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Corse-Paris : Le dialogue en mode crispé


Jacques RENUCCI le Mercredi 24 Janvier 2018 à 19:48

La manifestation prévue fera-t-elle évoluer l'intransigeance du gouvernement ? Rien n'est moins sûr, mais les Nationalistes veulent ainsi prouver que les Corses sont en cohérence avec leur programme.



Corse-Paris : Le dialogue en mode crispé
On s'y attendait, sans penser que la situation se dégraderait si rapidement : le dialogue entre l’État et la représentation insulaire montre ses limites avant même d'être sérieusement engagé. Bien sûr, personne, et surtout pas les élus, n'avait pensé que les choses seraient faciles, dans des rapports cordiaux et bien huilés qui auraient eu le mérite d'une nouveauté surprenante.  
Mais c'est le pouvoir central, s'affichant une fois n'est pas coutume comme autoritaire, qui trace unilatéralement la feuille de route, et cette route ne mène pas loin. Ce pouvoir l'a bien fait sentir à la délégation insulaire : on ne parle pas d'égal à égal, de partenaire à partenaire, mais de décideur à satellites territoriaux – et la Corse n'en est qu'un, petit de surcroît, et moins préoccupant que par le passé, lorsque la violence politique était un argument forcément pris en compte.  

Si l'on en croit les réactions de ceux qui participent aux discussions, le constat est simple : peu d'attention, peu d'écoute, peu de respect, avec un agacement manifeste par rapport à la présence de certaines revendications. Statut de résident, coofficialité, amnistie et le reste... Les mêmes depuis des décennies auxquelles ont eu affaire les gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Ce qui change, c'est que ces revendications s'appuient désormais sur un socle démocratique indéniable, mais cela ne semble pas suffisant pour qu'elles soient dignes d'intérêt. On dirait que les décideurs se sont passés le mot : chaque autorité rencontrée, dans ce qui de la part de nos représentants ressemble à une quête désespérée d'approbation, se referme, au nom de la cohésion de la nation, et repousse toute parole constructive à une intervention prochaine du Président de la République.  

Celui-ci, avant sa venue le 6 février, doit étudier un dossier que, paraît-il, il méconnaît encore, mais on ne doit pas s'attendre à des miracles. Le ton est déjà donné et les arguments sur la table, ceux de l'unité du pays avant tout. A ce titre, on pourra un jour se demander si les tractations secrètes, auxquelles la Corse a été accoutumée, ne sont pas parfois plus efficaces que le dialogue « en toute transparence », où le gouvernement joue de son image avant de prendre en compte ce que disent ses interlocuteurs, accusés de mettre dans la même liste l'irrecevable et le raisonnable. Avant de rencontrer les Corses, Emmanuel Macron honorera la mémoire du préfet Erignac, preuve que l’État n'en a pas fini avec sa mémoire traumatique, et que cela se ressent dans les priorités inscrites dans l'agenda de la visite.  

Pour saluer la venue du Président, une manifestation est prévue pour soutenir les demandes de la majorité territoriale. Celle-ci souhaite que la vague qui l'a portée au pouvoir se concrétise en une foule qui assume son vote en connaissance de cause. Quand l'émanation électorale du collectif de base ne suffit pas, on fait appel à ce collectif lui-même pour relayer une exigence, celle de l'attachement au programme voté. Cet appel à la pression de la rue n'est pas sans risque. A partir de quel nombre de participants une manifestation est-elle réussie ? Et en cas d'incidents, qui seront les responsables ? Cette crispation supplémentaire impressionnera-t-elle suffisamment pour infléchir la position du pouvoir ?

Si la mobilisation est jugée médiocre, l'opposition ressortira l'argument de l'abstention, et d'une représentativité insuffisante des nationalistes pour se prévaloir de tout. Maintenant que ceux-ci ont la responsabilité totale de la gestion de l'île et de la bonne marche des institutions, ils ne peuvent pas engager avec l'Etat un bras de fer radical et stérile qui serait préjudiciable aux intérêts de la communauté corse. Ils sont la vitrine légale d'un peuple et de ses aspirations, avec tout ce que cela comporte.
Il y a quelques semaines, ils marchaient quasiment sur l'eau. Mais le retour à la terre ferme et à ses réalités pourrait être difficile.

Jean-Guy Talamoni et Gilles Simeoni sur le perron de Matignon avant leur rencontre avec le Premier ministre…
Jean-Guy Talamoni et Gilles Simeoni sur le perron de Matignon avant leur rencontre avec le Premier ministre…