La tradition est chère aux Corses. Juste en s'approchant du cimetière des sanguinaires, impossible de ne pas s'en rendre compte. Devant les différentes entrées, les vendeurs ajacciens écoulent leurs stocks de bougies et de chrysanthèmes au fur et à mesure que les habitants se présentent. Profitant du jour férié, ils sont allés, en nombre, fleurir les sépultures, y allumer quelques bougies et prendre un moment pour se recueillir. Le résultat est nettement appréciable : les couleurs des centaines de bouquets accumulés redonnent un semblant de vie au lieu. "C'est très fleuri et ça ne peut que faire plaisir, mais personnellement je viens surtout mettre des bougies, explique Christiane, croisée dans une allée parallèle à la mythique chapelle de Tino Rossi. Une bougie, ça les éclaire pour pas qu'ils ne soient dans le noir, c'est ma manière de les honorer."
Pas question en revanche pour elle, qui ne vient pas qu'à cette occasion mais régulièrement dans l'année, de déroger à la tradition florale. "Comme c'est une chapelle, nous avons planté des fleurs devant, mais qui sont donc là toute l'année donc on ne peut pas vraiment en rajouter lors de la Toussaint, se justifie-t-elle. Mais c'est fleuri et il faut arroser, couper et entretenir comme à la maison durant toute l'année. Mes parents, mes grands-parents reposent tous ici et c'est important de venir parce que quand on est là, on a l'impression qu'ils sont vivants, qu'on est avec eux. Et puis, ça rappelle de bons souvenirs."
"Avoir une sorte de lien avec eux"
Parfois, le recueillement ne rappelle pas forcément de souvenirs, mais stimule l'imagination. Antoine a franchi les portes du cimetière marin seul, sous la grisaille de ce mardi. "Je n'ai jamais connu mes grands-parents, dévoile le jeune homme de 26 ans, qui ne se rend ici qu'une fois par an, à la Toussaint. J'ai toujours vu les jeunes de mon âge grandir avec les leurs, les voir les récupérer à l'école, aller chez eux en vacances... Moi, je n'ai jamais eu cette chance de les connaître et c'est intriguant, car hormis ce qu'on me raconte sur eux, je n'en garde qu'une image floue. Je trouve ça important d'aller me recueillir sur leurs tombes à cette occasion : c'est symbolique, mais ça me permet d'avoir une sorte de lien avec eux."
La tradition perdure, y compris chez les jeunes générations, tant bien que mal. Le cas d'Antoine prouve que l'initiative peut être personnelle. Mais le plus souvent, c'est une question d'héritage familial. "C'est très important de venir et je pense que ça doit être pour tous les gens la même chose, affirme Marcelle, présente avec sa fille, Nathalie. Je le montre à ma famille, ma fille a son fils et j'ai aussi emmené mes petits-enfants pour qu'ils voient où on est, où se trouve leur famille et où nous nous trouverons."
"Quand je vois que nos cimetières sont fleuris comme ça, je pense que la tradition continue et c'est bien, renchérit justement Nathalie. Ça doit perdurer et c'est ce qu'on essaie d'inculquer à nos enfants, nos petits-enfants." Les nombreuses familles venues se recueillir en ce jour férié le prouvent : le culte de la Toussaint n'est pas en voie de disparition.

(Photo archives Michel Luccioni)