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Polémique avec la droite ajaccienne : La colère et la mise au point féroce de Gilles Simeoni


Nicole Mari le Jeudi 31 Mai 2018 à 00:45

« Je suis très en colère ! ». C’est par ces mots que le président de l’Exécutif territorial, Gilles Simeoni, excédé par les attaques répétées de la droite ajaccienne par voie de presse, s’est décidé, jeudi après-midi, en fin de débat sur le budget primitif à l’Assemblée de Corse, à riposter vertement. Depuis plusieurs mois, la mairie libérale d’Ajaccio et la CAPA (Communauté d’agglomération d’Ajaccio) entretiennent une polémique récurrente sur le « mauvais traitement » financier, notamment en matière d’investissements routiers, que leur réserverait la majorité territoriale nationaliste. Gilles Simeoni, las d’apporter les mêmes réponses, avait finalement opté pour le silence. Mais, les critiques narquoises de Valérie Bozzi et de Pierre Jean Luciani sur son budget l’ont fait bondir. Sa mise au point, arguments et chiffres à l’appui, a été féroce et glaciale. Il revient, pour Corse Net Infos, sur les détails de l’enveloppe financière octroyée à l’agglomération Ajaccio et sur les généreux cadeaux du Conseil départemental de Corse du Sud à la ville.



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la nouvelle Collectivité de Corse (crédit photo MJT).
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la nouvelle Collectivité de Corse (crédit photo MJT).
- Qu’est-ce qui vous met autant en colère ?
- Je considère que, depuis plusieurs semaines, la ville d’Ajaccio et la CAPA entretiennent, à dessein et de mauvaise foi, une polémique vis-à-vis de la Collectivité de Corse (CDC), et particulièrement du Conseil Exécutif. Ils prétendent être victimes d’iniquité et d’ostracisme alors qu’ils savent pertinemment que ce n’est pas le cas ! Au contraire, dès mon arrivée aux responsabilités en 2016, j’ai tenu à investir largement, notamment dans le domaine routier d’Ajaccio et du Grand Ajaccio, précisément parce que, dans les périodes précédentes, ils avaient été insuffisamment pris en compte.
 
- Vous dites qu’avant votre arrivée, les subventions de la région à la ville se résumait à un chiffre : zéro euro !
- Oui ! Les chiffres sont clairs. Pour les routes territoriales du Grand Ajaccio sur la période 2002-2015 au titre du CPER, c’est-à-dire du contrat de plan Etat-Région : 0 € ! Sur le PEI (Plan exceptionnel d’investissements) 2002-2015 : 0 € ! Sur le cumul CPER-PEI 2002-2015 : 0 € ! En additionnant, on obtient 0 + 0 + 0 = zéro euro ! Que je sache, entre 2002 et 2015, le maire d’Ajaccio ou le président du Conseil exécutif n’était pas bastiais et n’était pas nationaliste ! Il y a eu, pendant cette période, des maires de gauche et de droite à Ajaccio et des présidents du Conseil exécutif de droite et de gauche. Nous ne sommes pas reprochables du zéro € d’investissement ! Quand à notre arrivée aux responsabilités territoriales en 2016, nous avons constaté cette injustice, nous y avons remédié.
 
- De quelle façon ?
-  Nous l’avons fait dès la 4ème convention du PEI sur laquelle nous avons eu la main. En ma qualité de président de l’Exécutif, j’ai dit qu’à partir du moment où il y avait eu cette iniquité de 2002 à 2015, qui est aussi le reflet d’une incapacité à construire des projets et à les faire prendre en compte, il fallait rétablir l’équilibre. Donc, sur une enveloppe disponible au titre des travaux routiers de 99,25 millions €, j’ai pris la décision d’en allouer 68,8 au bénéfice d’Ajaccio et du Grand Ajaccio, soit un pourcentage de 70%. Je ne vois pas en quoi la ville et la CAPA peuvent considérer que j’ai été inéquitable à leur égard !

- La mairie d’Ajaccio argue que les projets routiers n’ont pas vu le jour. Que répondez-vous ?
- Je n’en suis pas responsable ! Ce sont des opérations complexes qui soulèvent des problèmes de foncier, de passation de marchés, d’évaluation, de maîtrise d’œuvre… cela ne me concerne pas ! Et même si la CDC a la maitrise d’ouvrage, il est courant que s’écoulent plusieurs mois, voire plusieurs années, entre le moment où une décision est prise et le moment où elle commence à être exécutée sur le terrain. La Ville d’Ajaccio évoque de façon polémique un financement concernant le tunnel de Bastia, mais la décision a été prise en 2011 et exécutée à compter de début mai 2018 ! Il a fallu attendre plus de 7 ans ! Venir me dire que les décisions, que j’ai prises en 2016, ne sont pas encore exécutées, est un reproche qui ne résiste absolument pas à l’examen !
 

- Dans ce cas, comment expliquez-vous une telle polémique ?
- Je pense que c’est une polémique tout simplement suscitée par des choix politiques et même par une approche largement politicienne. Ne pas être d’accord politiquement n’implique pas forcément d’être d’une mauvaise foi totale comme le sont la ville d’Ajaccio et la CAPA depuis plusieurs semaines. Je me suis abstenu, ces dernières semaines, de tous commentaires publics, de toute polémique et même autant que possible de toute réponse. Mais, comme en plus de tout cela, j’ai été attaqué de manière frontale et extrêmement injustifiée et infondée sur la question de l’allègement de l’emprunt, j’ai décidé finalement de réagir.
 
- De quel allègement d’emprunt s’agit-il ?
- De 2015 à 2017, un premier allègement d’emprunt a été voté par le Conseil départemental de Corse du Sud (CD2A) au bénéfice de la ville d’Ajaccio. Concrètement, cela veut dire que le CD2A a payé, sur 3 ans, sur ses crédits propres, 10,5 millions € de la dette contractée par la ville d’Ajaccio pour un certain nombre d’opérations. Ce que je reproche, et qui est reprochable, c’est la deuxième phase de l’opération. En octobre 2017, à un peu plus de six semaines des élections territoriales et à deux mois de l’entrée en vigueur de la nouvelle Collectivité de Corse, le CD2A a décidé de prendre à nouveau en charge 10,5 millions € d’emprunt contracté par la ville d’Ajaccio, mais cette fois-ci pour les années 2018-2019-2020, en sachant pertinemment qu’il y avait toutes les chances pour que les Nationalistes gagnent les élections. Autrement dit, il a, par avance, imputé une dette, une charge, sur le budget à-venir de la nouvelle Collectivité de Corse. Il l’a fait, en plus, dans des conditions extrêmement critiquables et suspectes !
 
- C’est-à-dire ?
- Le CD2A a pris cette décision à travers une délibération de la Commission permanente et non par une délibération en session plénière. Il n’a inscrit, ni les autorisations de programmes, ni les crédits de paiement. Et il ne nous a pas informés, à partir de janvier, de cette décision qu’il avait prise. Quand j’ai fini par être au courant de ce choix, j’ai demandé un certain nombre de justificatifs au maire d’Ajaccio, notamment par un courrier en date du 26 avril dernier, courrier auquel je n’ai reçu aucune réponse. Au-delà de l’aspect juridique et technique, cela pose un problème politique et un véritable problème de fond. Cette somme de 10,5 millions €, qui sera payée par la nouvelle Collectivité de Corse au titre d’un engagement contracté subrepticement quelques semaines avant sa naissance, est de l’argent qui sera déduit de l’enveloppe de l’aide aux communes. Or, l’aide aux communes doit être répartie de façon équitable pour un montant annuel d’environ 54 millions €. On l’ampute de 10,5 millions € de remboursement d’emprunt au bénéfice d’une commune qui est très riche alors que des dizaines de communes en Corse ont vraiment besoin de cette aide. Je voulais que ce problème de fond soit abordé en séance publique aujourd’hui dans la mesure où il a été exposé de façon tronquée et polémique dans la presse par la ville d’Ajaccio.
 
- Est-ce la raison pour laquelle vous avez mal pris la critique de la droite concernant le retard de paiement de l’aide aux communes ?
- L’aide aux communes est intégralement payée pour l’exercice 2018, même s’il y a eu des difficultés en début d’année liées aux lenteurs et à la complexité inhérentes à tout processus de fusion. C’est particulièrement savoureux de s’entendre dire par la droite : « Vous avez un mois de retard dans la présentation d’un règlement transitoire d’aides aux communes », étant précisé que j’ai appliqué strictement les critères anciens de l’aide aux communes. Donc, tout le monde est payé de façon équitable. La droite me dit que je n’ai pas encore formalisé le document qui doit organiser tout cela. Ce sont les mêmes qui me reprochent ce retard d’un mois, dans les circonstances que l’on connaît, et qui, un mois avant la fusion, ont voté un crédit de 10,5 millions € au crédit d’une commune riche en dehors de tout règlement !

La mairie d'Ajaccio.
La mairie d'Ajaccio.
- Votre colère a, également, visé les ultimes décisions du CD2A. Que leur reprochez-vous ?
- C’est un tout ! Y compris dans des choix budgétaires éminemment critiquables en termes d’augmentation indue de la masse salariale, de diminution unilatérale des recettes fiscales, et d’autres éléments que je ne voulais pas évoquer dans le cadre du débat budgétaire et que j’ai été contraint d’évoquer dans la mesure où l’on me faisait ce mauvais procès sur les allègements d’emprunts d’Ajaccio. Il n’y a pas eu que ces allègements d’emprunts  à concurrence de 21 millions € sur deux périodes triennales. Le 21 décembre 2017, après les élections territoriales qui avaient consacré notre victoire et quelques jours avant l’entrée en vigueur de la nouvelle collectivité de Corse, le CD2A a consenti, à la ville d’Ajaccio et à la CAPA, un bail sur des locaux d’environ 1000 m2 au prix du domaine pour loger leurs services sociaux, alors que le CD2A louait des locaux pour abriter ses propres services. C’est quand même curieux ! On pourrait considérer que c’est un mauvais choix de gestion, mais il y a eu plus curieux encore.
 
- Quoi, donc ?
- Le 20 décembre 2017, là encore de façon subreptice, le CD2A a vendu à la ville d’Ajaccio des terrains et un bâtiment de l’ancienne UEFM pour un euro symbolique alors que les Domaines ont évalué leur valeur à 4 millions € au total ! Là encore, il y a une manœuvre qui a été manifestement, sinon douloureuse, en tous cas extrêmement préjudiciable pour la nouvelle CDC. Pierre-Jean Luciani, et les forces politiques qui le soutiennent, ont strictement respecté la promesse qu’il m’avait faite, quelques semaines avant l’entrée en vigueur de la nouvelle CDC. Il m’avait dit : « Si tu gagnes, je ferai tout pour que tu te retrouves avec des caisses vides. Je ne te laisserai même pas un euro en caisse ! Je dépenserai jusqu’au 31 décembre ». Il a tenu parole. Il n’a pas pu le faire jusqu’au 31 décembre, il l’a fait jusqu’au 21 ! Il a ajouté avec une forme d’humour - dans certains pourront penser qu’elle est, aussi, une expression de cynisme – que c’étaient des « cadeaux de Noël » !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.