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Processus d’autonomie : Les Nationalistes réaffirment leur détermination, la droite son scepticisme


Nicole Mari le Jeudi 24 Juillet 2025 à 21:25

Le comité stratégique sur l’avenir de la Corse, qui s’est tenu mardi soir à Paris, a été l’objet du premier débat de la session de juillet de l’assemblée de Corse. Un débriefing sans surprise avec les mêmes divergences d’appréciation entre une droite hostile à l’autonomie, qui prévoit le désastre, et des Nationalistes déterminés à se battre jusqu’au bout sans rien lâcher de l’accord politique signé en 2024. Pour le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, pas question de rater ce rendez-vous avec l’histoire. Il a lancé un appel au rassemblement des forces pour convaincre le Parlement.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Crédit photo Paule Santoni.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Crédit photo Paule Santoni.
Le débriefing habituel, après chaque Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, n’a, jeudi après-midi à l’Assemblée de Corse, fait que cristalliser les positions antagonistes déjà affichées. Les deux lignes de front, qui se dégagent depuis le début du processus de Beauvau en juillet 2022 entre une partie de la droite réfractaire à toute évolution institutionnelle et le reste de l’hémicycle, en première ligne les Nationalistes, qui revendiquent un statut d’autonomie avec dévolution d’un pouvoir législatif, se sont encore creusées après la réunion, mardi soir, à Paris avec le ministre de la décentralisation, François Rebsamen. Une réunion organisée pour discuter de l’avis consultatif du Conseil d’Etat qui, comme l’a résumé le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, « fait exploser l’ensemble de l’écriture constitutionnelle validée le 14 mars 2024 en ce qu’il remet directement en cause, ou en ce qu’il ouvre des brèches juridiques permettant de remettre directement en cause tous les points que nous considérons comme fondamentaux. Cet avis consultatif est, pour nous, dans sa portée, dans son argumentation, dans la logique juridique et politique qui le sous-tend, totalement inacceptable par rapport à notre démarche historique et par rapport à l’accord et au projet d’écritures constitutionnelles que nous avons validés ». Il rappelle que l’accord signé comprend « non seulement l’engagement de respecter le texte des écritures, mais aussi l’engagement du gouvernement de ne plus modifier ce texte jusqu’à ce qu’il soit transmis au Parlement ». Un engagement qui doit être tenu, estime-t-il, quelque soit le contenu de l’avis consultatif, « qu’il soit bon, qu’il soit mauvais, qu’il soit neutre ».
 
Les raisons d’un combat
Gilles Simeoni explique pourquoi il est fondamental de ne pas modifier le projet initial en prenant l’exemple du lien des Corses à leur terre. « Si nous avons choisi cette rédaction, c’est bien parce que la Constitution révisée doit constitutionaliser le lien entre les Corses et leur terre. Le but est de permettre à la loi organique d’organiser un statut de résident. Si la Constitution ne fait pas référence à un lien particulier entre les Corses et leur terre, le statut de résident, qui organise une mise en œuvre particulière du droit de propriété, risque d’être balayé par le Conseil constitutionnel ». Il récuse les arguments du ministre Rebsamen, qui souhaitait intégrer les modifications proposées par le Conseil d’État, plaidant que, si le texte restait tel quel, il risquait de ne pas passer au Parlement. « C’est un argument qu’on ne peut pas recevoir ». Le ministre estimait aussi que l’avis clarifiait un certain nombre de dispositions et même ouvrait des perspectives nouvelles. « Il y avait des ambiguïtés fortes dans la proposition du Conseil d’État, notamment concernant le pouvoir législatif qui, pour nous, est une condition sine qua non d’une véritable autonomie ». Les nationalistes arrachent la bataille, le ministre s’engage à transmettre le texte initial au gouvernement. « C’est à nous de convaincre les députés et les sénateurs de ne pas modifier le texte lors du débat parlementaire. L’avis du Conseil d’État va donner des arguments à ceux qui veulent que la révision constitutionnelle, si elle aboutit, soit très en de ça du projet d’écriture de mars 2024 », affirme Gilles Simeoni. Avant de prévenir : « Si les parlementaires décident de proposer un texte qui ne correspond pas à ce que nous avons accepté, y compris en termes d’équilibre et de concession, nous reprendrons notre liberté ».

Jean-Martin Mondoloni et Gilles Simeoni. Crédit photo Paule Santoni.
Jean-Martin Mondoloni et Gilles Simeoni. Crédit photo Paule Santoni.
Le principe de réalité
Le président du groupe de droite U Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni, favorable à l’intégration de la réécriture du Conseil d’Etat, n’a évidemment pas la même lecture de la réunion et de son issue. Il tacle le bras de fer des nationalistes face à un ministre qu’il a trouvé « à la fois très engagé, pondéré, agacé et résigné. Il a essayé de distiller ce qui pouvait être bon à prendre dans la proposition du Conseil d’Etat. Face aux coups de boutoir et à une résistance très forte de la majorité et de ses alliés, il s’est un peu agacé, a dit que ça ne passera pas les 3/5èmes, puis s’est résigné ». Et fustige une majorité « enchainée au texte initial. A partir du moment où on dit qu’il ne faut bouger d’un millimètre, l’affaire est entendue ». Pour l’élu de droite, il est temps de « revenir au principe de réalité. Il y avait quand même des choses qui pouvaient être enrichies, y compris l’article Un sur lequel nous sommes tous d’accord ». D’autant, ajoute-t-il, que désormais, « l’évolution institutionnelle de la Corse ne dépend plus des élus de la Corse, sauf des parlementaires. Ce n’est plus ici que ça se joue ! C’est le Parlement qui va trancher, il ne va pas se gêner pour amender. L’avis du Conseil d’Etat ne va pas rester dans les corbeilles de l’Assemblée nationale et du Sénat, il va infuser ». Pour lui, nul doute : « Le texte final sera inévitablement en dessous de celui-là. C’est un principe de real politique ».

Paul-Félix Benedetti. Crédit photo Paule Santoni.
Paul-Félix Benedetti. Crédit photo Paule Santoni.
Pas un caprice !
La riposte vient du président du groupe Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, qui justifie le refus des modifications. « Le maintien du texte en l’état n’est pas un caprice ! A quelques jours des 50 ans d’Aleria, c’est un texte, pour nous, a minima, un texte de progrès, d’émancipation, de paix, un juste retour après les échecs des années 90, 2000 et même 2018. Si on commence à modifier la virgule, ça autorise toutes les autres subtilités modificatrices qui sont, à tort, présentées comme des améliorations et des simplifications et qui transgressent sur le fond tous les principes du texte originel ». Il taxe l’avis du Conseil d’Etat de « pernicieux et sournois. On nous propose un droit de tirage au cas par cas avec la possibilité de faire des règles, mais sans aucune possibilité de faire du législatif. La manœuvre habile était de désacraliser le peu de fondement historique de l’article Un, de le martyriser fortement pour nous proposer, in fine, de nier le principe même de l’autonomie qui régit près de 300 millions d’habitants en Europe et toutes les îles voisines. C’est le bon sens qui nous a dicté que la modification était impossible ». Pour lui, il n’y a pas eu, comme l’insinue la droite, de « chantage, on a évoqué une réalité, on a fait une explication de texte », ni de pression sur le ministre pour lui arracher l’accord : « C’est totalement faux ! ». Quant à la modification du texte par le jeu parlementaire, il l’estime « techniquement possible, mais moralement et politiquement impossible. On ne règle pas un petit problème politique en Auvergne, mais un problème politique qui prend ses racines à plus de 50 ans. Le ministre a rappelé les drames, les morts pour essayer de nous faire accepter un nouveau consensus, on a dit non ».
 
Un parjure
Le leader indépendantiste ne croit pas aux petits soubresauts politiciens qui permettraient de modifier le texte. « L’avis prépondérant, c’est l’avis des Corses. A une solution politique, vont-ils choisir de créer un nouvel obstacle, un nouveau clivage, une logique de rapport de forces et probablement d’affrontement ? Ils connaissent les échecs des autres tentatives d’évolution institutionnelle ». S’adressant toujours à la droite, « à ceux qui ont des relais nationaux et qui sont farouchement opposés à ces principes politiques », il leur demande de « choisir le texte ou pas, pour ou contre, mais de ne pas chercher à vouloir faire un accord par-dessus l’accord, qui conviendrait à nos volontés d’apaisement ici en Corse. On demande que ceux qui sont contre se positionnent contre. On peut très probablement perdre, mais on peut aussi très probablement gagner avec une majorité consciente que la France a besoin d’évoluer et que ce qu’on demande, c’est ce qu’a la Sardaigne depuis 1948 ». Et lui aussi de prévenir : « l’esprit du texte constitutionnel, c’est de laisser le champ du possible pour les générations futures d’une autonomie pleine et entière, calée sur le modèle latino-méditerranéen. Celui qui est contre d’une manière frontale aura des problèmes parce que, politiquement, ce n’est pas acceptable, parce qu’il y a un état d’esprit. Transgresser l’état d’esprit, c’est un parjure. L’histoire nous jugera, mais l’histoire vous jugera aussi. Attention ! Ne cherchons pas à faire de la politique française sur le dos de la Corse ! ».
 

Saveriu Luciani. Crédit photo Paule Santoni.
Saveriu Luciani. Crédit photo Paule Santoni.
Un rapport de forces
L’élu du groupe Avanzemu, Saveriu Luciani, enfonce le clou : « On est quand même dans un recul manifeste de non-reconnaissance par Paris. On ne peut pas être un peuple entre deux dates, entre l’incertitude du passé et l’incertitude prégnante du futur. On joue le destin d’un pays ». Il prône la prudence : « L’instabilité ministérielle va peser dans les débats. On ne sait pas de quoi sera fait le gouvernement en octobre-novembre et de quoi va accoucher le Conseil des ministres. Les vicissitudes des parlementaires français vont nous donner du fil à retordre. Les équilibres sont précaires, y compris au sein du gouvernement. On est dans un contexte électoral qui va politiser à outrance la question de l’autonomie. Dans cette histoire, on joue plus que ce qu’on croit jouer ». Et de lancer : « Quoiqu’il arrive en Conseil des ministres le 30 juillet, ensuite au Parlement, bien sûr qu’on va faire du lobbying, mais les gens doivent être conscients d’une chose : on ne laissera pas brader ce pourquoi on se bat, que ça s’appelle écritures constitutionnelles ou autre chose. Le vrai match, si on y arrive, va se jouer sur la loi organique ». Ils appellent les nationalistes à rester déterminés et unis sur leur revendication : « On n’est pas très fort sur le rapport de forces, or c’est ce qui a toujours été déterminant. Il faut que les nationalistes corses réfléchissent à la manière de construire ce rapport de forces parce que les mois qui viennent vont tanguer ».
 
Le péché originel
Si elle reste la seule voix nationaliste discordante, l’élue de Nazione, Josepha Giacometti-Piredda, renchérit sur la question du rapport de forces politiques. Pour elle, l’avis du Conseil d’Etat et la réunion de mardi sont la justification éclatante de son refus de signer l’accord. « L’avis du Conseil d’Etat nourrit des détracteurs, des interprétations seront faites, mais le texte constitutionnel, tel que validé ici, le permet déjà. Le Conseil d’Etat n’a pas ouvert les brèches, il a juste élargi les brèches déjà posées, notamment sur le pouvoir normatif. Tout est déjà là pour tirer au plus petit dénominateur commun. Il n’y a pas d’accord, il y a une tentative d’écrire au plus précis ce qui peut convenir au camp d’en face, on bouge la virgule, ça déstabilise l’ensemble. S’il y avait eu un véritable accord politique dont aurait découlé les écritures constitutionnelles, on aurait discuté ». C’est ce qu’elle nomme : « le péché originel ». Et de préciser : « Comme nous sommes partis à l’envers, qu’on a ouvert les possibles au plus bas, qu’est-ce qui va en rester ? Le ministre va transmettre, il confiera ensuite le désossage au Parlement. Nous aurions voulu des négociations au plus haut, pour avoir ensuite des marges de négociation. Vous avez laissé la place pour avoir moins que rien, ce n’est pas une solution politique. S’il en sort quelque chose, ce sera une décentralisation plus poussée avec quelques particularités ».

Gilles Simeoni. Crédit photo Paule Santoni.
Gilles Simeoni. Crédit photo Paule Santoni.
L’enjeu du Parlement
Le président de l’Exécutif reprend la parole pour rappeler les enjeux à venir : « Le Parlement français fera-t-il le choix de respecter le suffrage universel des élus de la corse et du peuple corse et le fait largement majoritaire ? C’est là la question. Le gouvernement ne va pas saisir le Parlement pour améliorer la technique administrative de la gestion de la chose publique en Corse. L’enjeu fondamental de la saisine du Parlement est de savoir si, oui ou non, ils souhaitent entériner une logique de solution politique à travers une révision constitutionnelle, un statut d’autonomie qui permet de clore une histoire qui, pendant les dernières décennies, a été celle d’un combat politique, et d’en ouvrir une autre qui a vocation à s’inscrire dans la durée ». Et d’interroger : « Qui peut penser, un instant, au-delà de nos désaccords, qu’un seul d’entre nous peut imaginer brader ce qui nous constitue ? Personne à Paris ne pourrait l’imaginer ! ». Pour lui, ce combat a commencé avec l’avis du Conseil d’Etat. « Nous savons clairement quelles sont les forces, nous connaissons les positions du RN, les réticences de certains députés et sénateurs, mais nous savons aussi le soutien de beaucoup de formations. Nous constatons que, pour des raisons de politique interne française, des responsables LR, représentés dans cette assemblée, souhaitent que la révision n’aboutisse pas. Je leur dis que jouer l’échec de la révision constitutionnelle et du statut d’autonomie, c’est ouvrir la porte, à des mois, des années, peut-être des décennies, d’incertitude et de multiples dangers ».
 
Un bâton de pèlerin
Gilles Simeoni révèle que le président du Sénat vient d’écrire au gouvernement pour dénoncer une atteinte grave aux prérogatives du Parlement et lui demander d’intégrer, dès à présent, dans le projet d’écritures constitutionnelles, l’intégralité des préconisations du Conseil d’Etat. « Pour lui et pour ceux qui le soutiennent, en Corse et ailleurs, il ne peut pas y avoir de pouvoir législatif, de peuple ou de communauté corse, de liens singuliers à notre terre, de statut de résident, de statut de la langue corse », commente-t-il. Avant d’asséner : « A tout cela, nous n’y renoncerons pas, car y renoncer, ce serait renoncer à ce que nous sommes, à la raison essentielle qui nous a fait nous engager en politique ! ». Et de prévenir, lui aussi : « Ne nous y trompons pas ! C’est un rendez-vous essentiel pour la Corse. Nous savons ce qui va se passer si nous ratons ce rendez-vous, nous savons aussi ce qui va se passer si nous le réussissons. Nous construirons ensemble. Ce ne sera pas un grand soir. Il y aura encore des problèmes sociaux, économiques, des problèmes de spéculation, de voyous. On aura 10 ans, 20 ans, 30 ans, peut-être plus, de travail, mais on aura offert la paix à nos enfants et le droit de croire et d’espérer ». Avant de conclure sur un appel à l’union : « A ceux qui croient à ce texte, le moment est venu de monter ensemble à Paris en prenant notre bâton de pèlerin pour expliquer et convaincre, pour dire ce qu’est l’enjeu de la révision et du statut d’autonomie. Là où il y a une volonté politique, il y a un chemin juridique et constitutionnel ».
 
N.M.