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Constitution : L’Assemblea di a Giuventù valide pleinement le projet nationaliste


Sylvain Amiotte le Mercredi 7 Mars 2018 à 22:31

Oui à un article spécifique sur la Corse dans la Constitution, oui à la mention de l’autonomie, oui à une habilitation permanente dans des domaines de compétences dépassant l’économie et le foncier et allant jusqu’à la santé et l’éducation, oui enfin à un préambule affirmant l’existence du peuple corse : réunie ce mercredi après-midi dans l’hémicycle de la Collectivité, sous la direction de Jean-Guy Talamoni, l’assemblée de la jeunesse corse a validé à l’unanimité les fondements du texte qui sera proposé ce jeudi aux élus par la majorité nationaliste. Avec des prises de parole engagées et revendicatives, sans autre nuance que celle de l’élu d’opposition Jean-Charles Orsucci.



Les jeunes membres de l'Assemblea di a Giuventù, réunis ce mercredi au siège de la Collectivité de Corse, ce mercredi.
Les jeunes membres de l'Assemblea di a Giuventù, réunis ce mercredi au siège de la Collectivité de Corse, ce mercredi.
« Génocide de l’identité corse », « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », « dépossession de la terre », « Corse conquise par les armes », « pour les députés parisiens, le peuple corse n’existe pas »… Les mots sont forts. Les interventions se limitent certes à quatre ou cinq interlocuteurs, sur les 62 membres de cette « Assemblea di a Giuventù ». Mais, sans autre son de cloche, tous valident a priori les idées défendues. Chaque vote récolte l’unanimité, sous la présidence de Jean-Guy Talamoni, et en présence de Gilles Simeoni.
 
Pour le duo nationaliste, dans le processus visant à inscrire la Corse dans la Constitution, il s’agissait d’obtenir le soutien de cette assemblée créée en 2016 à l’initiative de Jean-Guy Talamoni et installée en avril 2017. La voix de ces jeunes – non élus mais désignés (*) -, bien que consultative, sera un argument supplémentaire, certes très secondaire, pour peser dans le débat avec Paris. Un moyen d’affirmer un soutien populaire, tandis que l’Assemblée de Corse doit tenter ce jeudi de valider une proposition d’article commune, incluant un préambule solennel affirmant l’existence d’un peuple corse. Une consolidation interne, aussi, la jeunesse étant prête à se mobiliser fortement pour soutenir les revendications nationalistes en cas de blocage avec le pouvoir central.

La Corse "n'appartient pas à la logique hexagonale"
Au final, les jeunes ont pleinement validé les grands principes défendus par la majorité dans cette réforme constitutionnelle. Souvent en allant au-delà des discours de leurs aînés. Petru Antone Vesperini évoque « le peuple corse millénaire, qui vient du fond des âges » comme étant « bafoué, humilié, au nom d’une souveraineté et d’une indivisibilité », la Corse étant selon lui à « un tournant de son histoire », celui du « droit à notre peuple de disposer de lui-même », face au « génocide » de son identité.
 
Pour Don-Joseph Luciani, il n’est « pas acceptable » que la Corse n’ait pas été évoquée plus tôt « explicitement » dans la Constitution. A grand renfort de références historiques, Jean-François Giffon décrit une Corse « qui n’appartient pas à la logique hexagonale », et dont le peuple n’est « pas reconnu » de l’autre côté de la mer.
 
Tour à tour, Jean-Guy Talamoni et Gilles Simeoni acquiescent en apportant leur éclairage. Le président du conseil exécutif abonde ainsi : « Une des des grosses lacunes de ce processus, c’est que le président de la République se refuse à en accepter la dimension politique. Mais vous avez raison, la notion de peuple corse est fondatrice de tout. »
 
Pour une reconnaissance juridique du "peuple corse"
Les jeunes de l’Assemblea di a Giuventù voudraient aller plus loin qu’une déclaration solennelle en préambule et inscrire la notion de « peuple corse » dans le futur article constitutionnel. Gilles Simeoni s’en excuse : « Nous sommes obligés, la mort dans l’âme, de travailler sur un texte qui n’en fait pas mention. C’est une carence que nous assumons car cela ne passerait pas, déjà ici dans cette assemblée, et ensuite à Paris. » Et ce même si, étudiant il y a trente ans, il était « scandalisé que cette notion, qui était constamment dans le débat public, n’existait pas en droit ».
 
L’élu d’opposition Jean-Charles Orsucci (La République en marche) valide tout en essayant de tempérer l’impatience des jeunes : « Nous avons conscience ici de l’appartenance à un peuple. Mais pour avancer, nous devons mener une politique des petits pas. La victoire de la Corse, c’est déjà son inscription dans la Constitution. En l’acceptant, le président Macron a déjà tenu compte de la victoire de la majorité territoriale en décembre. »
 
L’élu ne peut que constater à voix haute que « les discours des jeunes sont très proches de la majorité territoriale ». Rappelant qu’il avait été par le passé membre d’un syndicat étudiant dont Gilles Simeoni était le porte-parole, Jean-Charles Orsucci tente de nuancer l’atmosphère idéologique : « Pour moi, l’objectif c’est l’autonomie, pour d’autres c’est l’indépendance. (…) Nos identités, nous devons les additionner. Je suis profondément corse, mais aussi profondément européen, et profondément français. »

« Je ne me sens pas du tout française »
Tentative vouée à l’échec : « Vous dites que la jeunesse est acquise à la majorité nationaliste, mais elle est simplement acquise aux revendications du peuple corse », assène la jeune Sonia Battistelli-Selezneff. Avant de trancher sèchement : « Je ne me sens pas du tout profondément française. » Puis d’évoquer, déterminée, les onze jeunes qui avaient entamé une grève de la faim après la visite d’Emmanuel Macron : « Cinq d’entre eux sont dans cet hémicycle. La jeunesse ne veut plus se contenter de mesurettes, elle est prête à tous les sacrifices et à toutes les actions. (…) Il est impensable que onze personnes aient fait une grève de la faim pour voir la Corse inscrite dans l’article 72.» Pour elle, il faut obtenir l’article 74,  car l’article 72 « nous réduit à être de bons petits Français ».

Jean-Guy Talamoni devra intervenir pour anticiper le compromis à venir et justifier, au-delà des symboles, la possibilité d’un article 72-5, qui ne serait « pas un alinéa, mais bien un article spécifique ». Mais de surfer malgré tout sur les prises de parole des jeunes : « Pour nous, la vraie Constitution de la Corse, c’est le préambule de 1755, qui est un trésor d’innovation politique. Je ne reconnais nullement la Constitution française sur un plan politique, mais je suis obligé juridiquement de faire avec. »

"Nationaliste de service"
Petr’Antone Tomasi, chef du groupe Corsica Libera et président de la Commission pour l’évolution statutaire de la Corse, lance aux jeunes : « La Constitution, c’est la clé pour répondre aux problèmes et pour que les Corses maîtrisent leur destin. »

Dans cet environnement militant, Jean-Charles Orsucci tentera une nouvelle modération : « Le peuple corse n’a pas besoin d’une reconnaissance juridique pour exister. Amener cette notion alors qu’il nous reste quinze jours de discussions, c’est amenuiser nos chances de réussite. »
 
Et de raconter aux jeunes le déjeuner partagé en février avec le président de la République à Bastia : « En l’absence des nationalistes (ndlr : qui avaient boycotté le rendez-vous), je me suis senti isolé. Je retrouvais à la table un discours des élus de droite qui ressemblait à celui de la droite des années 80. A tel point qu’à la fin je passais pour le nationaliste de service ! Et là aujourd’hui avec vous, je passerai pour être… trop français ! »
 
Face à des jeunes très remontés, l’élu LREM n’aura a priori convaincu personne ce mercredi.
 
(*) Sous la présidence de Jean-Guy Talamoni, l’Assemblea di a Giuventù se compose de 62 membres : 21 étudiants de l’université de Corse désignés par les syndicats étudiants ; 8 jeunes actifs désignés par les syndicats professionnels ; 10 lycéens désignés par le Conseil académique de la vie lycéenne ; 23 candidats individuels choisis par un jury d’élus.