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Venneri Santu : Confession d'un pénitent


Stella CIANI le Vendredi 30 Mars 2018 à 15:52

En cette Semaine Sainte, le rôle du pénitent garde toute sa part de mystère. L'un d'eux, toujours sous le couvert de l'anonymat, a confié à CNI, les motivations de cette démarche de pénitence.



Venneri Santu : Confession d'un pénitent
En ce Vendredi Saint, la Corse revit avec émotion la Passion du Christ. Partout, des anonymes revêtent l'habit du pénitent. Quelle démarche doit-on effectuer et à qui s'adresser?
En général il faut prendre contact avec  le curé ou le prieur.  Pour ma part J'en ai parlé au prieur de la confrérie. Quelques semaines avant la Semaine Sainte, il est revenu vers moi pour savoir si j'étais toujours aussi motivé. "tu ne changes pas d'avis, ta décision est prise?" m'a t-il dit.  Il est clair que pour moi c'était une évidence d'accomplir cet acte fort, je dirais même que c'était un besoin. Ce n'est pas une démarche  que l'on accompli comme ça  à la légère. C'est très profond. 

 

- Mais quelles sont les raisons qui peuvent pousser à être pénitent ?
- La légende dit que le pénitent est, soit un repenti, soit une personne qui souhaite racheter ses fautes. Mais pour d'autres, ce qui se sait moins, c'est la possibilité de faire un vœu, ce qui est mon cas  ou  tout simplement une manière de remercier. Mais on ne fait certainement pas ça pour le folklore. Ce n'est pas un rôle. Il n'y a pas ni mise en scène ni répétitions. 

 
- Pour les préparatifs, comment faites vous pour garder l'anonymat?
- L'identité est bien gardée. On ne connait pas les noms  des précédents pénitents. L'anonymat est toujours de rigueur. Cette année là, j'étais seul pénitent. Le curé vous donne un rendez-vous. Dans un premier temps il faut se confesser. Puis vient le moment où vous  restez seul avec vous même. Tu médites, tu gamberges, tu pries... Et tu as froid. Puis vient l'heure de s'habiller. Quand tu mets la cagoule, la pression monte. J'avais peur de ne pas y arriver. Je me suis habillé et on m'a conduit à la citadelle. D'abord à l'oratoire où j'ai attendu à genoux, avant d'aller à la Cathédrale pour prendre possession de la Croix. 

 

- Qu'est ce qui est le plus dur?
- Quand je suis sorti et que j'ai commencé à marcher, la Croix était lourde sur mon dos. Quand tu la prends, tu as besoin d'un moment d'adaptation. J'ai vacillé sur le coup, certains pensaient même que je faisais du cinéma. Mais pas du tout. Une fois que tu as trouvé ton équilibre, la bonne position, la douleur physique disparait. Tu ne ressens plus rien. C'est difficile à expliquer. Tu es comme transporté. Tu es ailleurs et ça, jusqu'à la fin et tu sais que tu vas y arriver.

En réalité, ce qui est le plus difficile à porter, c'est le regard des gens. C'est une sensation douloureuse. C'est quelque chose qui marque vraiment. On n'y pense pas avant d'être sous la cagoule. Quand j'ai commencé à marcher dans la citadelle, que le monde me regardait, je me suis dis "ça va être très dur ce soir". "Tu as le poids du monde sur tes épaules". Tu as la sensation d'être un pestiféré pour certains. Tu peux lire dans leurs yeux " li stà bè. S'il le fait, ce n'est pas pour rien". Ils attendent ta douleur. Pendant que d'autres compatissent et te prennent en pitié. Cela peut sembler incroyable mais tu ressens ce qu'ils pensent. Tu es jugé comme l'a été le Christ. Même ceux qui te connaissent sans savoir que c'est toi dessous, te regarde autrement ... et c'est très dur. Ils te jugent sans savoir... Certains sont pénitents pour faire un vœu, d'autres prient pour leurs défunts. Mais pourtant ils te jugent. Ça fait mal. La douleur physique disparaît. Tu t'y prépares. Mais pas à ça. Puis,  tu croises le regard de ta mère. La souffrance d'une mère pour son fils. Je ne lui ai jamais rien dit sur cette pénitence mais je pense qu'elle sentait que c'était moi.
Peu à peu, tu ne retiens que ceux qui te sont familiers. Et tu te raccroches à une seule personne. Celle qui va te guider. Ton "Simon". 

 

- Est ce qu'à un moment on pense tout arrêter 
- Non, à aucun moment. Tu vas jusqu'au bout et tu le fais à fond. Personne ne te l'impose. Quand on a la foi, c'est une expérience indescriptible. Tu es porté par le Christ. Tu es dans un autre monde. J'ai prié tout le long pour que mon vœeu se réalise. 
Après,  on y croit ou pas, mais mon souhait a été exhaussé. 

 

- Que ressent on à la fin?  Votre première pensée?
- Ma première pensée a été "je l'ai fait" ! Et tu pleures. Les larmes coulent seules. Ce soir là tu es le Christ et le lendemain tu deviens quelqu'un d'autre. Tu te sens protégé. Les images sont gravées dans ta mémoire, c'est en toi. Tu l'as a vie, comme un tatouage.
Physiquement quand ça se termine, tu es totalement vidé. C'est comme après une séance intensive  de sport. Quand le curé vient te récupérer, il n'y a plus personne. Je me souviens avoir eu terriblement mal sous les pieds quand je suis sorti de la Cathédrale Je n'y croyais pas.

Durant deux heures, pieds nus sur les pavés, tu ne ressens absolument rien. Là, j'avais vraiment du mal à marcher. Le réel contre coup vient le lendemain. Mais il ne dure pas. 


Venneri Santu : Confession d'un pénitent