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Alex Vinciguerra : « Nous voulons aider les entreprises qui produisent de la valeur ajoutée et la réinvestissent en Corse »


Nicole Mari le Samedi 16 Octobre 2021 à 19:56

La situation des entreprises corses est préoccupante. La fin du « quoi qu’il en coute » du Président de la République les plongera, dès janvier prochain, dans une délicate incertitude avec les premières échéances de remboursement des aides et des prêts consentis par l’Etat. La facture, qui s’élève à 1,4 milliard €, soit l’équivalent de trois années habituelles d’endettement, met leurs trésoreries sous tension. Pour les aider, l’Exécutif de la Collectivité de Corse a fait adopter, fin septembre, deux rapports, dont un dispositif de soutien au financement de procédures amiables et préventives, et une nouvelle méthode pour renforcer les aides de l’Agence de développement économique de la Corse (ADEC). Explications, pour Corse Net Infos, d’Alex Vinciguerra, Conseiller exécutif et président de l’ADEC.



Alex Vinciguerra, Conseiller exécutif et président de l’ADEC. Photo Michel Luccioni.
Alex Vinciguerra, Conseiller exécutif et président de l’ADEC. Photo Michel Luccioni.
- Qu’est-ce que « ce dispositif de soutien au financement de procédures amiables et préventives » que vous avez mis en place ? Les entreprises corses sont-elles dans une situation difficile ?
- Les entreprises corses ne sont pas encore en situation difficile parce que l’État leur a accordé non pas 2,2 milliards € d’aides comme le disent ses services régionaux, mais des aides publiques - heureusement ! - et surtout des prêts. Des prêts à hauteur de 1,4 milliard € qui se décomposent en trois parties : 200 millions € d’aides sociales qu’il va falloir rembourser, 100 millions € d’aides fiscales qu’il va falloir rembourser - ce sont des avances qui ont été faites - et 1,1 million € de prêts garantis par l’État (PGE) qu’il va falloir rembourser. C’est donc une masse de 1,4 milliard € - le chiffre est tellement énorme ! – à rembourser par nos entreprises sur les cinq ans qui viennent. C’est vrai qu’aujourd’hui ces entreprises ont encore, pour la plupart, une trésorerie active dans leurs comptes, mais dès le mois de janvier, elles vont débuter les remboursements, et ce sera plus difficile pour leur trésorerie. Ce sera plus difficile aussi pour leurs investissements parce que si elles ont à rembourser des prêts, elles n’auront pas suffisamment de capacité d’endettement, donc de capacité d’investissement, et elles perdront en compétitivité.
 
- Vous dites qu’il y a 100 entreprises sur la sellette ?
- Oui. Selon des chiffres officiels du ministère que nous avons d’ores et déjà, une centaine d’entreprises, sur les 6600 qui ont bénéficié d’un PGE, sont très mal cotées et seront sous peu confrontées à une difficulté de remboursement. Ce sont des entreprises significatives qui font plus de 750 000 € de chiffre d’affaires.
 
- Y-a-t-il un risque de liquidation judiciaire pour ces entreprises ?
- Oui, il y a un risque de redressement judiciaire et un risque de liquidation. Donc, pour prévenir ce risque, nous engageons ces chefs d’entreprises, qui sont dans la difficulté, à consulter les tribunaux de commerce de façon à pouvoir mettre en œuvre des procédures de sauvegarde ou de conciliation qui leur permettront peut-être de trouver des solutions qu’elles n’ont pas imaginées, et donc d’avoir des supports tels que les experts-comptables pour les accompagner vers des plans de rebond. L’aide, que nous proposons, consiste à prendre en charge une partie des frais de consultation des tribunaux de commerce et de recours aux experts-comptables, avocats et divers professionnels du chiffre.
 
- Quel est le montant de l’aide que vous allouez ?
- L’aide moyenne se situera probablement autour de 20 000 € : 10 000 € de frais de justice, 10 000 € de frais d’expertise. C’est à peu près ce que nous avons calibré.
 
- Dans combien de temps, ces aides seront-elles disponibles pour les entreprises ?
- Nous sommes confrontés à deux problèmes de temps. Le premier est qu’il nous faut arriver à gérer l’ensemble du stock qui a été accumulé par l’ancienne équipe. N’y voyez aucune considération péjorative ! La deuxième difficulté est qu’il faut changer de méthode, et cela prend un peu de temps de management. Je pense que dès janvier, nous serons prêts à réaliser les actions telles que nous les avons définies.

Dans l'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo CNI.
Dans l'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo CNI.
- Vous proposez aussi une vision économique. Quels en sont les principes ?
- Ce n’est pas du tout une vision, ni même une stratégie que nous avons présentée. C’est surtout une méthode. Nous ne remettons pas en cause la stratégie, votée par le PADDUC, qui fonde le développement économique de la Corse sur un accroissement de la production locale de biens et de services. Au contraire, nous essayons de décliner des actions très opérationnelles pour faire en sorte que cette production locale de biens et de services soit renforcée et trouve toute sa place. Aujourd’hui, nous sommes dans une économie externalisée qui profite à des grandes entreprises de production ou à des franchises qui ne sont pas en Corse. L’idée est de pouvoir accompagner les entreprises qui produisent de la valeur ajoutée en Corse et qui réinvestissent cette valeur ajoutée en Corse.
 
- Le taux d’entreprises continentales est-il important ?
- On n’a pas vraiment de chiffres à ce niveau-là, mais c’est une grande partie de notre économie qui est basée sur ce principe qui consiste à importer de la marchandise et à la revendre en faisant une marge. La production n’est pas locale, et la valeur ajoutée ne profite pas à la Corse.
 
- Vous avez dit : « Jusqu’à présent, nous avons défini des plans, mais nous n’avons pas réussi à les mettre en œuvre ». Pourquoi selon vous ?
- C’est très difficile, et je crois qu’il faut être très humble lorsqu’on fait de la politique économique. Depuis les années 50, tous les 15 ans, on sort un nouveau plan de développement. On peut très bien imaginer des stratégies et même de très belles stratégies, ce qui est plus difficile, c’est de trouver les moyens techniques de mettre en œuvre ces stratégies. Je m’efforce de trouver avec l’ADEC et l’ensemble de mes collègues du Conseil exécutif des méthodes pour le faire. Nous avons défini cinq principes. Cela passe par la logique de projet, la logique d’action collective, l’accélération des procédures ou la mise en œuvre d’instruments financiers qui fluidifient les procédures et rendent le temps de l’entreprise compatible avec le temps administratif.
 
- Cette idée de planification de long terme est-elle obsolète aujourd’hui ?
- Non ! Je ne crois pas du tout que cette idée soit obsolète. Il y a deux choses. D’abord, nous pouvons réfléchir à long terme sur 30 ans et réfléchir à court terme sur les quelques mois qui arrivent. C’est l’objet du rapport. Sur le long terme, il faut arriver à projeter la Corse peut-être pas à 30 ans, parce que 30 ans, c’est loin, mais au moins à 10 ans, avoir un plan pour la Corse à visée 2030.
 
- Vous avez également défini trois handicaps. Lesquels ?
-  Le premier handicap est le fait que nous produisons très peu en Corse. Notre économie est, comme je l’ai dit, basée sur des productions extérieures. Le deuxième handicap est que nous innovons peu, et donc nous sommes peu compétitifs. Le troisième handicap est que nous n’avons pas d’adéquation entre les demandes d’emploi et la production d’emploi. C’est encore plus difficile aujourd’hui ! Le premier souci des entreprises est de trouver un emploi qui corresponde à leurs besoins.
 
- L’opposition de droite a été sévère avec le bilan économique de la mandature, elle parle d’un « constat d’échec » que vous ne partagez pas ?
- Non ! Je n’ai pas trouvé l’opposition particulièrement sévère. D’ailleurs, nous avons recueilli l’adhésion du groupe Core in Fronte. Au contraire, l’opposition a été plutôt constructive. Ce qui va nous permettre d’améliorer notre façon de voir les choses, de mieux la partager et de décliner ce premier rapport en un second rapport qui proposera un guide des aides accessibles à l’ensemble des entreprises de Corse.
 
- Votre prédécesseur demande de refonder les agences et Offices et les compétences de chacun. Ce n’est pas d’actualité selon vous ?
- D’une part, ce n’est pas l’objet du rapport. D’autre part, nous sommes aujourd’hui dans un Conseil exécutif qui est vraiment collaboratif, ce qui permet d’ailleurs de mieux travailler puisque nous réfléchissons à plusieurs et que l’intelligence collective est très importante.
 
- Quelle est, pour vous, la priorité ?
- La priorité, c’est d’avoir des procédures rapides, reconnues par les entreprises et évaluables. Le défi est de mettre en place au moins un guichet de l’entreprise. Je pense que l’ADEC est à la hauteur de ce défi, même s’il faudra probablement là aussi des changements, et heureusement !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.