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Ambassadeur de gastronomie française à l’international, l'ancien chef des cuisines de l'Élysée "roule" pour u vitelettu corsu


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Mercredi 31 Mai 2023 à 12:09

Mardi 30 mai, Guillaume Gomez, ancien chef des cuisines de l’Élysée et représentant personnel du Président de la République pour la gastronomie, et Romain Lebœuf, meilleur ouvrier de France 2015 dans sa spécialité de boucher, ont été reçus par les Chambres d’Agriculture de Corse et l’ODARC : au programme, le Vitellettu ! Ce veau corse d’une exceptionnelle qualité gustative méritait bien ce joli coup de chapeau. D’autant que l’enjeu, pour la structuration de la filière bovine corse, est de taille…



Guillaume Gomez, ancien chef des cuisines de l’Élysée était en visite à la chambre de l'agriculture de Vescovato ce mardi 30 mai
Guillaume Gomez, ancien chef des cuisines de l’Élysée était en visite à la chambre de l'agriculture de Vescovato ce mardi 30 mai
« Je connais bien la Corse, explique Guillaume Gomez. J’étais à Art’è Gustà à Bunifaziu il y a un mois. Je suis venu plusieurs fois au festival gastronomique Un Piatt’in Più… On aime les produits corses, les vins, les clémentines… Quand Joseph Colombani m’a proposé de faire une séquence spéciale sur la viande, j’ai accepté avec plaisir. Je lui ai proposé de venir avec Romain Lebœuf, meilleur ouvrier de France, pour que ce dernier puisse également donner un avis : les choses qu’il faudrait peut-être modifier, les axes à retenir, la façon de trouver les meilleurs débouchés… ».

L’homme dont la mission est, aujourd’hui, de faire rayonner la gastronomie de France à l’international, est heureux d’aller ainsi à la rencontre de nouveaux acteurs. Le programme concocté par les organisateurs dessine un parcours qui mène de la Casa di l’Agricultura di Vescovatu au fameux hôtel Les Mouettes d’Aiacciu, en passant par l’exploitation cortenaise de Jean-André Flori avec la visite des estives, et par un atelier de découpe à Cavru où Romain Lebœuf a pu exprimer son talent et apporter son avis d’expert sur le Vitellettu.
Tout cela, afin de permettre à ces deux invités de découvrir ce produit d’exception dans toute sa complexité : de l’élevage du veau en montagne… à l’assiette. Un circuit qu’ils ont parcouru au côté du sous-préfet de Corte Yves Bossuyt, de Jean-Marc Venturi de la Chambre Régionale d’Agriculture, de la Directrice de la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse Hélène Beretti, et de plusieurs élus et techniciens de la Chambre. Avec eux également, des éleveurs prêts à apporter toutes les précisions nécessaires…

A moresca, la race bovine corse…
« La totalité de mon troupeau de quinze bêtes est de race corse », explique Romain Rinieri, éleveur à San Petru di Venacu depuis 2018. C’est cette race que l’on désigne sous le nom de razza vaccina corsa, également appelée “moresca”, puisque ses origines génétiques la rapprochent des vaches de l’Atlas. « Nous cherchons à la développer parce que ces vaches sont vraiment adaptées au terrain. On est en zone de montagne : n’importe quelle vache ne pourrait pas y vivre. A l’heure actuelle, mes vaches sont à l’estive. Elles y sont en autonomie : il faut qu’elles y trouvent elles-mêmes leurs ressources : l’eau, l’alimentation, les abris naturels. Le terrain est difficile… Des vaches non adaptées ne pourraient pas ».

Dans un contexte où l’élevage bovin, en Corse, est en crise – il ne reste plus que 40 000 vaches et 940 producteurs – ces vaches, dont l’élevage en Corse est traditionnel, sont devenues minoritaires. Sur un troupeau d’une soixantaine de bêtes au total, Jean-André Flori n’en possède que quinze, isolées dans un parc spécifique de soixante hectares. C’est tout dire…

Une désaffection imméritée
Pourquoi une telle désaffection alors que l’espèce est si bien adaptée au milieu et que, dans un contexte de changement climatique, c’est un atout considérable ? « Parce que les bouchers corses n’en veulent pas ! », explique l’éleveur. Les bêtes sont de petite taille – d’où l’appellation de Vitellettu : les veaux, tués entre quatre et sept mois, pèsent en effet de l’ordre de 60 à 75 kg. Sur le continent, explique Romain Lebœuf, on tourne plutôt à 100 kg. La taille des escalopes et autres rôtis est en proportion… Et pourtant ! Rien de comparable ! Les veaux corses ont été nourris au lait de leur mère – un lait aux saveurs spécifiques, puisque « la mère a valorisé le parcours », précise Sulimea Benedetti, en charge de la mission race corse à la Chambre. Autrement dit, la mère a mangé du maquis, un maquis auquel les petits veaux ont également goûté. Enfin, ils n’ont pas reçu le moindre aliment complémentaire – contrairement aux veaux continentaux. Ce menu de choix donne à la viande « un goût typique, plus savoureux… ».

 

U vitellettu
U vitellettu
Conquérir le marché parisien ?
Alors, si le consommateur corse boude le Vitellettu, pourquoi ne pas le vendre ailleurs ? Romain Lebœuf en est convaincu, le produit correspondrait très bien au marché parisien, qui privilégie la qualité sur la quantité : « On peut faire beaucoup de choses avec les vaches rustiques. Elles sont acclimatées à l’altitude, à l’herbage… Il ne faut rien changer. En termes de goût, le veau qui accompagne sa mère en liberté, c’est top ! La viande est rouge, elle change de texture, mais elle a plus de goût ! En goût, on est gagnant. » Quant à ce qu’on perd (un peu…) sur la texture, l’art de celui qui découpe permet de le rattraper, en évitant les morceaux trop fins, en privilégiant par exemple les pièces à braiser… « C’est le savoir-faire du boucher de s’adapter à sa carcasse ! La découpe est au service d’une qualité de viande ! En travaillant la viande, je pourrais vous dire les petits axes à travailler… », ajoute-t-il, prêt à livrer quelques ficelles du métier…

Une ambition : créer une AOP Vitellettu
Développer cette race ? Si l’on trouve des débouchés, les éleveurs sont prêts à se lancer et à « reconstruire ce produit unique en France », souligne Jean-Pierre Ottaviani, Chef du pôle Productions animales. Pour cela, l’ambition est de créer un signe de qualité : une AOP. Gage de qualité, l’AOP justifierait un prix permettant de couvrir les coûts réels – qui sont d’autant plus élevés que le poids unitaire des animaux est faible.

L’enjeu : la survie de l’élevage bovin en Corse
Ce travail s’inscrit dans le projet global de structuration de la filière bovine corse, initié en 2013 lors des Assises de l’Élevage de Corti, avec un double objectif : permettre à la fois aux éleveurs de vivre de leur production et aux Corses de trouver de quoi se nourrir sur l’île – les difficultés d’approvisionnement pendant le COVID ont assez montré la pertinence d’une stratégie d’autonomie alimentaire.
La filière serait structurée en trois produits permettant de couvrir des segments de marché complémentaires : le Vitellettu, un produit haut-de-gamme bénéficiant d’une AOP ; le Vitellu, un veau de race croisée élevé sous la mère, qui bénéficierait, lui, d’une IGP ; enfin, le Manzettu, un jeune bovin engraissé en atelier, dans un cadre coopératif – atelier couplé avec une structure de méthanisation qui permettrait de retraiter les effluents – et qui, tout en restant de qualité, serait destiné à une clientèle moins fortunée.

Le projet IGP a été lancé officiellement fin avril, à Bunifaziu, dans le cadre du salon Art’è Guste. Obtenir une AOP, en revanche, est un travail de longue haleine qui peut prendre de cinq à dix ans ! Or, il y a urgence en la demeure : « La crise des éleveurs rend ce travail indispensable. Un projet à dix ans, c’est trop tard ! », insiste Jean-Marc Venturi qui fait un appel du pied au passage à ses interlocuteurs, afin d’obtenir des conseils pour élaborer au mieux le complexe cahier des charges.

« Un dîner sublime ! »
Enfin, il serait désolant que les Corses eux-mêmes n’offrent pas une chance au Vitellettu. D’ores et déjà, quelques restaurateurs de l’île ont accepté de jouer le jeu et de proposer à leur clientèle ce produit unique – à la fois par ses qualités gustatives, sa typicité et son contenu patrimonial. Ainsi, mardi soir, le dîner aux Mouettes, avec sa déclinaison autour du Vitellettu sublimé par le Chef Alessandro Cappone, a séduit les papilles de Romain Lebœuf et de Guillaume Gomez. Certes, il reste encore du chemin à parcourir pour parvenir à un produit homogène : du travail sur la génétique, sur les techniques d’élevage, les techniques d’abattage… Mais gageons que ce premier succès ouvrira de nouvelles opportunités à cette viande d’exception…

La visite sur l'exploitation
La visite sur l'exploitation