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De nombreuses barques du port Tino-Rossi portent sa griffe : Pierre-Jacques Nobili, la passion du bois accrochée au cœur


Jean-François Vinciguerra le Mardi 16 Août 2016 à 19:46

« Le soir, lorsque les barques sont rentrées, le port abri a bien du charme. Les quais ressemblent à un calendrier, chaque barque porte un prénom de femme » chante si bien Antoine Ciosi dont on connaît l’attachement pour Ajaccio. C’est vrai que le port Tino Rossi, le bien nommé, offre des couleurs si particulières que les peintres ne savent plus où fixer leur regard. C’est dire la fascination qu’exerce ce petit coin d’Ajaccio où les silhouettes deviennent familières au fil des ans. Et où il y fait bon vivre et promener. Il y a quelques années, les ateliers des charpentiers apportaient une animation toute particulière dans ce quartier historique du port. Tous, pêcheurs ou simples résidents reviennent fouler les vieux pavés usés du port. Nostalgie, quand tu nous tiens !



Il n’est pas tout à fait seize heures, les derniers rayons de soleil caressent les embarcations du port Tino Rossi. Sur le quai en pente douce, penché sur l’étrave d’un « pointu », un homme s’affaire et cloue une dernière bordée. Le calfatage et l’enduit, ainsi que la peinture seront à la charge du propriétaire. Pour Pierre-Jacques, la journée s’achève. La « bricole » est terminée, le voilà qui ramasse sa sacoche en cuir d’un autre âge dans laquelle il range ses outils. Ceux-là même qu’il utilisait lorsque son atelier était situé à quelques mètres, au pied de la citadelle. Il y a deux décennies environ. C’était hier…
Il ne se passe pas un jour sans qu’un plaisancier ou un pêcheur ne s’adresse à lui. Et le plus naturellement du monde, Pierre-Jacques répond favorablement à la demande. Sans doute par gentillesse, par amitié bien sûr, mais aussi et surtout par amour de son métier : «Je ne refuse jamais un coup de main à mes amis. Charpentier de marine n’est pas un métier très courant et il est des réparations qu’un plaisancier ou un pêcheur ne peuvent effectuer. Aussi, je leur accorde un peu de mon expérience et les aide à travers quelques interventions ci et là… »
 
Regards vers le passé
 
Tout au long de la journée, quelle que soit la saison, le port Tino Rossi est très fréquenté. Il y a les pêcheurs qui réparent et préparent leur matériel, carènent leurs embarcation ; les plaisanciers qui viennent vérifier leur amarres ; les différents corps de métiers installés sur le port et bien entendu les éternels promeneurs qui arpentent les quais jusqu’à la tombée de la nuit. Parmi ces nostalgiques d à Calata, Pierre-Jacques Nobili et son épouse sont des silhouettes familières des lieux, fidèles parmi les fidèles. Lorsqu’ils reviennent de leur sortie quotidienne en ville, la boucle vers le port Tino Rossi s’impose. Un peu comme un pèlerinage avec le regard qui se perd sur les eaux calmes du port en songeant à l’atelier littéralement accroché à l’un des murs de la citadelle dont Pierre-Jacques, auprès son père Bartumè, dit « Rata » a passé une grande de partie de sa vie avant de lui succéder. Dieu sait s’il en connaît long sur les barques, leur fabrication et tous les petits détails qui ont fait de lui un constructeur naval hors pair, tout comme l’étaient ses frères, Fanfan et  Laurent qui formaient l’entreprise familiale qui a enfanté quelques centaines d’embarcations dont la plupart sont encore en état de marche.
Enfant, j’ai vu mon père et mon grand père construire deux ou trois barques, lorsque l emploi du temps le leur  permettait. Mais sur les quais de la citadelle, j’ai vu les frères Nobili construire des grosses embarcations, pures merveilles, à commencer par ces felouques aux lignes harmonieuses que seul une main d’artiste peut dessiner, à qui seul un créateur peut donner l’allure en tirant la quintessence du bois exotique qui lui est nécessaire pour arrondir ses formes.
« Celle-là, nous l’avons construite avec mon père, je n’avais pas vingt ans, je commençais à saisir les bonnes nuances du métier » me glisse Pierre-Jacques en caressant du regard une superbe felouque. Puis se tournant vers un une autre, vieillissante et manquant visiblement d’entretien : « Nous étions enfants lorsque mon père à créé celle-là. Malgré son état quelque peu délabré, je suis sûr qu’avec un minimum d’entretien elle serait encore en mesure de naviguer. Une petite cure de jouvence ne lui ferait pas de mal… » 
La promenade peut durer des heures, avec sans doute une histoire pour chacune des embarcations du port tellement Pierre-Jacques les connaît toutes, sinon pour les avoir construite, du moins pour les avoir réparées au moins une fois. Il s’arrête de nouveau et porte son regard vers une autre barque superbement entretenue, d’une blancheur éclatante, appartenant à un pêcheur qui devrait prendre sa retraite sous peu : « Voilà une belle barque, propre, en parfait état. Celui qui veut faire de la plaisance avec fera une bonne affaire le jour où elle sera en vente… 
Pierre-Jacques est à la retraite depuis plus de vingt ans, mais de temps à autre, pour rendre service à un ami, on le rencontre avec sa vieille sacoche de cuir sillonner les quais pour de petites réparations. Le voir travailler, prendre des mesures, fabriquer un gabarit, placer, essayer, poncer et peaufiner la pièce jusqu’au moment où elle fait corps avec le bateau est un moment de plaisir inoubliable.
Tout est dans le geste, le regard, l’appréciation. Le métier quoi, l’art du charpentier de marine dans toute sa splendeur.
Le soleil a disparu du port. Il fait frisquet et Pierre-Jacques, sa vieille sacoche à l’épaule, s’en retourne vers son appartement -  avec vue sur le port -  situé à quelques mètres de là. Il jette un dernier regard à la barque, satisfait de cette petite intervention qui redonne vie à l’embarcation couchée sur le côté.
Encore une qu’il verra flotter dans les eaux calmes du port et qui éveillera bien des souvenirs…
J.-F. V.