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« On se bat contre des moulins à vent » : U sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi alerte pour l’avenir de la pêche corse


le Vendredi 26 Décembre 2025 à 17:54

Face à des réglementations européennes jugées inadaptées à la réalité insulaire, U Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi alerte sur un risque de fragilisation durable, voire de disparition, de la pêche corse. Créé fin 2023, le collectif multiplie les actions et plaide pour la mise en place d’un plan de gestion spécifique, pensé à l’échelle de l’île.



« On se bat contre des moulins à vent » : U sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi alerte pour l’avenir de la pêche corse
Ils dénoncent des réglementations qu’ils jugent « déconnectées de la réalité du terrain » et alertent sur un risque réel de disparition de la pêche corse. Depuis fin 2023, U Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi ne cesse de relayer les fortes inquiétudes de la profession, face aux menaces qui pèsent sur elle et en particulier à « l’attaque brutale de l’initiative West Med ». « Nos chalutiers sont englobés dans une politique européenne qui ne correspond absolument pas à la réalité de la pêche en Corse », explique Joseph Sanna, le secrétaire du collectif et patron-pêcheur. « Ces règles impactent gravement nos chalutiers, avec un risque réel d’arrêt pur et simple », s’alarme-t-il, en déplorant en parallèle le manque de soutien du Comité national des pêches qui « n’a jamais fait valoir la différence fondamentale entre la petite pêche côtière corse et la pêche industrielle ».
 
Alors pour tenter de faire bouger les lignes et « tirer la sonnette d’alarme », U Sindicatu multiplie les actions. À l’instar de la mobilisation du 31 mars dernier, qui a notamment donné lieu à une rencontre avec l’ensemble des présidents de groupe de l’Assemblée à la Collectivité de Corse, durant laquelle les pêcheurs ont pu exposer les spécificités de la pêche insulaire et demander leur reconnaissance institutionnelle. « Les réglementations européennes et françaises deviennent de plus en plus lourdes, totalement inadaptées et font peser un vrai risque sur l’avenir de la pêche corse. C’est ce qui nous a poussés à agir », souligne Joseph Sanna, « Nous savons déjà que 2026 sera très difficile. C’est un combat sans fin », appuie-t-il.
 
Un sentiment d’injustice partagé par les rares patrons de chalutier toujours en exercice en Corse, à l’instar de Pierre Bouvet à Porto-Vecchio. « Nous ne sommes plus que cinq bateaux pour 1 000 kilomètres de côtes. Il n’y a aucun risque de surexploitation ou de surpêche. Pourtant, alors que nous ne sommes pas confrontés à ces problématiques, on nous applique les mêmes réglementations que sur le continent, dans des endroits où il y a surexploitation, tout cela sans aucune donnée scientifique », dénonce-t-il en assurant que ce constat a également été partagé par les instances de l’initiative West Med, sans que les choses ne bougent. « Et nous allons de discussions en discussion, de réunion en réunion, pour qu’à chaque on s’entende dire qu’effectivement nous ne sommes pas en surpêche, mais on nous applique quand même la réglementation européenne », tance-t-il en détaillant : « On nous a notamment imposé d’emblée des restrictions sur les jours de pêche qu’ils ont limité à 160 sorties par an sans compensation financière, alors même que nous avons les salaires et les charges à payer ». 
 
Des contraintes économiques qui viennent accentuer la fragilité du secteur. « Un petit bateau en Corse, s’il atteint 60 000 euros de chiffre d’affaires annuel, c’est déjà le maximum. Sur le continent ou dans l’océan, le même bateau peut faire 800 000 euros », souligne le professionnel, pointant le coût insupportable de réglementations toujours plus nombreuses. L’extension de certains dispositifs, comme le plan Merlu, aux petits métiers suscite également l’incompréhension. « Pour les petits métiers en Corse, un quota de 200 kilos de merlu par an a été accordé. Si on fait le calcul, cela représente 800 grammes par bateau et par an », siffle Pierre Bouvet. « On nous a donné raison sur ce point, mais rien n’a été modifié ».
 
À force de réglementations, U Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi craint donc une disparition progressive de la filière. « Comment voulez-vous qu’un jeune s’investisse dans la pêche sans savoir de quoi demain sera fait ? », interroge Pierre Bouvet. « Il faut une rentabilité minimale pour rembourser les prêts, payer les marins. Mais si on n’a plus les jours pour aller en mer, comment faire ? À la limite, qu’on nous supprime des jours avec des compensations financières. Là, on ferme et on ne touche rien. » Pour les pêcheurs, la seule issue serait de facto l’élaboration d’un véritable plan de gestion insulaire. « Nous sommes à part par rapport au continent. Il faut un plan qui corresponde aux réalités de la pêche corse », appuie Pierre Bouvet.
 
En ce sens, un dialogue a toutefois été engagé avec l’État. Les représentants d’u Sindicatu pà a difesa di i piscadori corsi ont en effet rencontré successivement les deux préfets de Corse, Jérôme Filippini puis Éric Jalon, ainsi que les services concernés, notamment la Direction de la mer et du littoral de Corse (DMLC). Des échanges qui ont permis l’approbation d’un plan de gestion régional. Le recueil de données a débuté en mai 2025 et plusieurs groupes de travail ont été constitués sous l’égide de la DMLC, avec pour objectif de finaliser ce projet au premier trimestre 2027, tandis qu’une première réunion s’est tenue le 13 novembre dernier. « C’est une bataille que nous menons depuis longtemps, mais le chemin reste encore très long », tempère Joseph Sanna, évoquant notamment les difficultés liées à la formation des marins, au prix des carburants, à l’emploi de main-d’œuvre étrangère ou encore au matériel de sécurité imposé. « Mais ce qu’il nous faudrait avant tout c’est un plan qui nous sorte du carcan des lois européennes pour ne plus être obligés de subir des directives qui ne correspondent pas à notre réalité », avertit de son côté Pierre Bouvet en concédant que tout cela est extrêmement compliqué. « On a parfois l’impression d’être Don Quichotte, à se battre contre des moulins à vent ».