. En politique, il y a toujours des dissensions, mais il n’y a pas de réussite possible sans capacité à les gérer et à les dépasser.
- Et d’une naissance d’un écosystème politique nationaliste avec une gauche, un centre, une droite et des extrêmes ?
- Je n’y crois pas à court terme. Il a toujours existé des organisations nationalistes orientées à gauche, et on a récemment vu apparaître des groupes reprenant les thèmes de la droite radicale. Toutefois, les principales organisations préfèrent conserver une certaine modération, d’autant plus compréhensible que l’actuelle collectivité de Corse n’a pas de compétences législatives et fiscales, et donc pas les moyens d’opérer des choix très tranchés en termes socioéconomiques.
- Quels sont les enjeux de cette campagne pour le futur de la politique en Corse ?
- Si les nationalistes conservent le pouvoir, la question institutionnelle restera assurément centrale. Cela dit, nul ne saurait s’y limiter car les attentes sont extrêmement fortes sur de nombreux sujets, bien au-delà de celui des déchets. Globalement, je dirais que la grande question est celle de la capacité à dessiner une perspective différente pour la société corse. L’actuel modèle économique produit de la croissance mais aussi beaucoup d’atteintes à l’environnement et aux paysages, beaucoup d’inégalités et même de la pauvreté. En construire un autre n’en apparaît pas moins comme un énorme défi.
- L’offre politique de 2017 était exceptionnelle par son étroitesse, avec seulement sept listes au premier tour, par la présence d’un grand favori nationaliste et par l’absence de partis de gauche modérés. L’absence de la gauche modérée, très longtemps dominante en Haute-Corse, se répète cette année, mais les difficultés des nationalistes et la liste unique de la droite menée par le maire d’Ajaccio rendent la compétition bien plus ouverte. Désormais, on attend surtout des lignes plus claires en termes programmatiques.
- Il faut aussi noter l’absence des grands partis français comme le Parti socialiste, Les Républicains ou encore le parti présidentiel En Marche. Comment l’expliquer ?
- Historiquement, il était essentiel aux grands élus corses d’adhérer à des partis nationaux, parce que cela conditionnait leur relation à l’État et les aidait dans leur quête de ressources à redistribuer. La décentralisation et la régionalisation ont bouleversé cette logique. Depuis les années 1980, on assiste à un processus de territorialisation du politique, qui s’est accéléré depuis les années 2000. En 1998, on voyait encore les leaders de droite se déchirer pour obtenir l’investiture du RPR. Aujourd’hui, les leaders corses refusent les investitures nationales, parce qu’ils jugent cela défavorable à l’image d’ouverture et d’autonomie qu’ils veulent donner.
- Le mot qui revient souvent est « l’ouverture », avec des élus traditionnellement à gauche qui rejoignent la liste de droite de Laurent Marcangeli, et d’autres qui seront aux côtés des différents candidats nationalistes. Que peut-on en dire ?
- Les changements de parti ne sont pas quelque chose d’innovant. Dans l’Italie de la fin du XIXe siècle, on a appelé ça transformisme. Cela dit, il y a un siècle, changer d’appartenance partisane était souvent assimilé à une pure trahison, moralement difficile à assumer. Aujourd’hui, on cherche logiquement à vouloir élargir le spectre de ses soutiens, mais ça reste quelque chose de plus facile à faire qu’à réussir. Le calcul n’est pas toujours gagnant, loin de là.
- Le clivage gauche-droite est-il dépassé comme sur le continent ?
- Il y a toujours des conceptions différentes de l’égalité politique, et donc – du point de vue socio-économique – des idées de gauche et des idées de droite. La différence se trouve dans la faible capacité des acteurs à les incarner efficacement, dans les changements du monde du travail, et dans l’irruption de nouvelles questions structurantes, notamment liées à l’identité. En Corse, d’un côté les grandes idéologies avaient un impact assez faible sur la plupart des électeurs. D’un autre côté, les questions identitaires sont très saillantes depuis les années 1970. En d’autres termes, le clivage gauche/droite n’est pas dépassé mais il ne structure pas à lui seul la vie politique.
- N’y a-t-il pas un risque de confusion pour les électeurs ?
- Oui. Plus les offres politiques sont différenciées, plus l’électeur a l’impression de faire un choix fondé sur des idées, ce qui a même un côté valorisant pour lui. Mais si la différenciation est faible, on a logiquement plus tendance à se décider en fonction de l’appréciation du leader et des sollicitations de l’entourage.
- Avec l’abandon de la démarche Pè a Corsica, ce ne sont plus deux listes nationalistes candidates mais quatre : Femu, Corsica Libera, Core in Fronte et Avanzemu. Peut-on parler de fragmentation du nationalisme politique Corse ?
- Depuis 1982, une seule élection a connu une démarche nationaliste unique, en 1986. En 1998 et 1999 il y a eu six et cinq listes nationalistes. En somme, la division est la règle. Le contexte est nouveau, puisque les nationalistes forment la majorité sortante, mais on ne peut pas parler de surprise au regard des tensions internes révélées depuis 2017. Dorénavant, la question est celle du second tour, avec l’enjeu de la prime majoritaire qui semble imposer la recherche d’un nouveau pacte. En politique, il y a toujours des dissensions, mais il n’y a pas de réussite possible sans capacité à les gérer et à les dépasser.
- Et d’une naissance d’un écosystème politique nationaliste avec une gauche, un centre, une droite et des extrêmes ?
- Je n’y crois pas à court terme. Il a toujours existé des organisations nationalistes orientées à gauche, et on a récemment vu apparaître des groupes reprenant les thèmes de la droite radicale. Toutefois, les principales organisations préfèrent conserver une certaine modération, d’autant plus compréhensible que l’actuelle collectivité de Corse n’a pas de compétences législatives et fiscales, et donc pas les moyens d’opérer des choix très tranchés en termes socioéconomiques.
- Quels sont les enjeux de cette campagne pour le futur de la politique en Corse ?
- Si les nationalistes conservent le pouvoir, la question institutionnelle restera assurément centrale. Cela dit, nul ne saurait s’y limiter car les attentes sont extrêmement fortes sur de nombreux sujets, bien au-delà de celui des déchets. Globalement, je dirais que la grande question est celle de la capacité à dessiner une perspective différente pour la société corse. L’actuel modèle économique produit de la croissance mais aussi beaucoup d’atteintes à l’environnement et aux paysages, beaucoup d’inégalités et même de la pauvreté. En construire un autre n’en apparaît pas moins comme un énorme défi.