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À l'Assemblée de Corse, le dossier de la gestion de l'eau fait des remous


le Vendredi 3 Octobre 2025 à 20:20

Un rapport d’information sur la politique de l’eau et les recommandations de la Cour régionale des comptes, à l’ordre du jour de la session de l’Assemblée de Corse ce vendredi après-midi, a donné lieu à une charge appuyée de l’opposition, face à une majorité sommée d’agir plus vite et plus fort.



(Photo : Paule Santoni)
(Photo : Paule Santoni)
La ressource en eau est décidément au cœur de toutes les attentions ces derniers jours. Alors que la situation dans l’Extrême-sud de l’île reste tendue, ce vendredi, à l’occasion du deuxième jour de la session de rentrée de l’Assemblée de Corse, la présidente de l’Office d’Équipement Hydraulique de la Corse (OEHC), Vannina Chiarelli-Luzi, a présenté un rapport d’information sur la politique de l'eau et les recommandations de la Chambre régionale des Comptes (CRC)
 
En préambule, elle a rappelé qu’en prenant connaissance des observations de la juridiction,  le 28 avril 2023, l'Assemblée de Corse avait réaffirmé « l'importance d'une gestion publique de l'eau », avec une gouvernance « concertée entre la collectivité de Corse, le comité de bassin et la Chambre des territoires » et a  souligné que la stratégie de l’Exécutif en matière de gestion de l’eau repose sur « trois axes prioritaires » : « mener des actions pour économiser l'eau et rattraper le retard en infrastructure, mettre en place un contrat social et écologique autour de l'eau, et adapter la gouvernance pour plus d'efficacité et de concertation ». En 2023, neuf recommandations avaient été émises par la CRC, dont un point portant sur la réorganisation administrative. « Il y a eu la création d'une direction de l'eau et de la sécurité sanitaire environnementale. Elle regroupe la stratégie, le financement, le suivi du plan d'adaptation au changement climatique, la gestion durable des services et l'assistance technique aux communes », indique Vannina Chiarelli-Luzi en écho, en ajoutant également que conformément à ce qu’avait préconisé la CRC, la mise en œuvre des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) dans les cinq microrégions identifiées comme étant les plus vulnérables au changement climatique – Balagne Agriate, Cap Corse Nebbiu, Bastia-Bevincu, Mezziornu et Baracci – ont été accélérées. En outre, la présidente de l’OECH pointe des « actions complémentaires » réalisées par la Collectivité de Corse, notamment l'organisation de huit Scontri di l’acqua avec les élus et les acteurs locaux, dont les conclusions ont été intégrées dans le 12ème programme de l'Agence de l'eau pour 2025-2030, « avec un soutien accru aux communes rurales et une équité territoriale qui a été renforcée ». 
 
 
« Un déficit structurel en équipement »
 
Malgré ces avancées, la tension sur la ressource demeure et l’impatience se fait sentir sur les bancs de l’hémicycle. « On se retrouve aujourd’hui dans une situation tendue dans tout le sud de l'île. À ce jour, l'Ospedale est vide, le Rizzanese le sera bientôt. Et Figari n'a plus que 30% de capacité », alerte Georges Mela, conseiller territorial d’Un Soffiu Novu. Pour lui, la priorité n’est pas de se projeter à l’horizon 2050 mais de sécuriser dès l’année prochaine l’approvisionnement du Grand Sud. « On veut étaler et augmenter la fréquentation touristique, mais les capacités de stockage n’augmentent pas », siffle-t-il, estimant que l’Office hydraulique ne peut plus se contenter d’entretenir l’existant mais doit redevenir « l’outil majeur du développement hydraulique », capable de porter de grands ouvrages structurants.
 
Regrettant que ce débat capital intervienne à l’aune d’un rapport d’information sur le suivi des observations de la CRC, Paul-Félix Benedetti dénonce pour sa part un « déficit structurel en équipement », en comparant la situation corse avec celle de la Sardaigne, pourtant confrontée à des conditions climatiques plus rudes. « La Sardaigne, qui affiche une pluviométrie moyenne 30 % inférieure à celle de la Corse et qui a connu de gros problèmes chroniques de manque d’eau, est aujourd’hui dans une meilleure situation que nous en matière de gestion de la ressource », tance-t-il. Preuve en est, reprend-il, « les Sardes ont aujourd’hui une consommation globale annuelle de 700 millions de mètres cubes, mais ils disposent de 1 800 millions de mètres cubes stockés ». Un résultat rendu possible, selon l'élu, par une organisation rationnelle, cohérente et centralisée. « Ils ont une planification, une capacité opérationnelle. Ils comptent 37 barrages, gérés par un établissement public unique, comme pourrait l’être l’Office hydraulique en Corse », relève-t-il en regrettant : « En Corse, le gros des ressources est encore géré directement ou indirectement par l’État, à travers les barrages de Tolla et de Calaccuccia. En Sardaigne, il existe une société technique qui gère uniquement la ressource, et une autre société distincte qui assure la distribution sur l’ensemble du territoire. Ils ont une logique rationnelle, un commandement unique, une gestion partagée ». 
 
En outre, pour le président du groupe indépendantiste, la Corse aurait également tout intérêt à s’inspirer de la capacité d’anticipation et de redistribution de l’isula surella « Il y un commandement unique et elle a surtout une gestion partagée. Ils ont des maillages, ils ont des transferts de réseaux, ils ont su mobiliser les ressources là où il y avait le plus d'eau ». À l’inverse, dénonce-t-il, la Corse reste prisonnière de ses divisions. « Nous, nous avons des logiques individualistes, des logiques de vallée, des corporatismes, et surtout une politique des petits pas », avance-t-il, déplorant encore que là où « la Sardaigne stocke environ 10 % de sa pluviométrie annuelle, en Corse, nous en stockons à peine 1 % ».  Une donnée qui, selon lui, illustre « un déficit structurel en équipement » qui menace durablement l’avenir de l’île.« Il faut comprendre que s'il n'y a pas d'eau, il n'y a pas de vie. Que c'est l'élément le plus stratégique de n'importe quel schéma d'aménagement territorial », tonne-t-il en glissant : « Et on fait semblant de penser que c'est la variable d'ajustement, y compris des plans d'investissement. Ce matin, nous avons voté 30 millions d'euros pour les routes. Or, ce n'est pas ça, la stratégie. La stratégie, aujourd'hui, c'est de dire qu'on ne fait pas les routes et que ces 30 millions, on les met dans le transfert d'eau entre l'Ortolo et le barrage de Figari ».
 
 
Construire un « plan Marshall de l’eau »
 
Sur les bancs d’Avanzemu, Saveriu Luciani, ancien président de l’OEHC, partage ce constat d’urgence, appelant à « un plan Marshall de l’eau ». « Il faut une volonté politique forte, et ne pas se contenter de la gestion au jour le jour. Nous sommes dans une situation où nous avons besoin de changer de braquet, parce que ce qui se produit cette année dans l’Extrême Sud arrive partout en Corse et va continuer à se produire. Les choses doivent forcément s’accélérer, nous avons plus de cinq ans de retard sur les projets de territoire. Si nous ne changeons pas de dimension, nous serons condamnés à subir chaque année l’aléatoire », affirme-t-il. « Le problème aujourd’hui c’est l’unicité de la ressource. Si demain par exemple il y a un problème sur le barrage de Tolla, 100 000 personnes se retrouvent sans eau sur la région ajaccienne. Nous avons intérêt à mailler, à interconnecter, et à stocker de manière beaucoup plus massive », insiste-t-il.
 
Du côté de la majorité, Jean-Jacques Lucchini défend le bilan de l’Exécutif. « Quand nous sommes arrivés en 2015, c’était une page blanche. Depuis trente ans, plus aucun ouvrage hydraulique n’avait été construit. Nous avons dû d’abord établir un diagnostic, avec le plan Acqua Nostra, qui donnait une vision jusqu’à 2050 », explique-t-il. Face à l’accélération brutale du changement climatique, le conseiller territorial Fà Populu Inseme ajoute que les investissements ont été triplés : « Le budget annuel de l’Office est passé de 7 à 24 millions d’euros, soit 240 millions sur dix ans. Cela permet de sécuriser 20 millions de mètres cubes de stockage, auxquels s’ajoutent 5 millions économisés grâce à un système satellitaire de détection des fuites ». Plus loin, il pose aussi une question de fond : « Avons-nous les moyens d'accueillir de nouveaux flux de population chaque année ? Avons-nous capacité à héberger des yachts de plus en plus grands qui consomment énormément d'eau ? Devons-nous continuer à promouvoir le tout-tourisme sur la période estivale ? Devons-nous continuer à promouvoir la résidence secondaire et les gros projets touristiques ? Nous, nous pensons que ce n'est plus possible. Aujourd'hui, nous savons que nos ressources en eau vont diminuer dans un avenir très proche de 40%. L'avenir, c'est prévoir la Corse par rapport à la ressource en eau disponible. C'est pour cela que nous avons fait le choix d'un tourisme déconcentré sur l'hiver, le printemps et l'automne, quand l'eau est disponible ».
 

Vannina Chiarelli-Luzi (Photo : Paule Santoni)
Vannina Chiarelli-Luzi (Photo : Paule Santoni)
L'élu de la majorité tend par ailleurs à désamorcer la polémique qui enfle autour de la gestion de l’eau dans l’Extrême-Sud. Dans cette optique, il souligne que la consommation d’eau potable y avait bondi de 16 % en trois ans, « essentiellement en raison du nombre de résidences secondaires », le tout sur un territoire frappé par « une sécheresse inédite, la première de cette intensité jamais connue dans l’Extrême-Sud ». De plus, à ses yeux, la responsabilité des collectivités de l’Extrême-Sud doit être clairement posée. « Le choix de confier la distribution de l’eau à un opérateur privé doit être assumé. Un opérateur privé, de type multinational, cherche d’abord à vendre le maximum d’eau, pour faire du bénéfice. Nous, nous le disons et nous le répétons : l’eau est un bien commun, et elle doit être gérée par l’établissement public, avec pour priorité de préserver nos ressources et d’économiser l’eau », martèle-t-il. Un pic à peine dissimulé qui fait quelque peu grincer des dents du côté d’Avanzemu.
 
 
« Sans sobriété, nous pourrons faire tous les ouvrages que l’on veut, nous n’y arriverons quand même pas »
 
Face aux critiques sur le retard pris dans les grands ouvrages, le conseiller territorial de Fà Populu Inseme défend encore les projets déjà engagés : la rehausse du barrage de Figari, prévue pour 2028, ainsi que la construction de nouvelles retenues collinaires dès 2026 sur trois sites identifiés. « Contrairement à ce qui est dit, nous avions déjà anticipé ces prévisions climatiques extrêmes. Notre plan à dix ans a été bâti avec les acteurs de chaque micro-territoire, en fonction de leurs besoins présents et futurs, en tenant compte des contraintes climatiques, et avec un calendrier resserré et des moyens financiers fléchés », assure-t-il en répondant par ailleurs aux comparaisons avec la Sardaigne, érigée en modèle quelques minutes plus tôt par Paul-Félix Benedetti : « Beaucoup de régions aimeraient être aussi armées que nous. En Sardaigne, la plupart des barrages sont envasés, ils n’ont pas les moyens de les désenvaser, et beaucoup sont soumis à des cyanobactéries. Les canalisations y sont vétustes à plus de 80 %, les coupures d’eau régulières. Donc ce n’est pas un modèle absolu ». Et de conclure : « Je peux vous l’affirmer, nous sommes tous au travail. Nous avons un projet financé, clair, et qui avance. Les ouvrages vont sortir rapidement ».
 
Après que la présidente de l’Assemblée de Corse ait refusé de donner au groupe Avanzemu l’occasion de répondre à cette charge de la majorité, ses élus décideront de quitter l’hémicycle. « Après les stratégies de saturation de l’espace et de communication outrancière, voici venu le temps du bâillonnement, courageusement masqué par l’invocation- bien sélective - du règlement intérieur. Fidèles à nos engagements, nous continuerons pour notre part à œuvrer, en responsabilité, pour sortir de la crise actuelle. Mais nous ne manquerons pas, une fois la situation rétablie, d’utiliser tous les moyens à notre disposition pour éclairer les faits qui nous ont conduit à la difficulté, voire à la pénurie, dans certaines régions de l’île », fustigera le groupe dans un communiqué envoyé dans la foulée. 
 
De son côté, la présidente de l’OEHC conclura ce débat houleux en réaffirmant que l’objectif de l’Exécutif est de parvenir à stocker 40 millions de mètres cubes supplémentaires à horizon 2050. Mais avertira : « Il faut avant tout de la sobriété. Sans sobriété, sans économie d'eau, nous pourrons faire tous les ouvrages que l’on veut, nous n’y arriverons quand même pas ».