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Jean-Guy Talamoni : « Nous demandons aux Corses de nous donner la force suffisante pour défendre leurs intérêts »


Nicole Mari le Mercredi 19 Mai 2021 à 18:45

Quelle place doit avoir Corsica Libera dans le paysage politique et institutionnel corse ? C’est tout l’enjeu du 1er tour de l’élection territoriale, le 20 juin prochain, pour le parti indépendantiste, forcé de partir seul après l’éclatement de la majorité territoriale. C’est aussi la question que pose son chef de file, le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, qui a réussi, en quelques jours, malgré les divisions internes, à rassembler ses militants. Très critique envers le bilan d’une majorité auquel il a participé, il pose son parti comme le chantre de la fidélité à l’idée nationale et à ses fondamentaux. Et explique que Corsica Libera entend se jeter dans la bataille avec détermination pour passer l’écueil des 5% et obtenir une chance de se maintenir, même si, pour l’instant, aucune fusion n’est garantie.



Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse et chef de file de la liste Corsica Libera aux élections territoriales des 20 et 27 juin prochain. Photo CNI.
Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse et chef de file de la liste Corsica Libera aux élections territoriales des 20 et 27 juin prochain. Photo CNI.
- Vous êtes l’élu le plus ancien de l’Assemblée de Corse. Pourquoi repartir pour un nouveau mandat ?
- Je repars parce qu’on me l’a demandé, parce que la situation n’est pas facile. J’aurais considéré cela comme un abandon de poste, si je n’avais pas répondu favorablement à cette demande. Nous allons à ce combat avec détermination. Nous allons convaincre le maximum de Corses qui ne le seraient pas encore. Nous avons la faiblesse de penser que les Corses n’accepteront pas qu’un mouvement historique, qui a donné autant, soit, demain, marginal dans le paysage politique de la Corse. Nous attendons avec sérénité le jugement des Corses. Quel qu’il sera, nous l’accepterons.  
 
- Vous partez avec une liste militante, montée en quelques jours. Pensez-vous réussir à franchir la barre des 5% ?
- Bien sûr, nous savons que la mission, qui nous a été donnée, est une mission difficile. Au terme de ce parcours, il peut y avoir le succès ou l’échec. Nous nous présentons avec confiance devant les Corses, avec notre foi, notre détermination et la crédibilité d’un mouvement historique qui a traversé beaucoup d’époques de l’histoire contemporaine de la Corse. Un mouvement qui a encore des choses à dire et à défendre et qui l’a fait au sein de la majorité pendant 5 ans. Nous espérons que nous pourrons continuer à le faire. Nous n’ignorons pas les difficultés à obtenir un score considérable dans une conjoncture extrêmement complexe, mais, comme vous le voyez, il n’y a pas d’abandon de poste. Notre liste est composée de militantes et de militants dans leur diversité, de beaucoup de jeunes qui sont réunis autour de l’idée nationale. Ce ne sont pas des porteurs de voix, ce sont simplement des porteurs d’idées.
 
- Est-ce pour cela que vous insistez tant sur les fondamentaux du mouvement national ?
- Oui ! La candidature de Corsica Libera est la candidature de la fidélité à l’unité du mouvement national et à ses fondamentaux. Ces fondamentaux, nous les défendons depuis fort longtemps, bien avant la mandature qui a commencé en 2015. Pendant ces deux mandatures qui se sont succédé, parfois nous avons obtenu satisfaction, parfois nous étions loin de ce que nous souhaitions. En tout cas ce qui est certain, c’est que nous n’allons pas en changer à l’occasion de cette élection territoriale.

- Vous êtes très critique sur le bilan de la majorité à laquelle vous appartenez et que vous n’assumez que partiellement. Pourquoi ?
- Comme cela a été dit par les conseillers exécutifs sortants lors de la présentation de notre liste, Corsica Libera a pesé du poids qui a été le sien - Corsica Libera n’était pas majoritaire au sein de notre mandature – à travers des rapports et des motions qui ont été déposés, mais également à travers des amendements aux rapports du Président du Conseil exécutif. Nous avons pesé de l’intérieur, sans doute pas suffisamment ! Il est tout à fait évident que seules, les élections permettent, à un moment donné, de dire quel est le poids d’une formation comme la nôtre. Ce qui est certain, c’est que les Corses, qui voteront pour Corsica Libera, sauront parfaitement pour qui ils votent. Les choses sont tout à fait claires, s’agissant de l’idéal qui est le nôtre, des idées que nous portons, des perspectives que nous traçons, et de la volonté qui est la nôtre.
 
- Qu’est-ce qui n’a pas été fait, selon vous ?
- Nous pensons, bien sûr, que la gestion a été meilleure que celle des mandatures précédentes. En revanche, nous nous étions engagés à gouverner, le serment que nous avions prêté tous ensemble allait dans ce sens. Nous pensons, pour notre part, qu’il n’y a pas eu de gouvernement de la Corse au cours Grandval. Malheureusement, le gouvernement de la Corse était vraiment au palais Lantivy ! Ce n’est pas acceptable ! Ce que nous proposons, c’est de renforcer le mouvement national, son discours et son action, de faire appel à toutes les forces qui sont les nôtres, c’est-à-dire pas seulement les élus de la Collectivité que nous avons et que nous pouvons avoir demain, pas seulement les élus municipaux - nous en avons de nombreux -, mais également les forces sociales, syndicales, les organisations socioprofessionnelles proches de nous, les élus consulaires - Chambres de métiers, d’agriculture, de commerce… Nous avons également une force militante, des sympathisants, nous pouvons avoir recours à la mobilisation populaire. Voilà comment, selon nous, il faut provoquer le changement dans les relations entre la Corse et Paris ! Ce n’est pas en étant soumis à l’égard de Paris, en étant déférent pour reprendre le mot de Jean-Martin Mondoloni qui malheureusement a semblé recevoir un certain écho au sein même de notre majorité, que Paris changera d’attitude ! Si l’histoire nous enseigne un certain nombre de choses, c’est que Paris n’a jamais cédé que devant le rapport de force ! Quelque soit la nature du rapport de force !
 
- C’est-à-dire ?
- Cela ne veut pas dire qu’il faut retourner 20 ou 30 ans en arrière, les choses ont changé, le monde et la Corse aussi. Mais, on peut réinventer le rapport de force. Il faut le faire avec tous les moyens qui sont à notre disposition, pas seulement les moyens institutionnels de la Collectivité. Il ne faut pas être au garde-à-vous devant les préfets et les ministres ! Lorsqu’on veut faire quelque chose et que cela nous paraît dans l’intérêt des Corses, il faut le faire dans la coordination et la complémentarité, quelque soit l’avis de l’État ! S’il y a des problèmes d’ordre juridique, il faut les surmonter et, au besoin, bousculer le droit français qui nous est imposé. Dans un grand nombre de cas, nous aurions pu agir, sans qu’il y ait danger en termes d’équilibre institutionnel et juridique.

- Quels cas, par exemple ?
- Par exemple, la certification sanitaire. Je l’ai demandée, pour ma part, en février 2020, à l’occasion d’une conférence des présidents, et je l’ai réitérée dans mon rapport de mars 2020. Le Président du Conseil exécutif l’a reprise, un temps, sous le nom de Green Pass. C’était la même chose ! Nous étions d’accord ! Cela été voté par l’Assemblée de Corse. L’État a dit non ! Notre majorité savait que cette certification sanitaire était positive pour les Corses et c’est pour cela que nous l’avons votée, positive en termes bien sûr de santé publique - il y a eu malheureusement une deuxième vague - mais aussi économiques parce que la deuxième vague a eu également un effet catastrophique sur le plan économique et social. Nous aurions dû, et c’est ce que j’avais proposé, mettre en place cette certification sanitaire grâce au poids que nous avons sur les compagnies de transports. Air Corsica est quand même notre compagnie ! Nous participons largement au financement de Corsica Linea. Donc, si nous avions eu la volonté collective de le faire, nous aurions pu mettre en place la certification sanitaire. Le problème c’est que, lorsque l’État a dit « Non ! », les choses ne sont pas allées plus loin. C’est un exemple caractéristique des failles dans la stratégie que nous avons eue.
 
- Dont vous ne prenez pas votre part ?
- Encore une fois, nous voulons bien prendre notre part, mais nous faisons observer quand même que cela fait trois ans que nous tirons la sonnette d’alarme. Je fais référence, par exemple, à notre conférence de presse d’Ajaccio de septembre 2018, cela fait quand même longtemps ! Nous avions dit très clairement que nous étions toujours à temps pour respecter les engagements que nous avions pris à l’égard des Corses. Je pense que nous sommes passés à côté parfois collectivement de ce qu’il fallait faire. Ce que nous disons aux Corses aujourd’hui, c’est que nous prenons notre part de responsabilité sur ce qu’il s’est passé pendant ces deux mandatures, mais notre stratégie, celle que nous avons préconisée à l’intérieur de la majorité et que nous préconisons à l’occasion de ces élections territoriales, nous paraît plus à même de contraindre Paris à discuter de nos revendications que la stratégie de la déférence que suggèrent Mr Mondoloni et les autres groupes de l’opposition.
 
- Vous parlez de rapport de force. Quelle est votre position sur le spectre d’un retour de la violence ?
- Je me suis déjà exprimé sur la question. Je répète ce que j’ai déjà dit. Nous sommes depuis toujours solidaires du FLNC-Union des combattants. Nous sommes solidaires de la même organisation à l’heure où nous parlons, et nous sommes solidaires également de sa décision de juin 2014.

La liste Corsica Libera
La liste Corsica Libera
- En résumé, quel est, pour vous, l’enjeu du 1er tour ? La survie de Corsica Libera ? Est-ce le sens de la question que vous posez aux Corses ?
- Non ! Corsica Libera va durer au-delà des élections. La question, c’est de savoir : quelle place doit avoir Corsica Libera dans le paysage institutionnel ? Fort de son parcours, fort de ses sacrifices et de son engagement, fort de ses idées, du projet et du travail qui a été effectué y compris par ses élus, est-ce que Corsica Libera, qui a été un petit peu la colonne vertébrale de notre majorité quand celle-ci se cherchait sur certains sujets qui touchaient aux fondamentaux, doit aujourd’hui maintenir sa position au sein du paysage institutionnel ? C’est aux Corses de le décider ! Notre offre est très claire. Il suffit de lire ce que nous écrivons, de lire notre projet qui sera publié dans quelques jours de façon complète. Un projet de toute façon autour de l’idée nationale, ce qui ne surprendra personne ! Il n’y aura pas de surprise avec nous ! Ceux qui attendent la surprise, les combinaisons, seront déçus, en revanche ceux qui sont pour la fidélité au mouvement national et à ses fondamentaux peuvent se tourner avec confiance vers Corsica Libera.
 
- Si vous passez la barre des 5%, comment envisagez-vous la stratégie du 2nd tour ?
- Cette stratégie du 2nd tour ne peut pas être aujourd’hui fixée avant même de connaître les résultats du 1er tour, parce que nous n’avons pas d’accord de 2nd tour. Nous n’avons pas voulu d’accord de 2nd tour parce que, pour nous, la logique et la raison commandaient de faire l’union au 1er tour comme en 2017. Je rappelle quand même qu’en 2017, c’est l’union qui nous a conduit à la majorité absolue. Nous étions sur les mêmes positions. Aujourd’hui, nous nous adressons aux Corses pour qu’ils nous donnent la force suffisante pour pouvoir continuer à défendre leurs intérêts.
 
- Entendre Femu et le PNC annoncer qu’ils veulent taper fort dès le 1er tour sans parler d’union de la majorité au 2nd tour, cela vous inquiète-t-il ?
- Je ne commente pas ce que disent les autres responsables des listes nationalistes ou pas. Aujourd’hui, nous partons avec ce que nous sommes, notre fidélité à une idée, et une crédibilité qui tient à ce que nous avons fait tous ensemble depuis des décennies. Nous n’avons pas, pour notre part, à commenter et encore moins critiquer ce que peuvent faire d’autres Nationalistes.
 
- Néanmoins, vous avez accusé Gilles Simeoni d’être l’artisan de la désunion, si vous n’avez jamais rien dit sur le PNC qui, lui aussi, a rompu l’union ?
- Je n’ai accusé personne, je n’ai évidemment critiqué aucun responsable ! Je parle de politique, de stratégie et je dis simplement que la stratégie qui a été dévoilée par Femu a Corsica à la suite de sa réunion d’il y a une quinzaine de jours, et que nous ne partageons pas du tout, remet en cause au bout de trois ans les accords qui ont été passés pour dix ans. Cela ne nous paraît pas acceptable ! Pour notre part, nous avons recherché inlassablement l’union des trois partenaires. Nous considérons que le fait de ne pas reconduire la majorité qui est la nôtre est une erreur qui a été commise. Est-ce une faute rédhibitoire ? Je ne peux pas vous le dire aujourd’hui. Il faudra voir ce que les Corses auront à dire à l’occasion du 1er tour, et nous en reparlerons après.
 
- Le risque est réel que vous ne soyez pas représentés lors de la prochaine mandature. Que ferez-vous alors ?
- Pour notre part, nous voulons voir les choses de manière positive. Nous avons la crédibilité des militantes et des militants de Corsica Libera, nous avons la force de nos idées, nous avons le rôle que nous avons tenu dans le mouvement national depuis des décennies. Et donc, je le répète, nous nous présentons avec confiance devant les Corses.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.