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Père Piotr Swider : « Dans Notre-Dame incendiée, la croix de l’autel se dresse pour nous dire le vrai sens d’une église »


Nicole Mari le Vendredi 19 Avril 2019 à 10:41

La célébration de Pâques est la plus ancienne et la plus grande fête de la Chrétienté. La Semaine Sainte, qui commémore la mort et la Résurrection du Christ, est le moment le plus important du calendrier liturgique. Du dimanche des Rameaux au dimanche de Pâques, les Chrétiens connaissent-ils la symbolique profonde du jeudi Saint qui renouvelle l’institution de l’Eucharistie, de la Passion du Christ ou de la veillée pascale. Le Père Piotr Swider, curé de la paroisse de Folelli et du secteur inter-paroissial de l’Ampugnani, La Porta, l’Orezza et la Tavagna, revient, pour Corse Net Infos, sur la signification des trois jours saints du Triduum pascal et réagit à l’incendie de Notre Dame de Paris.



Père Piotr Swider, curé de la paroisse de Folelli et du secteur inter-paroissial de l’Ampugnani, La Porta, l’Orezza et la Tavagna.
Père Piotr Swider, curé de la paroisse de Folelli et du secteur inter-paroissial de l’Ampugnani, La Porta, l’Orezza et la Tavagna.
- Qu’avez-vous ressenti devant l’incendie qui a ravagé Notre Dame de Paris ?   
- Comme l'archevêque de Paris lui-même l'a dit : le plus important n’est pas l'édifice de pierres, si beau et si chargé d'histoire qu'il soit, mais la communauté vivante des chrétiens qui s'y réunit pour y célébrer et nourrir sa foi, pour y recevoir la force d'accomplir sa mission auprès des hommes, dans tous les domaines de la vie. Une cathédrale n’est pas pour autant un édifice quelconque : ses murs ont été bénis, la table d'autel a été consacrée pour représenter le Christ lui-même. C’était bon d’entendre mille voix émues célébrer cet édifice comme lieu spirituel, lieu culturel, historique, touristique, cœur de la France et même de l’Europe… La ruine de Notre-Dame nous fait penser aussi aux nombreux lieux de culte vandalisés en France ces derniers temps. Nous ne pouvons pas oublier les églises détruites par les islamistes ou autres fanatiques qui persécutent les chrétiens dans beaucoup de parties du monde. En pleurant Notre-Dame, nous rejoignons ces autres chrétiens qui pleurent. Notre Dame sera reconstruite, mais il ne faut pas oublier ces autres églises blessées ou ruinées...   
 
- Jésus a dit : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai ! ». C’est d’actualité ?
- Il parlait du temple de son corps ! Il se considérait lui-même comme la vraie demeure de Dieu parmi les hommes et il faisait allusion à sa mort sur la croix. Le temple de Jérusalem a été rasé par les Romains mais l’Eglise, faite des pierres vivantes des baptisés, est debout depuis plus de 2000 ans. A l’intérieur de la cathédrale incendiée, la croix de l’autel se dresse toujours, blanche, dans le chœur. Cette croix nous dit le vrai sens et la vraie raison d’être de Notre-Dame de Paris, comme de toutes les églises : être la maison dans laquelle le Christ rassemble les siens pour célébrer le repas de la Pâque.

- Que représente la Semaine Sainte pour un chrétien ?
- La foi des chrétiens est concentrée dans le Credo qui résume le parcours du Christ - le Fils de Dieu - parmi les hommes. Il résume les vérités sur Dieu, sur l’homme, le monde… et constitue le socle des convictions chrétiennes. Il fonde la morale et la vie spirituelle des chrétiens. Et tout cela, les chrétiens le célèbrent par étapes tout au long de l’année liturgique, depuis le temps de l’Avent et de Noël jusqu’à la fête du Christ-Roi en novembre. Le moment le plus décisif de tout ce parcours, c’est le procès, la mort et la résurrection de Jésus. C’est cela que nous célébrons durant la Semaine Sainte, de l’entrée de Jésus à Jérusalem jusqu’à son retour vivant auprès des disciples le jour de Pâques. La mort et la résurrection sont absolument inséparables pour les Chrétiens.
 
- Pourquoi ?
- D’une part, si Jésus était seulement mort, on pourrait, à la rigueur, lui dresser un monument funéraire comme à un grand prophète, comme à Gandhi ou à Mandela. D’autre part, le Ressuscité est bien celui qui a été crucifié. Ce n’est pas un extra-terrestre venu d’on ne sait où. En faisant revivre Jésus, Dieu atteste à la face de toute l’histoire humaine que Jésus avait raison, que Dieu était de son côté, et que ceux qui l’ont tué, comme dit Jésus lui-même, « ne savaient pas ce qu’ils faisaient ! ».

- La Semaine Sainte est scandée par des moments forts. Quelle est leur signification profonde ?
- La Semaine Sainte commence le dimanche des rameaux par la triomphale entrée de Jésus dans la ville sainte des Juifs, Jérusalem. Ce triomphe est ambigu : il proclame que Jésus est  bien le Messie, le Fils de David, attendu par les Juifs, mais la plupart des gens de Jérusalem se trompent sur le règne qu’il est venu instaurer. Ils attendent un libérateur politique qui chasse l’occupant romain. Jésus, lui, est venu instaurer le règne du Père, comme il nous le fait demander dans la prière des disciples : « Notre Père, que ton Règne vienne… ! ». Les trois jours saints du Triduum pascal célèbrent les trois grandes étapes du drame. Le Jeudi-Saint, le dernier repas de Jésus avec ses amis, où il lave les pieds de ses disciples pour leur laisser en testament la consigne d’être des serviteurs. Il donne aux chrétiens, comme moyen de s’unir à lui, le partage du pain et du vin, dans le repas de la Messe.
 
- C’est l’instauration de l’Eucharistie…
- Oui. Le Jeudi Saint célèbre l’instauration de la messe et de l’Eucharistie, le principal sacrement des chrétiens, avec ses deux dimensions qui correspondent aux deux grands commandements de la loi de l’Evangile : aimer Dieu et aimer les hommes. Faire mémoire, par la communion au pain et au vin, de l’acte du plus grand amour que Jésus a offert aux hommes en donnant sa vie sur la Croix. Et donner comme axe central de la morale chrétienne le service du frère, symbolisé dans le lavement des pieds. Quand la messe, tous les dimanches et même tous les jours, risque de devenir une routine – chants, lectures, quête, communion… -, l’Evangile de la messe du Jeudi Saint fait choc et réveille les pratiquants que nous sommes.
 
- De quelle façon ?
- A côté des personnages auxquels nous sommes habitués - le prêtre, les fidèles, la chorale, les servants - il nomme explicitement, d’un côté, Dieu le Père et, de l’autre, le diable, et aussi, parmi les soi-disant fidèles, un Judas… L’Evangile de St Jean, qui est le plus mystique et le plus symbolique de tous, remplace le récit des rites sacrés du pain et du vin consacrés, que l’on n’ose même pas toucher, par le récit d’un geste des plus profanes : prendre un seau d’eau et laver les pieds des invités. Jésus dit : « C’est un exemple que je vous ai donné afin qu’à votre tour, vous fassiez comme j’ai fait pour vous ! ». Pratiquer le service des autres est aussi important que les rites religieux. Ce que Jésus enseigne à ses amis ce soir-là est tout aussi impressionnant : il les entend discuter de préséances, de pouvoir, de hiérarchie… et il inverse leur hiérarchie des valeurs : celui qui veut être grand, qu’il se fasse humble, discret, qu’il rende service sans faire de bruit… ! C’est en servant les pauvres que l’on sert Jésus : d’où le Carême de partage, la Conférence Saint-Vincent de Paul, la grave question, pour des chrétiens, de l’accueil des migrants. Est-il normal que l’on s’émeuve davantage, jusqu’au sommet de notre Etat laïc, de la reconstruction d’une cathédrale de pierres alors que des femmes, des hommes, des enfants se noient par milliers dans la Méditerranée ?

Père Piotr Swider : « Dans Notre-Dame incendiée, la croix de l’autel se dresse pour nous dire le vrai sens d’une église »
- Que comprendre du mystère du Vendredi Saint ?
- Le Vendredi Saint célèbre le procès et la mise à mort de Jésus, crucifié au milieu des malfaiteurs et mis au tombeau. Là, Jésus se trouve au milieu de tous les morts humains. Les chrétiens pensent qu’avant de sortir du tombeau, Jésus leur annonce mystérieusement qu’il les a libérés de la mort et qu’ils vont avoir part à la vie éternelle auprès de Dieu. Cette méditation occupe le Samedi Saint, l’attente et la préparation de la résurrection que Jésus avait annoncée. Après le coucher du soleil, le samedi soir, quand commence déjà le jour suivant, les chrétiens se réunissent pour la plus grande célébration de toute l’année : la Pâque, la résurrection de Jésus. La sortie du tombeau est comprise comme l’accomplissement pour toute l’humanité de la libération déjà expérimentée les Hébreux quand Moïse les a fait sortir d’Egypte et conduits à travers la Mer Rouge vers la Terre Sainte. Dans cette même nuit pascale, les chrétiens célèbrent le baptême. L’eau du baptême, comme les Hébreux traversant la Mer, les libère de l’esclavage du péché, et surtout, les met en communion avec la vie du Christ Ressuscité. C’est cette eau qui a jailli du cœur du Christ crucifié, transpercé par la lance du soldat.
 
- Quel est le message de la Résurrection ?
- La Résurrection, c’est le fondement de notre espérance. Dieu, qui nous a créés à son image, a mis en nous le désir d’une vie qui ne finit pas. Les êtres vivants de toutes les espèces vivantes transmettent la vie pour qu’elle continue après leur propre mort. Les enfants sont une victoire sur la mort. La fête de Pâques se célèbre au printemps, à la saison où apparaît la vie nouvelle qui continue l’aventure de la vie… Jésus sort du tombeau comme le plus grand vivant qui donne la vie éternelle à ceux qui se branchent sur lui par la foi, l’espérance et l’amour. Les chrétiens veulent activement que le pardon l’emporte sur la vendetta, que la paix l’emporte sur la guerre, que la solidarité l’emporte sur l’égoïste accaparement, que la beauté l’emporte sur la laideur, que la dignité l’emporte sur le mépris...
 
- L’évêque célèbre également la messe chrismale. De quoi s’agit-il ?
- Pour célébrer la messe et les autres sacrements – le baptême, la confirmation, le pardon au nom de Dieu… - Jésus a choisi des hommes auxquels il a donné cette mission particulière. Cette mission se continue à travers les évêques et les prêtres ordonnés. La messe chrismale est le moment où tous les prêtres renouvellent leur lien étroit à l’évêque dans l’accomplissement de leur mission. C’est aussi la messe au cours de laquelle l’évêque bénit, une fois pour toutes, les huiles qui serviront dans la célébration des sacrements du baptême, de la confirmation, de l’ordination et de l’onction des malades… C’est une manière de signifier l’unité de toutes les célébrations faites au long de l’année. C’est toujours le même Esprit qui sanctifie à travers l’action liturgique de l’Eglise.

- Quel est l’acte le plus important à accomplir pour un chrétien à Pâques ?
- C’est certainement de renouveler au fond de son cœur le Non et le Oui qu’il a prononcés lors de son baptême :  le « Non » aux forces du mal et de la mort – en particulier en se confessant et en se réconciliant avec ceux avec qui il est brouillé - et d’autre part, le « Oui » à Jésus Christ et à l’Evangile – célébré par la communion eucharistique - le Oui à la communauté chrétienne, l’Eglise, dont il s’engage à nouveau à partager la foi et la mission.
 
- Que signifie le jeûne ?
-  Il a deux grandes significations. D’abord, se dire que satisfaire les besoins du corps ne suffit pas, il faut aussi s’occuper de la faim spirituelle de son âme. Jeûner et se recueillir, méditer, prier... vont ensemble. Il y a la vie sur la terre, mais il y a aussi un « au-delà »… Jésus parle du festin du Royaume… Qu’est-ce que ça me dit ?  Ensuite, jeuner est une manière d’ouvrir les yeux et de voir que des millions de frères humains ne mangent pas à leur faim. C’est partager le pain avec eux et réfléchir aussi sur son mode de consommation, sur quel type d’économie on soutient quand on va voter : l’inégalité du capitalisme ou la solidarité et le partage des biens de la terre que Dieu a donné à tous les hommes…
 
- Quelle est la place de la Vierge Marie dans ces célébrations ?
- L’Evangile dit que la Vierge Marie était debout au pied de la Croix de Jésus. Elle est la figure de toutes les mamans qui souffrent avec et pour leurs enfants. Elle nous indique comment compatir avec ceux qui souffrent, comment tenir debout dans les plus douloureuses épreuves en restant uni à Jésus en croix. Elle était dans la foule de Paris pleurant la cathédrale en flammes, lundi dernier, et priant avec eux. Marie, en même temps, gardait, dans son cœur, toutes les paroles de Jésus annonçant la Résurrection et la victoire du Royaume de Dieu. Marie nous attend dans la joie de Pâques, mère des vivants, mère de tous les baptisés de Pâques, mère de l’espérance…
 
- Les Corses sont toujours très nombreux à célébrer la Semaine Sainte. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
- C’est une très bonne nouvelle. Il faut leur souhaiter de s’ouvrir vraiment, de manière intelligente et responsable, à ce que l’Eglise leur propose par ses célébrations et de dépasser tout attachement à des croyances fétichistes. Le buis, le sel, l’eau… qu’on apporte à la maison ne sont que des signes de l’accueil qu’on fait à Jésus, comme Zachée. On accueille Jésus dans sa vie personnelle, familiale, dans le village, le monde économique, politique, culturel…
 
- Que pensez-vous justement de certaines coutumes corses qui sont autant de survivances païennes ?
- Tous les hommes, de toutes les races et cultures, sont confrontés au mystère de la vie et de la mort. Tous cherchent à donner sens à l’aventure de la vie. Tous luttent contre les forces de mort, de division, de destruction… et cherchent à vivre plus heureux sur la terre. Tous se préoccupent de ce qu’il advient des défunts après leur mort. Pour conjurer les forces négatives et favoriser les forces positives, toutes les cultures ont inventé des langages, des rites, des lois, des tabous… En Corse aussi. Le Christ, par sa vie et son message, apporte la lumière à toutes ces interrogations et trace aux hommes le chemin de la vérité et de la vie. Tous ont intérêt, si on peut dire, à l’écouter et à le suivre pour ouvrir les yeux, se lever de leurs paralysies et expérimenter, dès cette terre, ce qui arrive quand advient le règne de Dieu !    
 
Propos recueillis par Nicole MARI.