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Assemblée de Corse : Reprise des débats avec l’adoption à l’unanimité d’une déclaration solennelle sur les prisonniers


Nicole Mari le Jeudi 27 Octobre 2022 à 21:42

La situation s’est rapidement apaisée à l’Assemblée de Corse après l’interruption brutale de la session, jeudi matin, par une cinquantaine de représentants de onze collectifs de prisonniers, syndicats et associations étudiantes. Lors d’une conférence avec les présidents de groupe qui a duré une partie de l’après-midi, un accord a été trouvé et la session a repris avec l’adoption d’une résolution solennelle demandant au gouvernement de créer les conditions de la reprise du dialogue en y intégrant la résolution de la question des prisonniers sous toutes ses formes.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
La journée fut chaude à l’Assemblée de Corse. Après la session de fin septembre écourtée à cause du refus de la libération conditionnelle de Pierre Alessandri, personne ne s’attendait à une nouvelle journée de tension, surtout au lendemain de l’arrêt de la Cour de cassation qui, en jugeant irrecevables les motifs de ce refus, ouvre la porte à l’espoir. La possibilité d’une libération conditionnelle des deux derniers prisonniers du commando Erignac n’a jamais été aussi forte, même si la prudence reste de mise. Aussi personne n’a-t-il vraiment compris, ni apprécié l’intrusion intempestive d’une délégation réclamant la libération des prisonniers politiques, d’autant qu’elle aurait pu être reçue par l’Exécutif et entendue par la Conférence des présidents, très sereinement, comme cela a déjà été le cas. De quoi s’interroger sur la pertinence du timing et du mode opératoire choisi ! Il semblerait que ce soit la porte fermée de l’hémicycle et un quiproquo qui ont mis le feu aux poudres.

Dans les couloirs. Photo Michel Luccioni.
Dans les couloirs. Photo Michel Luccioni.
Un moment de chaos
Les manifestants représentant onze collectifs de soutien aux prisonniers, des mouvements de jeunes nationalistes et des syndicats étudiants - L’ora di u ritornu, Aiutu Patriotticu, Aiutu Paisanu, Associu Sulidarità, Associu à Fianc’à Noi, Mossa Paisana, Ghjuventù Indipendentista, Cunsulta di a Ghjuventù Corsa, Ghjuventù Paolina, Ghjuventù in Core, Ghjuventù Libera -, ont commencé par forcer les grilles de l’Hôtel de Région avant de gagner l’intérieur du bâtiment. Surprise par ce coup de force, la sécurité a cru bien faire en verrouillant les portes de l’hémicycle où la session avait débuté depuis une quinzaine de minutes. D’où la colère des manifestants derrière la porte. Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, demande une suspension de séance, et le président de l’Odarc, Dominique Livrelli, s’empresse de déverrouiller la porte pour parler à la délégation. Mais les manifestants, passablement remontés, essayent de s’introduire de force dans l’hémicycle aux cris de « Libertà » et finissent par l’envahir, bousculant brutalement des élus nationalistes qui tentent de s’interposer et de calmer le jeu. S’ensuit un moment de chaos avant que les esprits ne finissent par s’apaiser. Le drapeau corse est déployé. La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, accepte qu’une déclaration soit lue à la tribune, par Camille Martelli, la porte-parole des collectifs.
 
Des esprits apaisés
Camille Martelli tente de dédramatiser et, à son tour, d’apaiser une représentation politique régionale visiblement choquée et consternée par la méthode et dont les visages restent graves et fermés : « Nous ne sommes pas venus dans un esprit de polémique. Nous sommes venus vous présenter un texte, une déclaration, une motion, comme vous pouvez le faire. Et après, libre à vous de faire, comme vous voulez », plaide-t-elle. Le texte, porté collégialement par les onze structures de la délégation, demande clairement que les discussions avec Paris ne reprennent pas tant que l’Etat n’a pas fait un geste fort envers la libération des prisonniers politiques. Même volonté d’apaisement exprimée un peu plus tard par Simon-Paulu Ferrandi, le fils d’Alain Ferrandi : « Il y a eu une incompréhension entre les services de sécurité de l’Assemblée de Corse et les gens qui leur ont passé le message et qui étaient prévenus que nous arrivions. Je n’ai pas envie de m’attarder là-dessus. Ce sont des choses qui sont arrivées. On est là pour trouver une solution. Notre seul objectif est de régler la situation des prisonniers. On voulait faire une manifestation pacifique pour dire que nous attendons plus de nos élus, de la majorité territoriale et de l’Assemblée de Corse sur la question des prisonniers ». Simon-Paulu Ferrandi rappelle que l’Assemblée de Corse a statué deux fois en vain en faveur de la libération des prisonniers : « ça ne suffit pas. La situation est ubuesque. Le maintien arbitraire des gens en détention ne peut plus durer. Le processus ne peut pas être viable, si la question des prisonniers n’est pas réglée. Nous attendons que l’Assemblée de Corse aille plus loin dans la démarche ». La délégation espère, par le vote de la délibération, obtenir un engagement de l’Etat pour chaque prisonnier avec un calendrier précis. « Vous avez livré une proposition de délibération de l’Assemblée de Corse, il faut que l’on statue sur le sujet », explique la présidente Nanette Maupertuis qui suspend la séance. Tout le reste de la journée, les discussions se poursuivent dans les couloirs ou les salles adjacentes.

Photo Michel Luccioni.
Photo Michel Luccioni.
Une déclaration commune
Le président de l’Exécutif et la présidente de l’Assemblée réunissent, dans un premier temps, les élus des groupes nationalistes – Fa Populu Inseme, PNC, Core in Fronte et Josepha Giacometti pour Corsica Libera - afin de décider d’une position commune, avant de discuter avec le groupe de droite U Soffiu Novu et son président, Jean-Martin Mondoloni. Puis, les manifestants, toujours sur place, sont invités à partager le traditionnel repas de midi de l’Assemblée de Corse, ce qui contribue à détendre les esprits. En milieu d’après-midi, la Conférence des présidents est organisée. Elle décide de recevoir la délégation et d’entendre chacune des onze associations. La réunion, à huis clos, dure plus de trois heures dans l’optique de mettre au point une déclaration acceptable pour tout le monde, pour les collectifs, comme pour les groupes politiques. L’idée est, encore une fois, de parler à Paris d’une seule et même voix afin de régler cette lancinante et douloureuse question qui empoisonne les relations bilatérales. Peu avant 19 heures, un texte est rédigé par la Conférence des présidents, et chaque président se retire pour le soumettre à son groupe politique. Si du côté des partis nationalistes, le consensus est acté, le groupe de droite « U Soffiu Novu » est beaucoup plus divisé sur la conduite à tenir. A 20 heures, une nouvelle réunion se tient, encore à huis clos, pour présenter le texte aux représentants des onze organisations. De toute la journée, aucun groupe politique n’accepte de commenter ou de réagir publiquement, une discrétion assez rare et révélatrice du malaise ambiant. Finalement, tout le monde joue le jeu et s’entend sur une résolution commune. La session reprend à 21h20 pour son adoption. La résolution est adoptée à l’unanimité à mains levées. Et la session poursuit son cours normal dans la sérénité avec la présentation du rapport de Nanette Maupertuis sur la « Création de « Corsica pruspettiva 2050 » : Scenarii pour les prochaines générations ».
 
N.M.

Photo Michel Luccioni.
Photo Michel Luccioni.

La résolution du Conseil exécutif de Corse et de l’Assemblée de Corse

VU la déclaration de la délégation des élus de la Corse, en date du 7 octobre 2022, également signée par des dizaines de maires et Présidents d’intercommunalités ;
VU la décision de la Cour de Cassation en date du 26 octobre 2022 ;
VU la déclaration co-signée par 11 associations de soutien aux prisonniers anciens prisonniers politiques et organisations syndicales et politiques, lue et remise ce jour aux élus du Conseil exécutif de Corse et de l’Assemblée de Corse ;
 
Le Conseil exécutif et l'Assemblée de Corse :
 
RAPPELLENT et réitèrent les termes de la déclaration des élus de la Corse en date du 7 octobre 2022 ;
CONSIDERENT que ce sont aujourd’hui les maintiens en détention de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi qui sont et peuvent être générateurs d’un trouble à l’ordre public, et non leur accès à un régime de semi-liberté ;
RELEVENT que cette motivation, uniquement fondée sur le trouble à l’ordre public, ignore totalement les logiques de démocratie, de dialogue et d’apaisement qui prévalent en Corse depuis plusieurs années ;
SOULIGNENT que l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 26 octobre 2022 ouvre la voie à un réexamen rapide des demandes de semi-liberté régulièrement déposées depuis 2017 par Pierre Alessandri et Alain Ferrandi ;
SOUHAITENT que ces demandes soient examinées au plus vite ;
AFFIRMENT qu’après plus de 23 années de détention, la libération de ces deux hommes est conforme au droit et à la justice, aspiration partagée par la société corse dans toutes ses composantes ;
RAPPELLENT que cette position, comme celle de l’exigence de vérité et de justice pour Yvan Colonna, a été exprimée à plusieurs reprises de façon solennelle et unanime tant par l’Assemblée de Corse et le Conseil exécutif de Corse, que par de très nombreux maires, parlementaires, élus, et organisations humanitaires, en Corse comme à l’extérieur de l’île ;
CONSIDERENT que le refus incompréhensible de permettre à Pierre Alessandri et à Alain Ferrandi d’accéder à un régime de semi-liberté suscite au sein de la société corse des tensions qui mettent en danger le processus de discussion engagé entre la Corse et l’Etat ;
ASPIRENT à poursuivre le processus de dialogue dans des conditions apaisées ;
DEMANDENT donc, solennellement, au plus haut niveau du Gouvernement et de l’Etat, des actes politiques, prenant en compte l’ensemble de ces éléments, de façon à créer les conditions de la reprise du processus en cours ;
Rappelant que dans l’histoire contemporaine de la Corse, les négociations politiques ont toujours pris en compte la question des prisonniers,
 
DEMANDENT que le processus de discussion engagé entre la Corse et l’Etat intègre cette problématique dans toutes ses dimensions (retour à la liberté, condamnation pécuniaires, Fijait, logique d’apaisement en direction des jeunes ayant participé aux manifestations du printemps dernier).
DEMANDENT qu’une réunion sur cette question, associant les associations de prisonniers et anciens prisonniers, leurs avocats, les élus de la Corse, et des représentants du Gouvernement soit organisée au plus vite, dès le mois de novembre 2022.