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P.-F. Benedetti : "Proposer l’article 72, c’est mentir aux Corses"


Nicole Mari le Dimanche 15 Septembre 2013 à 01:22

Le mouvement indépendantiste, U Rinnovu, fait sa rentrée politique en présentant sa nouvelle coordination nationale et en réagissant sur le contenu de la réforme constitutionnelle qui sera mise en débat et au vote les 26 et 27 septembre à l’Assemblée de Corse (CTC). Son leader et conseiller territorial, Paul-Félix Benedetti, explique, à Corse Net Infos, que les mesures phares de cette réforme sont anticonstitutionnelles et qu’elles ne suivent pas les recommandations des experts. Il accuse l’Exécutif territorial de mentir aux Corses et appelle au regroupement des Nationalistes.



Le leader d'U Rinnovu, entouré des membres de la coordination nationale.
Le leader d'U Rinnovu, entouré des membres de la coordination nationale.
- Qu’est-ce qui vous chiffonne dans le rapport sur la réforme constitutionnelle ?
- Le débat à-venir est important. C’est un tournant pour l’histoire de la Corse. Il dessine la 4ème évolution institutionnelle de l’île des années 2014-2015, après celles de 1982, de 1992 et des années 2000. Cette réforme doit être faite pour quelque chose d’opérant et de significatif.
 
- Qu’est-ce qui est significatif aujourd’hui ?
- C’est de se mettre d’accord sur le fait que la Corse est agressée de toutes parts et qu’elle a besoin de mesures protectionnistes fortes. La citoyenneté territoriale, avec un droit pour les résidents insulaires jouissant d’un nombre d’années de résidence conséquentes, 10 ans en ce qui nous concerne, serait de nature à protéger l’île et à empêcher cette invasion multiforme. Cette idée, au départ portée par les seuls nationalistes, est, aujourd’hui, partagée par des progressistes. Ce qui veut dire que si, demain, on entre dans une voie d’évolution institutionnelle et constitutionnelle, cette voie doit être en mesure de permettre cette évolution statutaire et cette contrainte protectionniste.
 
- Le pourra-t-elle ?
- La CTC a consulté un collège d’experts, des professeurs de droit constitutionnel, dont faisait partie le Pr Carcassonne qu’on ne peut nullement accuser d’avoir été complaisant avec les Nationalistes puisqu’il fut, en son temps, porte-parole du PRG, le parti de Paul Giacobbi. Le Pr Carcassonne a très clairement dit que la citoyenneté n’était pas anticonstitutionnelle si elle était présentée sous forme d’un droit positif, c’est-à-dire si elle était là pour protéger des minorités, pas pour contraindre des populations. Pour que ce principe soit opposable à la Constitution française, il faut que la Corse se place au niveau des régions menacées, comme, par exemple, la Polynésie française.
 
- C’est-à-dire ?
- Il faut que la Corse soit inscrite dans les articles 73 et 74 de la Constitution, articles qui concernent les anciennes colonies françaises. Le Pr Carcassonne a proposé une réécriture de ces articles pour permettre à la Corse de recevoir des mesures spécifiques.
 
- Ce qui n’est pas demandé par le rapport Chaubon ?
- Le rapport Chaubon et la proposition de l’Exécutif demandent d’inscrire la Corse au niveau de l’article 72. C’est un article générique qui fait l’almanach des collectivités territoriales de France. Le fait de placer la Corse à part des autres régions lui permet d’avoir des spécificités d’ordre réglementaire dans l’axe de la fiscalité. Mais, pas de mesure de type citoyenneté ! Le Pr Carcassonne et le collège d’experts ont été très clairs sur ce point. Dire qu’on est pour la citoyenneté, comme le dit le Président Giacobbi, et ne pas proposer un article qui rend ce principe constitutionnel, c’est mentir aux Corses ! Proposer l’article 72, c’est se positionner sur une réformette !
 
- Où est le blocage ?
- Les Corses découvriront, dans 1 ou 2 ans, que l’évolution institutionnelle, si elle se faisait par l’article 72, ne permet pas le statut de résident parce qu’il y a rupture d’égalité entre les citoyens. Le blocage ne vient pas seulement des articles de la Constitution, mais aussi du rappel, dans la Constitution française, de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui rend tous les citoyens égaux. A partir de là, il ne peut pas y avoir de mesures spécifiques pour un contingentement de la population, sauf si cette petite population à protéger est déclarée en danger.
 
- Pensez-vous que l’Exécutif territorial et son président jouent un double jeu de dupes ?
- Il faut être objectif ! Le parcours politique d’un Paul Giacobbi est tortueux. Il a été l’antinationaliste primaire qui, en 1992, a participé à la Sainte alliance en intégrant la majorité de droite comme un appendice et un supplétif républicains pour empêcher les Nationalistes de prendre le pouvoir à la CTC. Aujourd’hui, il semble avoir évolué et se range dans le courant progressiste. C’est positif. Mais, nous, Nationalistes, devons rester sur des revendications acceptables et formalisables par des actes forts. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu’une évolution institutionnelle est une victoire. Si elle est à minima et qu’elle rend inopérant un principe minimum, comme la citoyenneté régionale et territoriale, on commet une faute politique et une erreur de positionnement historique.
 
- Que demandez-vous ?
- U Rinnovu s’inscrit dans une logique indépendantiste et souverainiste. Nous faisons, donc, un sacrifice dogmatique en demandant une étape transitoire sur une feuille de route de reconquête de la souveraineté, qui soit acceptable par la communauté corse dans son ensemble sur tous ses horizons. Cette étape, c’est d’instaurer une réglementation qui permet la citoyenneté et d’enrayer l’invasion de la Corse au niveau économique, de la dépossession foncière, des acculturations et même de la démographie. Cette mesure, qui sera, bien sûr, contraignante pour ceux qui seront déclarés non-résidents, est positive et protectionniste pour tous les résidents.
 
- Beaucoup d’élus la jugent ségrégationniste. Que leur répondez-vous ?
- C’est la mesure la plus généreuse qui ait jamais été proposée ces 30 dernières années en Corse ! On rend les 300 000 habitants de l’île au même niveau d’égalité ! On les déclare, tous, citoyens de l’île de Corse avec des droits spécifiques. On ne peut pas faire mieux qu’intégrer toutes ces personnes sur ce droit positif qui est un droit constitutionnellement recevable, s’il est adossé à cette mesure spécifique qui mettrait la Corse au même rang que la Polynésie française.
 
- Vous êtes très critique envers la coalition de gauche qui forme la majorité territoriale. Que lui reprochez-vous ?
- Nous ne lui reprochons rien. Nous savions, dès le départ, qu’elle est hétéroclite et archaïque, qu’elle est faite d’une juxtaposition de forces qui sont, globalement, incompatibles. Leur seul prétexte est de se revendiquer d’un idéal social de gauche. La réalité, c’est que, depuis 4 ans, les avancées sociales de la Corse se font attendre. Il n’y a pas de traceur majeur de cette politique. Par contre, les prises de positions tous azimuts et complètement désordonnées de cette pseudo-majorité donnent tous les éléments aux Jacobins parisiens, dont Manuel Valls est aujourd’hui le représentant, pour sanctionner la Corse. Manuel Valls a les mêmes positions qu’avaient, jadis, les anciens ministres de l’Intérieur : Poniatowski, Pasqua et Sarkozy !
 
- Pourquoi appelez-vous, comme l’a fait Corsica Libera, au regroupement des Nationalistes ?
- Les Nationalistes constituent, dans le terrain politique corse, une force incontournable, prépondérante. Nous sommes un courant politique qui, aujourd’hui, est globalement majoritaire en Corse, du moins dans sa composante structurelle. Nous sommes l’élément moteur, celui qui a porté toutes les revendications qui sont en débat aujourd’hui. Nous sommes la communauté politique qui a le plus de convergence et une vue commune sur des éléments très importants de l’organisation de la société. Par exemple, sur la citoyenneté, nous nous retrouvons tous !
 
- Qu’en déduisez-vous ?
- Que les Nationalistes doivent agréger des forces supplétives et non pas faire des allégeances tactiques sur des forces clanistes, fussent-elles dans la voie d’une évolution progressiste ! On doit poser notre discours, notre revendication, et imposer, par la concertation, un positionnement politique permettant à la Corse de demain d’être apaisée et de faire un saut qualitatif en termes d’évolution institutionnelle. Ceci, pour solder 40 ans de conflits et de sacrifices.
 
- Ce regroupement l’appelez-vous aussi pour les échéances électorales à-venir ?
- En politique, les choses sont logiques. S’il y a une synergie d’action, des traceurs probants en termes de positionnement et de résultats, comme, par exemple, sur l’évolution institutionnelle, si nous sommes assez constructifs pour amener toutes nos forces vers un intérêt général qui est l’intérêt d’une nation corse en perdition, il est naturel de penser qu’il peut y avoir des regroupements politiques. Rien ne rapproche plus les Nationalistes entre eux qu’un programme commun sur une base à-minima de la 1ère étape de la souveraineté, comme la citoyenneté au titre d’un statut spécifique inscrit dans la Constitution au même rang que les anciennes colonies extra-maritimes.
 
- U Rinnovu, participera-t-il, d’une manière ou d’une autre, aux scrutins municipaux ?
- U Rinnovu a toujours su prendre ses responsabilités face à des échéances, même quand il a été dans des positions difficiles. Aujourd’hui, c’est un mouvement posé qui se positionnera de manière stratégique et entend peser, y compris sur les scrutins municipaux qui sont importants parce que ce sont des scrutins de proximité. Ils permettent aux citoyens de Corse de s’exprimer et d’essayer de sortir du carcan claniste. On le voit dans de nombreuses communes où des héritages se transmettent de manière séculaire, ce qui est tout à fait irrecevable dans le monde du 21ème siècle.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.