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Plages de Pietrosella : Face aux inquiétudes, la mairie réduit la voilure


Sylvain Amiotte le Samedi 31 Mars 2018 à 21:05

La commune de Pietrosella a demandé à l’Etat la concession de ses plages, dont l’emblématique Mare e Sole, pour y aménager restaurants, matelas et parasols, jeux pour enfants et bases nautiques. L’enquête publique ayant fait apparaître des craintes de privatisation de l’espace et de dégradation d’un environnement fragile, la mairie a décidé de réduire d’un quart les surfaces visées. Le préfet devrait accorder son feu vert au projet dans les prochains jours. Les premières installations sont envisagées dès cet été.



Hostile au projet, l'association Le GARDE a pris cette photo début février montrant l'état de dégradation déjà avancé de la plage de Mare e Sole.
Hostile au projet, l'association Le GARDE a pris cette photo début février montrant l'état de dégradation déjà avancé de la plage de Mare e Sole.
Agosta, Stagnola, Ruppione, Cala Medea, Mare e Sole… Cinq plages magnifiques et jusqu’ici largement préservées, à l’exception de deux restaurants et quatre bases nautiques, qui bénéficient d’autorisations d’occupation temporaire (AOT) délivrées par le préfet. Souhaitant reprendre la main sur son littoral, la mairie de Pietrosella a demandé à l’Etat la concession de ses onze plages pour une durée de douze ans. Et a bâti un projet d’aménagement qui démultiplie sur cinq d’entre elles la surface d’occupation du domaine public : dans sa forme initiale soumise à enquête publique en janvier, la commune prévoyait au total pas moins de neuf restaurants et huit terrasses, dix espaces pour matelas/parasols, dix bases nautiques, deux terrains de beach-volley, trois zones de jeux pour enfants et un commerce.
 

Avec une emprise au sol qui aurait quadruplé (tout en restant officiellement modeste autour de 5%), et un linéaire de plage occupé qui aurait bondi de 3 % à 19,9 % pour Isolella Sud, de 0 % à 18,4 % pour Agosta, de 8,1% à 16% pour Stagnola, de 6,8% à 16,2% pour Ruppione, de 2,1% à 14,4% pour Mare e Sole… Là encore sous les 20% réglementairement admis, mais suffisant pour modifier profondément le visage de ces fleurons de la rive sud du golfe d’Ajaccio.

Une augmentation de l’activité jugée « excessive » dans l’avis - malgré tout « favorable » - rendu en août dernier par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Excessif également, selon la grande majorité des 47 personnes qui ont consigné leur avis sur le registre de l’enquête publique. « Je suis horrifiée par ce projet qui marque la fin de nos belles journées à la plage dans un environnement encore protégé et naturel », peut-on lire notamment.

"Coupe drastique sur les surfaces proposées"

Dans ses conclusions signées le 5 mars (et publiées le 27 mars), la commissaire enquêtrice, Jocelyne Bujoli, note que « la population s’est grandement intéressée » au dossier (plus de 1600 téléchargements sur internet) et résume l’opinion générale : « L’inquiétude de la population porte sur la préservation de la végétation, elle refuse de voir une privatisation des plages et souhaite une diminution significative des installations. » Et si la commissaire a finalement rendu au préfet un avis « favorable », c’est en l’accompagnant d’un certain nombre de réserves, notamment « une coupe drastique sur les surfaces proposées et la suppression de certains lots ».
 
Jean-Baptiste Luccioni, maire de Pietrosella, confirme ainsi que « la commune, sur proposition de la commissaire enquêtrice, a accepté de réduire de 25% la superficie du projet initial ». Sont notamment supprimés les trois lots de matelas/parasols sur les plages d’Agosta et de Cala Medea, leur vocation devant rester « familiale » selon la commissaire. A Stagnola, un restaurant-terrasse et deux lots de matelas disparaissent également, d’autres lots sont réduits : la surface aménagée (580 m2 actuellement) devait plus que doubler, elle sera limitée à 700 m2. Au Ruppione, l'espace alloué aux matelas et à la terrasse augmente en revanche aussi légèrement qu'étrangement. Enfin, à Mare e Sole, identifiée comme « espace remarquable et caractéristique » sur le plan environnemental, un restaurant-terrasse est supprimé et les deux zones de stockage pour bases nautiques chutent de 500 à 300 m2. Reste malgré tout un nouveau lot de terrasse de 200 m2.
 
L'association Le GARDE monte au créneau

En dépit de ces ajustements, l’association Le GARDE (groupement d’Ajaccio et de la région Corse pour la défense de l’environnement), qui a adressé un courrier détaillé lors de l’enquête publique, reste plus que jamais hostile au projet. « La commissaire enquêtrice a balayé tous les arguments qui ne concernent pas la taille des lots. Elle part du principe qu’on doit aménager les plages, au lieu de s’interroger sur l’opportunité de le faire », tempête un membre du bureau collégial de l’association. « Ce projet, illégal sur beaucoup de points, ne parle que de la commercialisation des plages au bénéfice de quelques intérêts particuliers et au mépris de la conservation de l’environnement. »

Convaincue - « comme la majorité de la population » - que les plages doivent rester « à l’état naturel » et « faciles d’accès », l’association estime notamment que la mairie « a menti sur leur surface réelle » et donc sur l’occupation annoncée du domaine public maritime. « La limite du rivage qui a été retenue est inférieure d’au moins cinq mètres à la limite réelle des hautes eaux, affirme Encore Le Garde. Par ailleurs, la mairie a prévu une zone de passage de 3 mètres alors que la loi impose 5 mètres en présence d’un retrait de côte, comme c’est le cas ici. Au final, à certains endroits comme au Ruppione ou à Stagnola, il ne restera pas de place pour passer ni pour les familles, et certains matelas prévus seront dans l’eau ! D’autant que la mairie a largement minoré les espaces effectivement nécessaires aux aménagements, et que les concessionnaires ont toujours tendance à déborder. »

Un argument jugé « malhonnête » par le maire de Pietrosella : « Quelle est la compétence technique et juridique de cette association à la vision manichéenne ? Ses membres ne sont pas des spécialistes. Et moi non plus ! Le dossier a été bâti par un bureau d’études en consultation permanente avec les services de l’Etat. Il a ensuite reçu un avis favorable à l’unanimité du Conseil des sites (ndlr : pages 25 à 32), qui est composé de nombreux techniciens et qui fait autorité en la matière. J’ai en outre écrit au préfet pour demander les limites du chemin des douaniers, mais il n’a pris aucun arrêté fixant cette servitude. La mairie n'a donc pas triché. »

Atteinte à l'environnement ?

L’association Le GARDE s’inquiète également d’une atteinte à l’environnement sur des plages qui figurent toutes dans le périmètre du site inscrit du Golfe d’Ajaccio, également site Natura 2000. L’emblématique Mare e Sole, « fleuron du golfe », est également classée comme « espace remarquable et caractéristique » et ZNIEFF de type 1 au sein de la dune de Pascialella, abritant des espèces de faune et flore rares et protégées. « Ces classements interdisent tout aménagement, sauf pour valoriser l’espace, c’est-à-dire aménager des chemins et installer des panneaux de sensibilisation, comme cela est fait au Ricanto, s’indigne Le Garde. Mais pas pour mettre des pédalos ! Nous souhaitons d’ailleurs que Mare e Sole, qui est déjà très dégradée, soit reprise par le Conservatoire du littoral, comme l’a été le Ricanto. »
 
Si le Conseil des sites a acté dans son rapport « l’absence d’impact négatif » sur l’environnement, l’avis de la DREAL était plus mitigé, évoquant un littoral sud du golfe ajaccien déjà « durement impacté », et dont la sauvegarde « est un enjeu majeur ». La DREAL écrit également que « les nouveaux équipements viendront porter atteinte à la valeur paysagère » de Mare e Sole, en réclamant à la commune une charte architecturale.
 
« La charte paysagère est faite, nous avons repris celle du département de Haute-Corse faite par le CAUE et les services de l’Etat », rassure le maire Jean-Baptiste Luccioni. « Et nous prenons l’engagement qu’aucune installation ne sera faite sur la partie végétale à Mare e Sole. »

Autre grief : l’association Le GARDE affirme que la station d’épuration de Cruciata, qui collectera les eaux usées des restaurants de ces plages, « n’assainit rien du tout et rejette tout en mer ». Là encore, le maire bondit : « Les travaux sont terminés depuis plus d’un mois. En cinq ans, il y a en effet eu une non-conformité des rejets l’an passé, à cause d’un problème technique. Mais c’est réglé et j’aimerais que toutes les collectivités de Corse aient le même équipement. »

Le maire plaide la "majorité silencieuse" favorable au projet
 
In fine, Jean-Baptiste Luccioni estime que ce projet d’aménagement permettra à la commune de « maîtriser l’aménagement global de son territoire ». Et de rappeler qu'une demi-douzaine de criques et plages incluses dans la concession ne feront justement l’objet d’aucune installation. Selon le maire, les gens favorables au projet sont « une majorité silencieuse » qui se prononce rarement lors d’une enquête publique. « Nous avons organisé une réunion publique, personne n’est venu. Je le regrette, je préfère un rapport direct. »
 
Aux tenants de l’immobilisme, Jean-Baptiste rétorque : « Il faut avoir la vision du résident permanent qui paie des impôts pour l’entretien des plages, la collecte des ordures, et la surveillance de la baignade (sept maîtres nageurs en été). Ce n’est pas à 1300 habitants de supporter la charge de 10 000 personnes qui sont là l’été. La concession permettra qu’ils contribuent eux aussi. » Et de préciser que l’installation de de toilettes et de douches font partie intégrante du projet, « alors qu’il n’y en avait aucune jusqu’ici ». Tout comme une accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Aussi, l’embauche d’un maître-nageur sur Mare e Sole est à l’étude, en lien avec la commune de Coti-Chiavari.
 
A ceux qui craignent une « bétonisation » du littoral, l’élu se veut une nouvelle fois rassurant : « C’est de la méconnaissance. Toutes les installations seront temporaires et démontables, c’est la loi. Elles resteront en place six mois par an maximum, il n’y aura rien en dur. » Selon lui, ce n’est pas la concession des plages qui entraînera leur sur-fréquentation. Quand bien même, « nous ne sommes pas des Indiens dans leur réserve, l’objectif est d’avoir un territoire le plus accueillant et attrayant possible. Il faut que la région vive. »
 
S’agissant des bases nautiques, elles proposeront de la voile, des pédalos et des paddles : « Il n’y aura toujours qu’un seul loueur d’engins motorisés, celui qui existe déjà à Stagnola. Je n’ai pas envie d’avoir à gérer des conflits d’usage. Celui de la plage d’Agosta avec jet-skis et parachutes ascensionnels est sur la commune d’Albitreccia, c'est l’Etat qui lui a donné l’autorisation. »

"Procès d'intention"
 
De même, Jean-Baptiste Luccioni promet que la commune veillera au respect des surfaces allouées : « Charge à nous de faire respecter la règle. Il y a des dépassements depuis des années et l’Etat ne fait rien. On nous fait un procès d’intention. »
 
Pas assez de parkings ? Le maire se défend : « Les arrière-plages appartiennent à des privés. Et la commune n’est pas le seul acteur, le Département s’occupe de la route et le préfet de la sécurité. J’avais proposé des solutions, je n’ai eu aucune réponse. » D’aucuns estiment encore qu’il n’y aura pas d’appel d’offres pour les lots concernés : « C’est obligatoire », balaie le maire.

Dans ce dossier, deux positions antagonistes s’affrontent, chaque camp s’accusant d’  « extrémiste ». La mairie ayant réduit la voilure, et vu les avis favorables du Conseil des sites et de la commissaire enquêtrice, le préfet devrait accorder ces prochains jours par arrêté la concession des plages à la commune. Après le temps nécessaire à la consultation des candidatures, la commune espère ainsi pouvoir attribuer de premiers lots dès cet été.

Tous les documents du dossier et de l'enquête publique sont consultables ici (site de la préfecture).