François Alfonsi, président de l'Alliance Libre européenne (ALE), membre de Femu a Corsica, maire d'Osani, entouré notamment de Fabienne Giovannini, conseillère territoriale, et de Jean-Baptiste Arena, maire-adjoint de Patrimoniu.
- Les deux référendums, écossais et catalans, sur l’autodétermination ouvrent-ils une nouvelle voie pour les peuples européens ?
- Oui ! Une telle situation ne s’était pas produite depuis 50 ans. Qu’elle surgisse sur la scène européenne dans des endroits aussi différents que l’Ecosse et la Catalogne et, dans les deux cas, de façon aussi massive et aussi forte, est, à la fois, nouveau et novateur ! Ces processus montrent que ces peuples ont une grande attente et font preuve d’une grande détermination pour obtenir la reconnaissance de leurs droits nationaux. Une reconnaissance que le cadre actuel des Etats-membres européens ne leur donne pas. Les Catalans et les Ecossais sont en train d’ouvrir une voie.
- Quel effet peut-elle avoir pour la Corse ?
- Cette voie, nous intéresse en tant que Corses. Nous sommes une nation sans Etat. Nous avons un peuple qui n’est pas reconnu. Mais, il faut prendre conscience de l’avance qu’ont sur nous les Catalans et les Ecossais. Cela fait des décennies qu’ils sont au pouvoir, à la tête de leurs propres institutions. Ils ont construit une administration et ont fait la preuve de leurs capacités à gérer économiquement et socialement leur propre pays. Ils ont défini une organisation qui permet une impressionnante mobilisation de la société civile autour d’objectifs communs. Ils obtiennent des résultats visibles impressionnants.
- Qu’est-ce qui est le plus impressionnant ?
- Le nombre d’électeurs catalans qui sont venus, lors d’un scrutin officieux, apporter leur soutien physique à une démarche de résistance contre des décisions prises à Madrid. C'est quelque chose d’impressionnant à vivre et à voir ! Il est tout aussi impressionnant de voir à quel point cela concerne les Catalans d’origine, mais aussi les Catalans d’adoption. Le taux de participation au référendum a été impressionnant dans des villes de très forte immigration de la part de gens qui participent à la définition du projet collectif d’une communauté de destin.
- Est-ce ce modèle que vous voulez promouvoir en Corse ?
- Oui ! Gagner de l’expérience, gagner de la force, avoir une société civile qui s’engage pour arriver à créer des rapports de forces déterminants… C’est vraiment le nationalisme moderne, celui que nous souhaitons promouvoir en Corse.
- Vous vous êtes rendus en Ecosse après le « Non » au référendum. Pourquoi dites-vous que le résultat est largement positif d’un point de vue politique ?
- Lorsque l’Ecosse a voté, le « Non » l’a effectivement emporté. Mais, très rapidement, les observateurs ont jugé que les partisans du « Oui » ont gagné politiquement la partie. D’abord, le « Non » n’a pas eu une victoire facile, mais étriquée, alors que tous les sondages, au départ, lui donnaient une large avance. Ensuite, la dynamique était, incontestablement, du côté du « Oui ». Cette dynamique très forte perdure.
- De quelle manière ?
- Un parti, comme le SNP (Scottish national party, Parti national écossais), était déjà important puisqu’il détient la présidence de la région Ecosse et que le 1er ministre en est membre. Il comptait 25 000 adhérents avant le référendum, 1 mois et demi après, il en compte 80 000 ! Pour son Congrès annuel, qui s’est tenu à Perth, et auquel j’ai été convié en tant que président de l’ALE, les organisateurs étaient désespérés. Il y avait tellement de congressistes qu’il manquait d’endroits pour les réunir et pour les héberger. Tout est devenu trop petit ! Le SNP a six députés à Westminster, le dernier sondage lui en donne 50 et 55% des suffrages aux prochaines élections législatives nationales qui se tiendront en mai 2015. C’est vraiment une lame de fond, la même qu’on a vu dans les rues de Catalogne, le jour du référendum !
- Que permettra, selon-vous, cette dynamique ?
- Elle permettra aux Ecossais d’aller plus loin. Londres a accepté des négociations qui donneront au Parlement écossais plus de pouvoir et plus de compétences. Je crois que cela ne s’arrêtera pas si facilement. Les Ecossais iront jusqu’au bout de leur processus d’autodétermination, tout comme les Catalans.
- Mais Londres a déjà reculé ! Madrid renâcle à négocier. Que va-t-il réellement se passer ?
- L’Ecosse, comme la Catalogne, sont sur le terrain démocratique. Dans ces pays, il n’y a pas de violence politique ! Le nationalisme s’est développé par sa prégnance dans la société civile et par sa capacité à démontrer que le peuple a un avenir meilleur si le pays est géré comme une nation plutôt que comme une simple région d’un autre pays. Ce sentiment populaire très fort a encore gagné en force et s’est exprimé de façon majoritaire. Le référendum catalan était un scrutin officieux, son véritable enjeu était le taux de participation qui fut le plus énorme auquel on n’a jamais assisté. En faisant des queues de plusieurs centaines de mètres pour aller déposer un bulletin de vote, les Catalans ont apporté un soutien physique à un processus. Tous les observateurs s’accordent à penser que le chiffre de 2,25 millions de votants est déterminant et très au-dessus de ce que Madrid pensait et de ce que les organisateurs espéraient.
- Que vont faire maintenant les Catalans ?
- Il y a un plan possible. Le Parlement catalan est maître de son calendrier électoral. Il peut démissionner et convoquer de nouvelles élections. Le programme des partis nationalistes, qui sont d’accord entre eux dessus, est que la nouvelle assemblée élue aura comme premier ordre du jour, une déclaration unilatérale d’indépendance.
- Pensez-vous que ce sera déterminant ?
- L’engouement du peuple catalan est là. Et l’engouement est déterminant dans une démocratie. Que peut-on faire contre ? Envoyer l’armée ! Un Etat-membre de l’Europe ne peut plus le faire ! On ne peut pas recommencer Franco ! Personne n’y a intérêt, pas même les Espagnols, évidemment ! Je crois que les Etats sont obligés d’aller dans le sens du processus. Seule la démocratie compte, elle finira par imposer sa réalité et sa force. Je crois que, rapidement, les Catalans feront de gros progrès et aboutiront dans leur processus.
- La crise économique accélère-t-elle ce processus ?
- Quand j’étais député européen, la crise débutait à peine. Déjà, les Catalans organisaient des référendums qui étaient des galops d’essai pour le scrutin du 9 novembre dernier. Entre septembre 2009 et juin 2010, six vagues référendaires ont été organisées, d’abord, dans une commune, puis dans toutes les petites communes, ensuite dans les communes moyennes et, enfin, à Barcelone. Tout cela a permis de mettre sur pied l’organisation, la mobilisation et la structuration de la société civile. Il faut prendre la mesure des 41 000 volontaires qui ont participé à l’organisation du référendum ! Ce serait l’équivalent de 2000 personnes en Corse formées, structurées pour prendre en charge un bureau de vote, capables de rigueur et de se soumettre à une discipline mûrement réfléchie…
- La crise ne joue-t-elle aucun rôle ?
- La crise crée forcément une frustration catalane plus forte. Les Catalans accusent Madrid de les entraîner dans des abîmes économiques à leur corps défendant. La Catalogne jouit d’une économie plus forte que celle de la plupart des autres régions espagnoles. Mais, ce n’est qu’un argument supplémentaire d’opportunité et de circonstance ! Le même argument ne se poserait pas de la même façon en Grande Bretagne. Les débats, qui sont tranchés, sont fondamentaux. Ils concernent l’avenir de la nation catalane. Est-ce que la langue, la culture et le peuple catalans peuvent continuer à s’exprimer dans le cadre de l’Europe ? Tous les Nationalistes sont d’accord. Dans le cadre de l’Espagne ? La réponse est Non !
- Ce réveil des peuples n’est-il pas du, d’abord, à la faillite des Etats ?
- Il est vrai, aussi, que les Etats comme l’Espagne, la Grande-Bretagne ou la France sont, un peu, des étoiles mortes ! Ces Etats ont eu leur gloire au temps des colonies, quand elles envahissaient l’Amérique du Sud, l’Afrique ou l’Asie. Ils étaient forts et portaient des adhésions populaires. Aujourd’hui, ils ne les portent plus.
- L’Europe de Barroso était contre ces processus d’autodétermination, celle de Juncker semble plus souple. Qu’est-ce que ces peuples peuvent attendre de l’Europe ?
- Il faut distinguer la véritable position européenne de fond et le jeu diplomatique. Le jeu consiste à ménager les Etats. Tout président de la Commission européenne doit ménager les Etats qui l’ont élu. C’est de la realpolitik ! Mais, fondamentalement, si la Catalogne est indépendante, cela ne change rien pour l’Europe ! C’est même exactement pareil ! Si le dialogue avec Barcelone ne passe plus par Madrid, l’essentiel pour l’Europe est qu’il existe encore. Il sera même plus direct, donc plus efficace. L’Europe ne peut pas avoir sur cette question une position bloquée. Elle attend que le problème se règle à l’intérieur de l’Espagne entre le gouvernement espagnol et les représentants du peuple catalan. Elle ne s’immiscera pas, mais sera grande ouverte pour accueillir la situation nouvelle.
Propos recueillis par Nicole MARI
- Oui ! Une telle situation ne s’était pas produite depuis 50 ans. Qu’elle surgisse sur la scène européenne dans des endroits aussi différents que l’Ecosse et la Catalogne et, dans les deux cas, de façon aussi massive et aussi forte, est, à la fois, nouveau et novateur ! Ces processus montrent que ces peuples ont une grande attente et font preuve d’une grande détermination pour obtenir la reconnaissance de leurs droits nationaux. Une reconnaissance que le cadre actuel des Etats-membres européens ne leur donne pas. Les Catalans et les Ecossais sont en train d’ouvrir une voie.
- Quel effet peut-elle avoir pour la Corse ?
- Cette voie, nous intéresse en tant que Corses. Nous sommes une nation sans Etat. Nous avons un peuple qui n’est pas reconnu. Mais, il faut prendre conscience de l’avance qu’ont sur nous les Catalans et les Ecossais. Cela fait des décennies qu’ils sont au pouvoir, à la tête de leurs propres institutions. Ils ont construit une administration et ont fait la preuve de leurs capacités à gérer économiquement et socialement leur propre pays. Ils ont défini une organisation qui permet une impressionnante mobilisation de la société civile autour d’objectifs communs. Ils obtiennent des résultats visibles impressionnants.
- Qu’est-ce qui est le plus impressionnant ?
- Le nombre d’électeurs catalans qui sont venus, lors d’un scrutin officieux, apporter leur soutien physique à une démarche de résistance contre des décisions prises à Madrid. C'est quelque chose d’impressionnant à vivre et à voir ! Il est tout aussi impressionnant de voir à quel point cela concerne les Catalans d’origine, mais aussi les Catalans d’adoption. Le taux de participation au référendum a été impressionnant dans des villes de très forte immigration de la part de gens qui participent à la définition du projet collectif d’une communauté de destin.
- Est-ce ce modèle que vous voulez promouvoir en Corse ?
- Oui ! Gagner de l’expérience, gagner de la force, avoir une société civile qui s’engage pour arriver à créer des rapports de forces déterminants… C’est vraiment le nationalisme moderne, celui que nous souhaitons promouvoir en Corse.
- Vous vous êtes rendus en Ecosse après le « Non » au référendum. Pourquoi dites-vous que le résultat est largement positif d’un point de vue politique ?
- Lorsque l’Ecosse a voté, le « Non » l’a effectivement emporté. Mais, très rapidement, les observateurs ont jugé que les partisans du « Oui » ont gagné politiquement la partie. D’abord, le « Non » n’a pas eu une victoire facile, mais étriquée, alors que tous les sondages, au départ, lui donnaient une large avance. Ensuite, la dynamique était, incontestablement, du côté du « Oui ». Cette dynamique très forte perdure.
- De quelle manière ?
- Un parti, comme le SNP (Scottish national party, Parti national écossais), était déjà important puisqu’il détient la présidence de la région Ecosse et que le 1er ministre en est membre. Il comptait 25 000 adhérents avant le référendum, 1 mois et demi après, il en compte 80 000 ! Pour son Congrès annuel, qui s’est tenu à Perth, et auquel j’ai été convié en tant que président de l’ALE, les organisateurs étaient désespérés. Il y avait tellement de congressistes qu’il manquait d’endroits pour les réunir et pour les héberger. Tout est devenu trop petit ! Le SNP a six députés à Westminster, le dernier sondage lui en donne 50 et 55% des suffrages aux prochaines élections législatives nationales qui se tiendront en mai 2015. C’est vraiment une lame de fond, la même qu’on a vu dans les rues de Catalogne, le jour du référendum !
- Que permettra, selon-vous, cette dynamique ?
- Elle permettra aux Ecossais d’aller plus loin. Londres a accepté des négociations qui donneront au Parlement écossais plus de pouvoir et plus de compétences. Je crois que cela ne s’arrêtera pas si facilement. Les Ecossais iront jusqu’au bout de leur processus d’autodétermination, tout comme les Catalans.
- Mais Londres a déjà reculé ! Madrid renâcle à négocier. Que va-t-il réellement se passer ?
- L’Ecosse, comme la Catalogne, sont sur le terrain démocratique. Dans ces pays, il n’y a pas de violence politique ! Le nationalisme s’est développé par sa prégnance dans la société civile et par sa capacité à démontrer que le peuple a un avenir meilleur si le pays est géré comme une nation plutôt que comme une simple région d’un autre pays. Ce sentiment populaire très fort a encore gagné en force et s’est exprimé de façon majoritaire. Le référendum catalan était un scrutin officieux, son véritable enjeu était le taux de participation qui fut le plus énorme auquel on n’a jamais assisté. En faisant des queues de plusieurs centaines de mètres pour aller déposer un bulletin de vote, les Catalans ont apporté un soutien physique à un processus. Tous les observateurs s’accordent à penser que le chiffre de 2,25 millions de votants est déterminant et très au-dessus de ce que Madrid pensait et de ce que les organisateurs espéraient.
- Que vont faire maintenant les Catalans ?
- Il y a un plan possible. Le Parlement catalan est maître de son calendrier électoral. Il peut démissionner et convoquer de nouvelles élections. Le programme des partis nationalistes, qui sont d’accord entre eux dessus, est que la nouvelle assemblée élue aura comme premier ordre du jour, une déclaration unilatérale d’indépendance.
- Pensez-vous que ce sera déterminant ?
- L’engouement du peuple catalan est là. Et l’engouement est déterminant dans une démocratie. Que peut-on faire contre ? Envoyer l’armée ! Un Etat-membre de l’Europe ne peut plus le faire ! On ne peut pas recommencer Franco ! Personne n’y a intérêt, pas même les Espagnols, évidemment ! Je crois que les Etats sont obligés d’aller dans le sens du processus. Seule la démocratie compte, elle finira par imposer sa réalité et sa force. Je crois que, rapidement, les Catalans feront de gros progrès et aboutiront dans leur processus.
- La crise économique accélère-t-elle ce processus ?
- Quand j’étais député européen, la crise débutait à peine. Déjà, les Catalans organisaient des référendums qui étaient des galops d’essai pour le scrutin du 9 novembre dernier. Entre septembre 2009 et juin 2010, six vagues référendaires ont été organisées, d’abord, dans une commune, puis dans toutes les petites communes, ensuite dans les communes moyennes et, enfin, à Barcelone. Tout cela a permis de mettre sur pied l’organisation, la mobilisation et la structuration de la société civile. Il faut prendre la mesure des 41 000 volontaires qui ont participé à l’organisation du référendum ! Ce serait l’équivalent de 2000 personnes en Corse formées, structurées pour prendre en charge un bureau de vote, capables de rigueur et de se soumettre à une discipline mûrement réfléchie…
- La crise ne joue-t-elle aucun rôle ?
- La crise crée forcément une frustration catalane plus forte. Les Catalans accusent Madrid de les entraîner dans des abîmes économiques à leur corps défendant. La Catalogne jouit d’une économie plus forte que celle de la plupart des autres régions espagnoles. Mais, ce n’est qu’un argument supplémentaire d’opportunité et de circonstance ! Le même argument ne se poserait pas de la même façon en Grande Bretagne. Les débats, qui sont tranchés, sont fondamentaux. Ils concernent l’avenir de la nation catalane. Est-ce que la langue, la culture et le peuple catalans peuvent continuer à s’exprimer dans le cadre de l’Europe ? Tous les Nationalistes sont d’accord. Dans le cadre de l’Espagne ? La réponse est Non !
- Ce réveil des peuples n’est-il pas du, d’abord, à la faillite des Etats ?
- Il est vrai, aussi, que les Etats comme l’Espagne, la Grande-Bretagne ou la France sont, un peu, des étoiles mortes ! Ces Etats ont eu leur gloire au temps des colonies, quand elles envahissaient l’Amérique du Sud, l’Afrique ou l’Asie. Ils étaient forts et portaient des adhésions populaires. Aujourd’hui, ils ne les portent plus.
- L’Europe de Barroso était contre ces processus d’autodétermination, celle de Juncker semble plus souple. Qu’est-ce que ces peuples peuvent attendre de l’Europe ?
- Il faut distinguer la véritable position européenne de fond et le jeu diplomatique. Le jeu consiste à ménager les Etats. Tout président de la Commission européenne doit ménager les Etats qui l’ont élu. C’est de la realpolitik ! Mais, fondamentalement, si la Catalogne est indépendante, cela ne change rien pour l’Europe ! C’est même exactement pareil ! Si le dialogue avec Barcelone ne passe plus par Madrid, l’essentiel pour l’Europe est qu’il existe encore. Il sera même plus direct, donc plus efficace. L’Europe ne peut pas avoir sur cette question une position bloquée. Elle attend que le problème se règle à l’intérieur de l’Espagne entre le gouvernement espagnol et les représentants du peuple catalan. Elle ne s’immiscera pas, mais sera grande ouverte pour accueillir la situation nouvelle.
Propos recueillis par Nicole MARI