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Crash de la Caravelle Ajaccio-Nice : Les maires des deux villes appellent à une "véritable œuvre de justice"


La rédaction le Lundi 9 Septembre 2019 à 11:31

A quelques heures de la commémoration de la catastrophe aérienne de la Caravelle Ajaccio-Nice qui le 11 Septembre 1968 a fait 95 morts, Laurent Marcangeli, maire d’Ajaccio et Christian Estrosi, maire de Nice, ont cosigné une tribune pour que « lumière soit faite sur cette tragédie ».



Le texte de la tribune :

Un crash épouvantable, à quelques minutes d’un atterrissage ordinaire.

Le 11 septembre 1968, vers 10h30, la Caravelle, assurant la liaison Ajaccio/Nice (vol 1611 d’Air France), s’abîme en mer. 95 personnes perdront la vie, dont 13 enfants et 6 membres d’équipage.

Le temps s’arrête pour les Ajacciens et les Niçois. Il laissera toute sa place au choc et à la douleur de deux régions déjà très proches. Et puis très vite, le temps reprend ses droits et les familles démarrent leur recherche légitime des causes de l’accident. Dès lors, le temps, dans sa frénésie et toute sa subjectivité, ne cessera jamais de s’allonger et ce, pendant plus de 50 ans.

 

Un demi-siècle de thèses divergentes et d’investigations vacillantes, systématiquement retranchées derrière l’inébranlable « secret Défense ». La revue de presse n’est pas glorieuse : de la destruction de preuves aux incohérences d’une enquête qui s’essouffle, les journaux ont fait état de toutes les turpitudes. Les familles des victimes, quant à elles, n’ont cessé de se voir opposer une fin de non-recevoir.

Aujourd’hui, et à quelques heures des commémorations de cette catastrophe, leur crainte la plus profonde est sans nul-doute que leur témoignage s’effondre dans la redite, que les nuits entières passées sur les rapports et les archives n’aboutissent en rien.

 

S’il n’est pas de notre propos de commenter l’instruction en cours, notre position a toujours été celle de soutenir leur combat. Nous ne reviendrons pas sur les innombrables épisodes judiciaires, dont le caractère invraisemblable a au moins permis à ce drame d’avoir un écho important dans la presse. Aux dires de cette dernière, un juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Nice aurait récemment sollicité la levée du « secret Défense ». Celui-ci serait désormais confronté à des services de l’État qui ne manifesteraient que peu d’entrain à lui répondre favorablement. Pourtant, dans un courrier du 18 décembre 2018, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait indiqué que « le Ministère des Armées avait été saisi de cette requête et que toute la lumière devait être faite sur cette tragédie ».

 

Les 10 et 11 septembre prochains, Ajaccio et Nice organiseront, comme chaque année, leurs Messes du souvenir en hommage aux victimes. À nouveau, nous en appelons à la dignité d’un pays tout entier pour enfin, permettre aux familles de faire leur deuil. Des familles qui, au demeurant, n’ont jamais réclamé de dommages et intérêts… Leur unique revendication se borne à la manifestation de la vérité, qu’on leur refuse depuis toujours.

51 ans de mutisme, pour ne pas dire d’indifférence de l’État, interrompu de temps à autres par quelques timides chuchotements. La raison d’état, le « secret Défense » ne sauraient être des alibis plus longtemps. Il ne s’agit plus là d’une catastrophe aérienne exceptionnelle qui frappe l’opinion en plein cœur. Il s’agit de justice, l’un des trois piliers de notre démocratie qui semble encore aujourd’hui, parfaitement flouée alors qu’elle bénéficie d’une reforme récente, qui vise à l’accélérer, la rendre plus efficace et plus moderne. N’est-ce pas en ce cas précis le meilleur moyen de l’illustrer ?

Un Gouvernement qui mise sur la transparence et l’éthique peut-il tolérer une telle inertie qui alimente toutes les théories ? Cette situation laisse à apprécier une dichotomie énorme entre les effets d’annonces et la réalité d’un dossier qui, comme d’autres, interroge sur notre conception de la société.

Souhaitons-nous donner le sentiment d’un État qui dissimule et favorise un entre soi tous les jours dénoncé, ou allons-nous enfin participer à une véritable œuvre de justice pour la Caravelle ?

 

Il est temps, grand temps de passer de la parole aux actes, nous le devons aux familles. Nous ne les trahirons pas en affirmant qu’elles sont prêtes à tout entendre. Elles ne réclament pas de coupable à condamner, elles souhaitent éclaircir les circonstances d’un accident qui a bouleversé leur existence. Paradoxalement, ce sont elles qui ont toujours su élever le débat.

 

L’Histoire nous a appris qu’un État se grandit à reconnaître ses erreurs passées. À retrouver une conscience plus « tranquille » face à ce très mauvais traitement réservé à des familles inconsolables. Henri Bergson écrivait "Conscience signifie d’abord mémoire" : combien de temps encore allons-nous bafouer le souvenir de nos disparus ? Car, si les familles ne sont plus dans l’attente, elles sont désormais dans la supplique. Elles ne renonceront jamais.

 

En tant que maires d’Ajaccio et de Nice, nous serions soulagés d’appartenir à la génération d’élus qui verra toute la lumière se faire sur le crash de la Caravelle du 11 septembre 1968.

 

« Rien n'est plus nécessaire que la vérité, et, par rapport à elle, tout le reste n'a qu'une valeur de deuxième ordre. » Friedrich Nietzsche

 

Christian Estrosi, maire de Nice

Laurent Marcangeli, maire d’Ajaccio