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Révélations sur la SNCM et remous en eaux troubles sur la DSP


Nicole Mari le Vendredi 29 Mai 2015 à 21:30

Le dossier épineux des transports maritimes était, de nouveau en discussion, au deuxième jour de session de l’Assemblée de Corse (CTC) avec la question de la subdélégation de la Délégation de service public (DSP) par la CMN (Compagnie méridionale de navigation) au repreneur potentiel de la SNCM. L’Exécutif, qui demandait un vote de principe, a fait des révélations qui ont provoqué une vive réaction des Nationalistes. Ceux-ci ont fustigé la gestion erratique du dossier par l’Office des transports de la Corse (OTC), le manque d’informations des élus et les promesses non-tenues concernant la création d’une compagnie régionale. La subdélégation a été adoptée sans les voix des Communistes et d’U Rinnovu qui ont voté contre.



Révélations sur la SNCM et remous en eaux troubles sur la DSP
Ce n’aurait du être qu’une simple formalité pour l’Exécutif, mais rien n’est simple, ni limpide, dans le long et chaotique feuilleton de la desserte maritime de la Corse. L’Assemblée de Corse devait, vendredi matin, se prononcer sur le principe d’une subdélégation de la DSP par la CMN. Pour qu’il y ait discontinuité de l’offre et pour éviter de payer les 600 millions € d’amende, l’Union européenne estime que le repreneur de la SNCM ne peut pas récupérer la DSP qui revient naturellement, par contrat, au co-délégataire, la CMN. Mais celle-ci, n’ayant pas assez de navires pour assurer le service prévu entre la Corse et le continent, l’Exécutif demande qu'elle puisse subdéléguer, pour douze mois au repreneur que choisira, le 10 juin, le Tribunal de commerce de Marseille, le service assuré par la SNCM. Ne restent en lice que deux offres de reprise : celle de Daniel Berrebi pour Baja Ferries et celle du transporteur Patrick Rocca.
 
Des mensonges et des plaintes
Si le rapport est agréé par les élus, à l’exception des Communistes et d’U Rinnovu qui votent contre, Paul Giacobbi crée la surprise en ouvrant le débat par des révélations et des accusations. Il dénonce des mensonges d’Etat : « Les derniers mois ont détérioré la situation de la SNCM et fait naitre de nouvelles perversions. L’Etat a raconté beaucoup d’histoires et omis de dire la vérité à propos de l’Europe. Il a voulu faire croire à une discontinuité acceptée par l’Union européenne. C’est un gros mensonge ! ». Il prétend que l’Etat savait, depuis des mois, que la DSP n’était pas transmissible au repreneur et annonce le dépôt de plaintes : « A la SNCM, nous avons eu des révélations effrayantes, deux affaires assez sordides et assez ignobles. D’abord, la vente du navire Napoléon Bonaparte, bradé dans des conditions suspectes. Nous envisageons de porter plainte et de nous constituer partie civile sur cette ténébreuse affaire. Ensuite, les fonds ainsi dégagés ont servi à financer un plan de départs volontaires de plusieurs dizaines de millions € pour quelques dizaines de salariés choisis tout en haut de la hiérarchie. Nous envisageons, là-aussi, de saisir la justice ».
 
Un enjeu considérable
Le président de l’Exécutif, qui n’a jamais mâché ses mots dans ce dossier, affirme, également, qu’il aurait porté plainte si l’offre de reprise conjointe de Christian Garin et Marc Dufour avait été retenue. Il annonce que, pour éviter les foudres de Bruxelles, le paiement de la DSP du mois d’avril, qui aurait du intervenir fin mai, est suspendu jusqu’à la décision du Tribunal de commerce. Il trouve « extravagant » la décision de ce Tribunal de retarder sa réponse et enjoint les élus à voter la subdélégation. « C’est la seule solution acceptée par Bruxelles. C’est un enjeu social considérable ! ». Ces révélations font sensation dans un hémicycle qui n’en est pas à un rebondissement près dans cette affaire, mais n’ont pas forcément l’effet escompté. Si la droite et les Communistes montent au créneau dans un discours rodé, les Nationalistes, toutes tendances confondus, mettent l’Exécutif sur la sellette.
 
Une opportunité en question
Si le camp libéral ne cache pas sa surprise et ses interrogations, il fait preuve d’une certaine solidarité avec l’Exécutif : « Depuis le mois d’octobre, nous vivons un feuilleton lamentable. Il faut saluer la patience et la responsabilité des marins qui ont préservé leur outil de travail et, pour nous, l’outil de desserte maritime de la Corse face à tous les atermoiements et à tous les mensonges auxquels ils ont été confrontés. Aujourd’hui, nous sommes à la fin du feuilleton et les contraintes restent les mêmes. Nous nous interrogeons sur l’opportunité de voter aujourd’hui, néanmoins nous sommes favorables au principe de subdélégation à condition qu’une fois le repreneur connu, nous nous prononçons de nouveau en toute connaissance de cause », commente Antoine Sindali, élu du groupe Rassembler pour la Corse. La droite vote le rapport.
 
Défaut de transparence
L’opportunité du vote est également mise en cause par les Communistes qui, de leur question orale de la veille à leur motion de fin de session, martèle leur opposition. « La précipitation n’est pas ce qu’il y a de mieux à faire dans ce dossier, vu qu’on est sous l’attente du jugement du Tribunal de commerce. La position de l’Union européenne est une manœuvre hostile contre la compagnie et contre le service public de continuité territoriale. Si on suit son raisonnement, on arrive, au pire à un démantèlement de la compagnie ou à sa liquidation. Le comportement de l’Etat vient alourdir le comportement déloyal des autres intervenants », assène Michel Stefani. « Nous ne pouvons, en l’état, être favorable au principe de subdélégation. Le moment particulier nécessite une très grande transparence de la part de l’Etat et des actionnaires, mais cette transparence fait défaut. Cela accentue notre réticence à prendre position ». Il rappelle que l’ensemble des organisations syndicales récusent les deux offres de reprise encore en lice et demandent qu’un scénario de continuité et qu’une solution pérenne soient trouvés.
 
Un dysfonctionnement
Le ton s’échauffe avec les Nationalistes stupéfaits. Les modérés de Femu a Corsica s’en prennent directement à l’Exécutif, fustigeant sa gestion du dossier et son manque de stratégie : « La SNCM est plus que jamais une sorte de vaisseau fantôme, de bateau ivre au cœur d’une tempête qui risque de l’envoyer par le fond. Au lieu de se faire capitaine pour tenter de ramener ce bateau ivre au port, nous nous sommes accrochés comme des bouées au sillage de ce bateau qui va couler. Nous devons changer de cap ! Nous ne mésestimons pas les difficultés et la complexité de ce dossier auquel s’ajoute le poids de la sédimentation des décisions prises : incertitude sur le financement du plan social, sur l’identité du repreneur, sur le nombre d’emplois créés, sur les conflits sociaux, sur la forme juridique que prendra l’exploitation de cet outil indispensable à la Corse. Dans ce processus chaotique, nous nous trouvons singulièrement désarmés. Il y a une forme de disfonctionnement de l’institution », déplore Gilles Simeoni.
 
Des élus pas informés
Il tacle, au passage, le manque d’information des élus qui apprennent les dessous du dossier par voie de presse ou par les saillies du président Giacobbi. « Que la CTC et les élus ne soient pas informés en temps réel des éléments du dossier n’est pas satisfaisant par rapport aux décisions que nous devons prendre ! Vous nous dites qu’on nous a menti sur divers éléments, nous n’avons jamais réfléchi à intégrer ces éléments épars dans une stratégie cohérente. Nous devons mettre la barre au bon niveau politique. Nous devions définir les contours d’un schéma de maitrise de nos transports maritimes. Or, la Commission prévue sur la création de la compagnie régionale n’a pas été réunie depuis des mois, l’étude de faisabilité n’a pas été réalisée ». Le leader modéré est interrompu dans sa démonstration par Paul Giacobbi qui fait mine de ne pas comprendre et déclare que tous les documents ont été envoyés aux élus. Le problème est qu’aucun élu nationaliste, quelque soit le groupe, ne les a reçus et tous le font savoir.
 
Des questions sans réponse
A commencer par les autres élus de Femu a Corsica. « Si l’Etat nous ment, l’Exécutif n’en est pas gêné ! Il y a un outil qui s’appelle l’Office des transports où tous les professionnels sont représentés et où nous n’avons jamais eu de débat. Pourquoi ? Je m’interroge. Avez-vous peur des débats ? Sur le dossier de la compagnie régionale, si les documents ont été envoyés, je ne les ai pas reçus. Pourtant le facteur passe chez moi, tous les jours ! Pourquoi la Commission ne s’est-elle jamais réunie ? Est-ce voulu ? Cette question n’a pas été purgée », renchérit Hyacinthe Vanni. Le président du groupe, Jean-Christophe Angelini, enfonce le clou : « Nous engageons chaque fois ce débat avec un goût d’inachevé. Nous posons deux questions : La CTC peut-elle, à court ou moyen terme, être propriétaire de la flotte ? Une SEM est-elle un outil viable pour la desserte ? Depuis 30 ans que le problème est posé, il serait temps d’apporter une réponse. Aujourd’hui, vous nous demandez de valider la subdélégation, nous la voterons parce qu’elle est un passage obligé si nous voulons sécuriser à minima la desserte dans le cadre d’un redressement judiciaire ». Il demande à l’Exécutif d’envoyer des signes d’apaisement aux socioprofessionnels « qui ont besoin d’être rassurés ».
 
Une alternative
Des critiques entérinées par Paul-Félix Benedetti, leader d’U Rinnovu : « Les révélations faites sont consternantes ! On ne connaît pas la grille de lecture. Nous n’avons de retour d’information que par les comités d’entreprise qui sont défavorables aux repreneurs. L’objectif était de créer une compagnie régionale. On s’éloigne des objectifs et on subit au jour le jour les évènements que l’Etat veut nous imposer par le biais des administrateurs judiciaires. On n’anticipe jamais ! On doit toujours faire un vote en urgence ! On doit toujours faire face à une injonction ! Vous dites que vous avez envoyé des documents or, nous n’avons aucun élément factuel sur la possibilité d’une création d’une compagnie régionale. Nous avons le dos au mur, nous aurions du être en capacité de faire une proposition alternative. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas raisonnable ! ». Néanmoins, l’élu indépendantiste estime que la CTC, si elle se met au travail, peut proposer cette offre dans un délai restreint de 30 jours. « Si on ne le fait pas, on commet une faute politique ! Les trois offres de reprise sont irrecevables, or nous sommes en train de voter une subdélégation pour les rendre recevables. Je voterai contre ! ».
 
Un rapport en urgence
L’inaction de l’Exécutif sur la création de la compagnie régionale n’est pas plus du goût de Corsica Libera. « La SNCM est un dossier complexe, urgent. Il va falloir éviter certaines situations difficiles non seulement pour le personnel de la compagnie, mais aussi pour les entreprises de notre peuple. On a le sentiment qu’on n’a pas vraiment pris à bras le corps la possibilité pour la Corse de maîtriser ses transports. La Commission s’est réunie une ou deux fois, ensuite ce fut le brouillard. Nous avons demandé de diligenter une expertise sur sa faisabilité. Nous n’avons rien ! Que l’assemblée se mette enfin sérieusement à étudier la création d’une compagnie régionale ! Nous vous demandons de mettre cette question à l’ordre du jour sous la forme d’un rapport », lance Jean-Marie Poli.

Le temps de la SEM
Paul Giacobbi tente de balayer ces objections : « J’ai essayé d’informer l’Assemblée en temps réel, j’ai transmis les documents. Nous agissons dans l’urgence, parce que les administrateurs judiciaires ne nous répondent pas depuis des mois. Pourquoi faire une offre au tribunal de commerce ? Comment est-ce possible ? Si nous avons refusé qu’on nous offre la SNCM pour 1 €, c’est parce que cela nous aurait couté plusieurs millions €. Pouvons-nous être propriétaire de la flotte ? Oui. Effectivement, une SEM (Société d’économie mixte) d’investissement est la meilleure option, le moment est venu de la créer ». Il liste des éléments qu’il juge positifs : « Il n’existe aucune incertitude sur le financement du plan social qui a été acté à hauteur de 85 millions € par les actionnaires et l’Etat. Il n’y aucune incertitude sur le nombre de salariés repris, mais il y a des différences entre les repreneurs. Il n’y a pas d’incertitude sur la reprise des navires. Nous avons résisté à toutes les pressions et menaces illégales de l’Etat. Nous avons gagné la confiance de Bruxelles ».
 
Peu de certitudes
Ces certitudes ne sont pas partagées par les syndicats qui ont été reçus en début d'après-midi par des membres des cabinets de Matignon et du ministère des transports. « Les offres de reprises sont fragiles et plus incertaines les unes que les autres. Elles ne sont pas financées. Elles dépendent d’un accord avec la CMN et d’une renégociation opaque de la DSP… Le plan social, non plus, n’est pas financé », lâche à la sortie de la réunion Maurice Perrin, représentant CFE-CGC et des salariés actionnaires de la SNCM. En visite au même moment à Marseille, le Premier ministre, Manuel Valls, se veut, encore une fois, lénifiant : « L'objectif constant du gouvernement, dans le dialogue avec l'ensemble des parties, est d'assurer la continuité d'une desserte de la Corse et de préserver un maximum d'emploi. J'ai le sentiment - sans vouloir préjuger de la décision que prendra le tribunal de commerce - que cet objectif est possible et peut-être à portée de main ».
Le matin même, en préfecture d’Ajaccio et de Bastia, les représentants de la CTC et de l’Etat ont rencontré les socioprofessionnels pour les rassurer et anticiper un nouveau conflit social. Un dispositif pour éviter le blocage de l’île a été acté.
Le dossier des transports maritimes reviendra en débat à la prochaine session de la CTC, fin juin, pour examiner l’offre de reprise qu’aura choisi, entre temps, le Tribunal de commerce.
 
N.M.