Les sept randonneurs, victimes de la guerre ou du terrorisme, ont été encadrés par des moniteurs du Cercle Sportif de l'Institution Nationale des Invalides. PHOTO CSINI
« En 2019, j’ai vrillé. » Freddy, 42 ans, était membre du régiment 501. On pourrait dire qu’il l’est toujours aujourd’hui, puisqu’il fait encore partie des effectifs de l’Armée de terre. Mais dans les faits, voilà six ans que Freddy reste chez lui, en arrêt maladie, « seul avec mes démons ». Ces démons, ils sont apparus en 2008, au retour d’une opération en Afghanistan. Freddy n’en dira rien à la Grande Muette et, en 2014, il est envoyé au Mali. Il en revient avec de nouvelles blessures psychiques, qu’il tentera de conserver enfouies pendant cinq longues années : « Je tenais ça au fond de moi, j’attendais, j’attendais… Mais je n’y arrivais plus, je ne dormais plus de la nuit. Dès qu’il y avait un bruit, j’étais réveillé. Je devenais agressif avec mes confrères. Alors à un moment, j’ai été voir le doc. » Le diagnostic tombe : Freddy est atteint d’un état de stress post-traumatique (ESPT). Au quotidien, c’est un grand sentiment d’isolement qui s’empare de ce militaire picard : « Ma femme et mes enfants sont à mes côtés, mais dès qu’ils s’en vont, je me retrouve seul avec moi-même. Autour de moi, les gens n’ont pas compris qu’on puisse passer, en trente secondes, du rire aux larmes. Aujourd’hui, j’ai peur de la foule. »
Comme tout militaire victime d’un ESPT, Freddy est pris en charge par l’ONACVG, l’Office national des combattants et victimes de guerre. Celui-ci le met en relation avec une association dont la mission première est de panser, par la pratique du sport, les blessures psychiques ou physiques de ces militaires. Cette association, c’est le Cercle sportif de l’institution nationale des invalides (CSINI). « Le sport les aide à comprendre qu’ils sont toujours capables de faire des choses, explique l’un des moniteurs du CSINI, l’adjudant Stéphane, gendarme de son état. Et ça les fait sortir de chez eux, le temps d’une activité en plein air. Une fois qu’ils ont franchi ce palier, ça ouvre pas mal de possibilités. »
Comme tout militaire victime d’un ESPT, Freddy est pris en charge par l’ONACVG, l’Office national des combattants et victimes de guerre. Celui-ci le met en relation avec une association dont la mission première est de panser, par la pratique du sport, les blessures psychiques ou physiques de ces militaires. Cette association, c’est le Cercle sportif de l’institution nationale des invalides (CSINI). « Le sport les aide à comprendre qu’ils sont toujours capables de faire des choses, explique l’un des moniteurs du CSINI, l’adjudant Stéphane, gendarme de son état. Et ça les fait sortir de chez eux, le temps d’une activité en plein air. Une fois qu’ils ont franchi ce palier, ça ouvre pas mal de possibilités. »
Sentiment de culpabilité
S’il avoue avoir parfois souffert physiquement durant le GR20, Freddy sait que ça lui a fait du bien à la tête : « Porter le sac, marcher, avoir un objectif d’un point A à un point B… J’ai retrouvé des sensations quand j’étais militaire. » Car Freddy reste nostalgique de ses années dans l’armée, qu’il n’a, en dépit de son traumatisme, jamais rejetée. Au contraire, c’est à lui qu’il en veut : « J’ai failli car je ne suis pas allé au bout de mon contrat », estime-t-il encore aujourd’hui. Le sentiment de culpabilité, c’est l’un des symptômes du stress post-traumatique, confirme le service santé des armées, dans le dossier complet qu’il consacre à l’ESPT sur le site du ministère de la Défense. Officiant sur la base de Ventiseri-Solenzara, le commandant Alain (1) sait à quel point un ESPT peut être ardu à détecter : « Le blessé psychique, il porte son masque. Et s’il a envie de mentir et de dire que tout va bien, on n’y pourra rien. » Seule solution selon lui : se montrer attentif, au sein de l’armée, au comportement de chacun : « On est tous des capteurs d’infos. Et si on remarque quelque chose qui se reproduit, on peut inviter, sans la forcer, la personne à aller voir le médecin. »
S’il avoue avoir parfois souffert physiquement durant le GR20, Freddy sait que ça lui a fait du bien à la tête : « Porter le sac, marcher, avoir un objectif d’un point A à un point B… J’ai retrouvé des sensations quand j’étais militaire. » Car Freddy reste nostalgique de ses années dans l’armée, qu’il n’a, en dépit de son traumatisme, jamais rejetée. Au contraire, c’est à lui qu’il en veut : « J’ai failli car je ne suis pas allé au bout de mon contrat », estime-t-il encore aujourd’hui. Le sentiment de culpabilité, c’est l’un des symptômes du stress post-traumatique, confirme le service santé des armées, dans le dossier complet qu’il consacre à l’ESPT sur le site du ministère de la Défense. Officiant sur la base de Ventiseri-Solenzara, le commandant Alain (1) sait à quel point un ESPT peut être ardu à détecter : « Le blessé psychique, il porte son masque. Et s’il a envie de mentir et de dire que tout va bien, on n’y pourra rien. » Seule solution selon lui : se montrer attentif, au sein de l’armée, au comportement de chacun : « On est tous des capteurs d’infos. Et si on remarque quelque chose qui se reproduit, on peut inviter, sans la forcer, la personne à aller voir le médecin. »
"Quand j'entends un bruit sourd en ville..."
Cet état de stress post-traumatique se retrouve aussi chez les victimes d’attentats terroristes. C’est le cas de Léa. Le soir du 14 juillet 2016, elle était sur la promenade des Anglais, à Nice, quand un individu, au volant d’un camion, a foncé sur la foule, sitôt la fin du feu d’artifice. L’attentat a causé la mort de 86 personnes. Léa avait 16 ans à l’époque. Originaire du Jura, elle était en vacances à Nice, et ce soir-là, profitait de la vie, insouciante, en compagnie de ses cousines : « On voulait manger une pomme d’amour, et c’est ce qui nous a sauvées, ça s’est joué à quelques secondes. Si on n’était pas allées en acheter, on serait passées sous le camion. Donc la gourmandise, ce n’est pas un vilain défaut », sourit aujourd’hui la jeune femme, qui précise d’emblée : « Aujourd’hui, je vais bien. » Même si « quand j’entends un bruit sourd en ville, une poubelle qui tombe, j’ai toujours un petit sursaut. Et me retrouver au milieu de la foule, j’ai un peu de mal. » Près de dix ans plus tard, Léa se sent investie d’une mission de protection envers ses cousines, « qui vont moins bien » qu’elle. Mais elle est consciente que son état psychique personnel reste fragile : « Le soir de l’attentat, je suis passée à un endroit où il y avait plein de corps sur la route. Mes cousines les ont vus, mais moi non, j’en ai vu aucun. En fait, mon cerveau les a oubliés. Mais je ne suis pas à l’abri que ces images me reviennent. »
"Se libérer d'un poids"
Adepte de randonnées, Léa s’est montrée tout de suite partante pour le GR 20. Moins à l’idée de découvrir ses merveilleux paysages que de se retrouver au milieu d’un groupe ayant subi le même état de stress post-traumatique : « Je voulais être aux côtés de gens qui ont vécu des situations de guerre. Au cours de la randonnée, ça laisse la possibilité de parler de ces choses que l’on a vécues, soit d’autre chose pour nous distraire. » Et toujours dans un esprit de solidarité : « La journée, on ne marchait peut-être pas tous à la même vitesse, mais le soir on se retrouvait tous. » Le CSINI a pu réunir, grâce à du mécénat, le budget nécessaire pour que ce stage puisse se faire, entre Calenzana et Conca. Au-delà de la dimension sportive, l’adjudant Stéphane rappelle que la reconstruction se fait aussi par l’écoute : « Certains sont en rupture sociale complète. Ces stages leur permettent de se libérer d’un poids, ils savent qu’ils peuvent se confier mutuellement sur ce qu’ils ont vécu. Ils ont moins cette sensation de solitude. » Mais attention, prévient-il, fort de son expérience de six ans : « A la fin des stages, ils sont généralement euphoriques pendant deux ou trois jours, puis ils retombent. C’est l’effet rebond. » Pour le combattre, un groupe Whatsapp a été mis en place : « Ils pourront se parler quand ils le souhaiteront. Et de notre côté, on va aussi les appeler, pour garder le contact et prendre de leurs nouvelles. » Cet effet rebond, Freddy le redoute beaucoup : « Le plus dur, ça va être le retour à la réalité, chez moi, toute la journée à regarder la télé. » Heureusement, Freddy a des projets auxquels il peut se raccrocher. S’il sait que l’armée, pour lui c’est terminé, il espère trouver un emploi « dans l’informatique ou la bureautique » au sein des métiers civils de la Défense.
1. Le prénom a été changé.
Cet état de stress post-traumatique se retrouve aussi chez les victimes d’attentats terroristes. C’est le cas de Léa. Le soir du 14 juillet 2016, elle était sur la promenade des Anglais, à Nice, quand un individu, au volant d’un camion, a foncé sur la foule, sitôt la fin du feu d’artifice. L’attentat a causé la mort de 86 personnes. Léa avait 16 ans à l’époque. Originaire du Jura, elle était en vacances à Nice, et ce soir-là, profitait de la vie, insouciante, en compagnie de ses cousines : « On voulait manger une pomme d’amour, et c’est ce qui nous a sauvées, ça s’est joué à quelques secondes. Si on n’était pas allées en acheter, on serait passées sous le camion. Donc la gourmandise, ce n’est pas un vilain défaut », sourit aujourd’hui la jeune femme, qui précise d’emblée : « Aujourd’hui, je vais bien. » Même si « quand j’entends un bruit sourd en ville, une poubelle qui tombe, j’ai toujours un petit sursaut. Et me retrouver au milieu de la foule, j’ai un peu de mal. » Près de dix ans plus tard, Léa se sent investie d’une mission de protection envers ses cousines, « qui vont moins bien » qu’elle. Mais elle est consciente que son état psychique personnel reste fragile : « Le soir de l’attentat, je suis passée à un endroit où il y avait plein de corps sur la route. Mes cousines les ont vus, mais moi non, j’en ai vu aucun. En fait, mon cerveau les a oubliés. Mais je ne suis pas à l’abri que ces images me reviennent. »
"Se libérer d'un poids"
Adepte de randonnées, Léa s’est montrée tout de suite partante pour le GR 20. Moins à l’idée de découvrir ses merveilleux paysages que de se retrouver au milieu d’un groupe ayant subi le même état de stress post-traumatique : « Je voulais être aux côtés de gens qui ont vécu des situations de guerre. Au cours de la randonnée, ça laisse la possibilité de parler de ces choses que l’on a vécues, soit d’autre chose pour nous distraire. » Et toujours dans un esprit de solidarité : « La journée, on ne marchait peut-être pas tous à la même vitesse, mais le soir on se retrouvait tous. » Le CSINI a pu réunir, grâce à du mécénat, le budget nécessaire pour que ce stage puisse se faire, entre Calenzana et Conca. Au-delà de la dimension sportive, l’adjudant Stéphane rappelle que la reconstruction se fait aussi par l’écoute : « Certains sont en rupture sociale complète. Ces stages leur permettent de se libérer d’un poids, ils savent qu’ils peuvent se confier mutuellement sur ce qu’ils ont vécu. Ils ont moins cette sensation de solitude. » Mais attention, prévient-il, fort de son expérience de six ans : « A la fin des stages, ils sont généralement euphoriques pendant deux ou trois jours, puis ils retombent. C’est l’effet rebond. » Pour le combattre, un groupe Whatsapp a été mis en place : « Ils pourront se parler quand ils le souhaiteront. Et de notre côté, on va aussi les appeler, pour garder le contact et prendre de leurs nouvelles. » Cet effet rebond, Freddy le redoute beaucoup : « Le plus dur, ça va être le retour à la réalité, chez moi, toute la journée à regarder la télé. » Heureusement, Freddy a des projets auxquels il peut se raccrocher. S’il sait que l’armée, pour lui c’est terminé, il espère trouver un emploi « dans l’informatique ou la bureautique » au sein des métiers civils de la Défense.
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