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« Un cas de légitime défense » : En Corse, les pêcheurs durcissent le ton face à des évolutions réglementaires jugées « intolérables »


le Mardi 30 Septembre 2025 à 19:25

Lors d'une assemblée générale extraordinaire qui a eu lieu dimanche à Corte, les membres du Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi ont fait part de leurs inquiétudes face aux nouvelles réglementations imposées à la pêche artisanale et au manque de soutien des institutions. Après une nouvelle saison jugée "calamiteuse", ils dénoncent une situation devenue insupportable et annoncent vouloir durcir leur mobilisation afin de ne pas laisser la pêche artisanale corse mourir.



(Photo d'illustration - Archives Michel Luccioni)
(Photo d'illustration - Archives Michel Luccioni)
« La pêche artisanale corse est en train de mourir ». C’est le cri d’alarme qu’a à nouveau lancé u Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi lors d’une assemblée générale extraordinaire qui s’est tenue à Corte dimanche dernier. À cette occasion, la quarantaine de pêcheurs présents a fait part de ses vives inquiétudes pour l’avenir et a annoncé vouloir durcir la mobilisation. Alors que le 9 juin dernier les pêcheurs avaient bloqué le port de Bonifacio, ils envisagent cette fois des actions à terre pour montrer leur mécontentement. 
 
« Nous sommes en position de légitime défense. Nous sommes attaqués et nous répondons. Et tant que l’on n’obtiendra pas une réponse satisfaisante, nous irons jusqu’au bout », pose Joseph Sana, le secrétaire du syndicat en assurant toutefois que ces actions tâcheront de « pénaliser le moins possible la population ». « Nous commencerons par des établissements symboliques qui nous étouffent. Et si l’État ne veut rien entendre, les choses iront crescendo », ajoute-t-il. 
 
"Ce qu’on nous impose est disproportionné"

Alors que la conjoncture est difficile pour la profession depuis plusieurs années, les pêcheurs dénoncent aujourd’hui des évolutions réglementaires qu’ils jugent « intolérables » pour les petites pêcheries artisanales. Goutte d’eau qui a fait déborder une coupe déjà trop pleine, à partir du 1er novembre, l’obligation imposée aux navires de pêche de moins de 12 mètres d’installer à leur bord une balise VMS, un système de surveillance des navires par satellite. « On nous dit que c’est pour notre sécurité, mais ce n’est ni plus ni moins qu’un système de géolocalisation que l’on va utiliser pour nous contrôler. Or ce n’est pas les contrôles qui manquent à l’heure actuelle », déplore Joseph Sanna en pointant également le coût non négligeable pour les pêcheurs que représente l’installation de ce nouveau dispositif. « On nous impose de plus en plus de réglementations aberrantes d’année en année », siffle-t-il, « Et face à cela, nous nous trouvons devant un mur administratif qui ne veut rien entendre et qui ne comprend rien à la petite pêche. Ces normes ne font pas la différence entre la pêche industrielle et la pêche artisanale alors que cela n’a rien à voir. Ce qu’on nous impose est disproportionné. On nous demande d’avoir des équipements semblables à ceux des chalutiers, fileyeurs et bateaux-usines qui partent pour des campagnes qui durent parfois plusieurs mois. Nous avons les mêmes règles qu’eux, alors que nous pêchons à proximité des côtes. Je pense qu’il y a un problème ».
 
En outre, au-delà des obligations imposées par l’État, u Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi regrette également le manque de soutien des institutions locales à un moment où la pêche artisanale corse se trouve dans une situation précaire. « À l'inverse des Alpes-Maritimes, du Var, de l’Occitanie ou de la région PACA, où les maires, les intercommunalités, les députés, sont montés au créneau pour défendre leurs pêcheurs, en reconnaissant qu'ils font partie de leur patrimoine, chez nous, on reste bien tranquille », fustige Joseph Sanna en lançant notamment un appel aux maires de l’île : « Il y a la pêche en mer, mais il y a la pêche à terre. Donc aux maires de prendre leurs responsabilités et d'être plus conscients avec les pêcheurs ». 

"La pêche artisanale corse est en train de couler"

 
Plus loin, pour le secrétaire du syndicat, « la Collectivité de Corse a aussi sa part de responsabilité ». « Son plan pour la pêche corse et son enveloppe d'un million d'euros ne sert qu’à mettre de la poudre aux yeux aux pêcheurs. Quand on nous a proposé ce plan, il ne nous convenait pas déjà », indique-t-il en concédant toutefois que pour la première fois en 40 ans, l’Assemblée s’est cependant penchée autant en profondeur sur la pêche. « Mais nous voyons cela plus comme un support politique parce qu'on parle souvent de nous, mais c'est toujours sans nous. Les élus doivent remettre leurs pendules à l'heure et prendre conscience que ce qu'ils nous ont proposé ne convient pas du tout à l'avenir de la pêche artisanale corse », explique Joseph Sanna en glissant par ailleurs : « Et puis, du côté de l’Office de l’Environnement, on nous impose d’importantes restrictions en disant que cela vient de l’Europe, mais on en doute. Il y a aussi des restrictions aberrantes pour les subventions du FEAMPA (fonds européens pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture) qui font que beaucoup de pêcheurs jettent l’éponge parce que c'est trop compliqué ». 
 
Cette année, les pêcheurs ont en outre dû faire face à une saison qualifiée de « calamiteuse » avec 314 BMS (bulletins météorologiques spéciaux) recensés au 5 septembre qui les ont empêchés de prendre la mer. « C’est un énorme manque à gagner », souffle Joseph Sanna. Dans la même ligne, il constate que si les ressources halieutiques sont en diminution, et invite à en chercher une partie des causes de ce phénomène du côté des dauphins. « La prolifération des dauphins, c'est une catastrophe. Parfois, on remonte 500 mètres de filet, il n'y a pas de poisson, seulement des trous dedans. Il faut bien prendre en compte cela. Pour nous, c'est un gros fléau, au même titre que les loups ou les ours pour les agriculteurs », regrette-t-il.
 
« Il faut que tout le monde soit conscient de cela », appuie encore le secrétaire du syndicat en avertissant : « La pêche artisanale corse est en train de couler. Demain, elle va pratiquement disparaître. Il ne restera que quelques pêcheurs qui pêchent autrement, qui s'en sortiront un peu mieux. Mais la nature a horreur du vide. Et on verra vite débarquer de gros chalutiers qui naviguent déjà autour de la Corse ».