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Younous Omarjee en Corse : « Le mouvement de l’histoire est la prise en compte des particularités »


Nicole Mari le Lundi 11 Octobre 2021 à 10:00

Prendre en compte les spécificités des îles dans les politiques européennes, c’est la priorité du député et Président de la Commission du développement régional au Parlement européen, Younous Omarjee. L’élu réunionnais vient d’effectuer un déplacement de quatre jours en Corse où il a rencontré le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, et la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis. Il a, également, visité des projets cofinancés par l’Union européenne en matière de mobilité et d’énergie, comme le Mantinum et l’Aldilonda à Bastia. Il explique, à Corse Net Infos, qu’il n’y a pas de solution uniforme à des situations plurielles à l’échelle communautaire. Pour lui, l’Etat ultra-jacobin n’a pas de sens, il faut faire du sur-mesure.



Younous Omarjee, député européen LFI et Président de la Commission du développement régional au Parlement européen, avec le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, lors de sa visite en Corse. Photo CNI.
Younous Omarjee, député européen LFI et Président de la Commission du développement régional au Parlement européen, avec le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, lors de sa visite en Corse. Photo CNI.

- Pourquoi cette longue visite en Corse ?
- Il faudrait quatre jours de plus pour essayer de commencer à comprendre la complexité de la société et de la situation en Corse ! J’avais pris l’engagement auprès de Gilles Simeoni que mon premier déplacement en tant que président de la Commission du développement régional, après la crise Covid, serait dans votre île parce que j’ai décidé de faire de la question insulaire une priorité de cette législature. Je viens de l’île de la Réunion et je suis très intéressé par cette question de l’insularité. On a perdu trop de temps, trop de législatures ! Il faut avancer de manière concrète et raisonnée, les conditions sont aujourd’hui réunies pour cela. Il y a en Corse, en particulier avec le président Gilles Simeoni et la présidente Madame Maupertuis, une détermination et une volonté sur lesquelles je m’appuie, avec aussi d’autres Exécutifs insulaires en Italie, aux Baléares ou en Grèce, pour que le fait insulaire soit mieux reconnu dans les politiques européennes.
 
- Gilles Simeoni à la présidence de la Commission des îles et Nanette Maupertuis au Comité des régions ont porté cette revendication. Pourquoi est-elle si peu entendue par la Commission européenne ?
- Je suis co-législateur et je préside l’ensemble des négociations qui concernent le champ de la cohésion et les questions de coopération transfrontalière et internationale. Les décisions en Europe sont prises, d’abord, par les co-législateurs, c’est-à-dire le Conseil et le Parlement européens. La Commission européenne fait des propositions, mais c’est nous qui décidons ! Nous sortons à peine des négociations où nous avons sauvegardé ces fonds qui, même s’ils ne sont pas très conséquents, restent importants. J’ai visité, avec le maire de Bastia, le magnifique projet du Mantinum et le projet connexe de l’Aldilonda qui sont des réalisations très concrètes de l’apport de la plus-value de l’Union européenne (UE) dans les projets pour le territoire. Nous travaillons déjà sur la future génération des fonds de cohésion pour introduire des modifications. Il faudra bien sûr gagner la conviction du Conseil et de la Commission européenne pour qu’elle mette en œuvre et accepte de donner la pleine application, c’est-à-dire le champ d’application le plus fort et le plus dynamique, à l’article 174. Ce qu’elle refuse de faire jusqu’à maintenant. Il ne faut pas rester l’arme aux pieds, mais retourner au combat. C’est ce que nous faisons ! Le fait insulaire sera de plus en plus reconnu par l’Union européenne, et les îles seront replacées au centre de ses visions stratégiques.
 
- Qu’est-ce qui vous incite à le penser ?
- A l’échelle du monde et de l’Europe, les îles sont devenues des points majeurs dans la bataille que se livrent les principales puissances sur les routes maritimes, commerciales, énergétiques... Dans un contexte où la Chine, par exemple, développe sa stratégie sur la route de la soie, les îles des Açores, des Canaries ou de Méditerranée revêtent un intérêt nouveau pour l’UE qui les regardent différemment. Dans l’océan Indien, nos îles sont le théâtre du jeu des puissances environnantes et des intérêts de la France, mais cela ne peut pas se faire au-dessus des intérêts des populations riveraines. On ne doit pas danser au carnaval des autres ! La Réunion et Mayotte ne doivent pas seulement tourner au bénéfice des grandes flottes espagnoles ou portugaises qui viennent piller nos eaux, parce que ce sont des eaux européennes, sans aucun retour pour notre économie. On ne doit pas laisser nos îles être les instruments de la puissance de la France ou de l’UE ! L’action des politiques publiques européennes doivent servir avant tout à l’intérêt des populations et du développement local.

Avec le maire de Bastia, Pierre Savelli.
Avec le maire de Bastia, Pierre Savelli.
- Les enjeux pour la France et l’UE sont-ils aussi importants en Méditerranée ?
- Les enjeux en Méditerranée sont considérables ! La question méditerranéenne va revenir, qu’on le veuille ou non, au centre des débats. La France doit tout faire pour cela. J’espère que la présidence française de l’UE sera une occasion de regarder à nouveau la Méditerranée et de replacer les îles méditerranéennes, comme la Corse, au cœur des enjeux liés à l’adaptation au changement climatique, à la biodiversité, au trafic maritime et au désenclavement. Il faut - nous en parlions avec le président Simeoni et la présidente Maupertuis – favoriser une meilleure coopération entre les îles méditerranéennes, entre la Corse, la Sardaigne, l’Italie et aussi l’autre rive de la Méditerranée.
 
- La coopération de la Corse avec la Sardaigne et les Baléares n’a pas été du goût du pouvoir parisien. Pourquoi une telle peur de l’Etat français, selon vous ?
- C’est un problème de constitution de l’État français qui a pris à peu près un millénaire pour arriver à une unité, mais une unité faite contre beaucoup de particularismes. Donc effectivement, il y a la peur des Girondins et aussi le fait colonial. La France a été et continue d’être une puissance coloniale, elle a vécu difficilement la décolonisation qui s’est passée de manière un peu agitée. Je le dis en tant qu’ultramarin par rapport aux Outre-mer : l’Etat français a gardé un esprit colonial. Il est dans un repli ultra-jacobin contre des évidences. Lorsqu’on dit que la Corse et les élus corses doivent pouvoir discuter directement avec les pays qui les environnent, c’est pour le bénéfice de la Corse, mais aussi de la France. Il faut le favoriser plutôt que l’empêcher. Idem lorsqu’on dit que les Réunionnais doivent discuter avec les Malgaches. Je pense que Monsieur Le Drian a assez de travail à faire pour ne pas s’encombrer de ces problèmes-là ! L’Etat doit faire confiance, déléguer. Dans les îles, on ne vaut pas plus qu’ailleurs, mais on ne vaut pas moins !

- N’y a-t-il pas contradiction entre cet ultra-jacobinisme de l’État et le projet européen que porte le président Macron ?
- Absolument ! Je suis un fervent partisan de l’Europe au service des régions. Il ne faut pas croire que ce qu’on appelle l’Europe des régions est une menace pour les États-nations. Ce n’est pas vrai ! C’est une vision déformée de la réalité. Il ne faut pas, ni mettre trop d’espoir, ni trop de peur dans l’Europe des régions !
 
- C’est-à-dire ?
- Ceux, qui combattent l’Etat-nation et sont pour un fédéralisme européen, considèrent que l’Europe des régions va servir ce projet-là. C’est un peu exagéré ! Ceux, qui sont totalement attachés au seul État-nation et rejettent cette idée de fédéralisme européen, pensent que l’Europe des régions est un élément qui va le favoriser et qu’il faut donc combattre. Ce n’est pas ça non plus ! La politique régionale européenne est partagée avec les Etats-membres pour aider les régions continentales, périphériques ou ultra périphériques à atteindre un niveau de convergence. C’est ce qu’on appelle : la cohésion. Il s’agit d’amener les régions à un niveau de développement, de réduire les disparités et les fractures territoriales. La grande question aujourd’hui, à l’intérieur des pays comme à l’échelle de l’UE, est le combat contre les fractures territoriales, sociales, économiques, sanitaires... C’est l’ambition de la politique de cohésion. Avec un principe : moins une région est développée, plus elle a des difficultés, plus elle est soutenue par l’UE.

Avec la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis.
Avec la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis.

- Si l’on compare aux régions de l’Est, une île, comme la Corse, bénéficie au final de peu de fonds européens ?
- Les îles des régions ultrapériphériques bénéficient de plus de fonds. La Réunion reçoit plus de 1,2 milliard € sur une programmation et, si l’on ajoute tous les fonds européens, la somme se monte à plus de 2 milliards €. La Corse bénéficie de 115 millions €. Le différentiel est considérable ! C’est exactement sur cette question que nous travaillons avec la présidente Maupertuis et le président Simeoni, mais aussi avec les présidents des autres îles qui ne sont pas ultrapériphériques, afin que les méthodes d’allocation changent pour la future programmation. Les régions des pays de l’Est sont classées dans la catégorie des régions les moins développées d’Europe, et moins on est développé, plus on a de l’argent. La Corse est dans la catégorie des Régions en transition, donc elle reçoit beaucoup moins de fonds, et comme elle n’a que 300 000 habitants, cela ne fait pas beaucoup. Pourtant, elle a les caractéristiques et les difficultés structurelles des îles, c’est-à-dire l’éloignement, l’étroitesse du marché, la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, les surcoûts... Il faut que, dans le calcul des allocations, tous ces éléments, ces handicaps permanents soient pris en compte par une réaffectation des fonds. Des choix sont faits aussi au niveau de l’État. Sur le Fonds de relance, la France aurait pu mieux servir les Outre-Mer et la Corse. Il y a enfin l’enjeu très fort de la bonne utilisation des fonds. Je suis agréablement surpris par le fait que la Corse a un niveau de consommation correspondant à la moyenne européenne. Elle consomme plutôt bien avec des projets de qualité, et je pense qu’il y a matière encore à progresser.
 
- La Corse est une île montagne, les fonds UE vont surtout au littoral et ignorent cette contrainte montagneuse. Comment y remédier ?
- Nous avons décidé de présenter un rapport sur les îles qui sera voté en janvier ou février 2022 et qui est toujours en cours d’élaboration. Mon séjour en Corse permet de nourrir les propositions qui seront faites dans ce rapport. La présidente Maupertuis et le président Simeoni m’ont dit que les objectifs d’autonomie alimentaire et énergétique sont stratégiques pour la Corse. En matière d’autonomie alimentaire, l’agriculture corse a des potentialités considérables : beaucoup d’efforts ont été accomplis dans l’élevage et dans certaines cultures. Sur les cultures vivrières, il y a sans doute un chemin à trouver pour diminuer les importations et augmenter la production locale, mais la Corse ne bénéficie pas des instruments européens pour cela. Par exemple, le programme POSEI permet aux régions ultrapériphériques, mais aussi aux îles grecques, de structurer les filières et de créer les circuits de commercialisation les plus courts de la ferme à l’assiette. Travaillons sur un POSEI Corse qui assurerait plus de fonds par rapport à l’agriculture, en plus des fonds de la PAC (Politique agricole commune). Des Fonds POSEI adaptés sur la base de l’article 174 et répondant à des problématiques de zone à mi-hauteur du pays.
 
- Le futur budget européen sera-t-il à la hauteur ?
- On a eu énormément d’inquiétude. Avec l’ancien président du Comité des régions, Mr Lambertz, nous avons mené un combat commun et mobilisé les régions de toute l’Europe pour sauver le budget de la cohésion dans un contexte budgétaire extrêmement tendu. Le budget de la cohésion a été sauvé. Si on ajoute les budgets propres à la politique régionale – FEDER…- et les nouveaux instruments que nous avons voulus – le Fonds de transition juste, React-U -, nous avons plus d’argent que jamais auparavant. La bataille budgétaire a été gagnée ! J’ai présidé toutes les négociations concernant les fonds et je peux vous dire que, globalement aujourd’hui, le cadre est plutôt favorable, même si des inquiétudes persistent pour l’avenir parce que tous les fonds du Plan de relance ont échappé à la méthode communautaire. Leur gouvernance n’est pas équivalente à celle des fonds européens, beaucoup de liberté est laissée aux Etats.

- La Commission du développement régional ne s’est pas tellement intéressée aux îles jusqu’à présent. Le fait que vous soyez un insulaire change la donne ?
- Oui ! C’est vrai ! Je pense que c’est un bon alignement de planètes parce que la Commissaire à la politique régionale, Elisa Ferreira, est portugaise et partage une proximité de pensée sur ces questions. Je pense que cette législature peut être marquée par des avancées. Il y en a déjà une sous forme de ballon d’essai : le « Fonds de transition juste ». Notre Commission a fait adopter une disposition très favorable aux îles et déjà opérationnelle. La disposition initiale était que 1 % du flux soit versé aux îles, 1 % aux régions ultra périphériques. On a buté sur un certain nombre de difficultés dans la négociation. On a réussi à faire acter le principe que les îles seront favorisées par les Etats membres dans la répartition des enveloppes. C’est très important parce que la question de l’énergie est la question clé. Il faut aller vers des énergies renouvelables, fermer les centrales à charbon qui restent sur le continent, passer à l’après centrale électrique dans les Outre-Mer et les îles, et surtout ne pas en rajouter. Il faut penser à la reconversion vers un modèle plus propre et mettre le paquet - je sais que c’est l’ambition des élus de votre territoire - sur les énergies renouvelables. Tout existe en Corse pour aller vers le 100% d’autonomie énergétique. Le terme « autonomie » est la clé de tout : autonomie énergétique, autonomie alimentaire, autonomie politique, autonomie de pensée. C’est ce que nous essayons de faire.

- Votre île, La Réunion, dépend comme la Corse du pouvoir central. Le chemin semble rude pour arriver à l’autonomie ?
- Le chemin aujourd’hui, le mouvement de l’histoire est la prise en compte des particularités. Il n’y a pas de solution uniforme à des situations extrêmement diverses à l’échelle de l’Union européenne. Il faut faire du sur-mesure. En termes de gouvernance, le modèle jacobin ultra-centralisateur n’a pas beaucoup de sens, compte tenu de l’histoire, de la géographie, des caractéristiques économiques, des identités culturelles de la Corse et de l’Outre-Mer français. Nous sommes dans un temps très favorable pour aller vers ces évolutions dans le cadre de la République, bien entendu. C’est ce que je dis au gouvernement et au Président de la République.
 
- Le président Macron n’a pas l’air d’entendre ?
- Non ! Je pense qu’il passe à côté d’un moment historique parce que nous sommes dans une situation de très grande stabilité politique, d’affirmation très forte aussi d’une majorité politique, donc sur des positions qui permettent de trouver les voies d’un vrai bon compromis. Il faut être ouvert. La France doit saisir ce moment au lieu de rester dans un moment réactionnaire extrêmement violent. C’est très curieux d’entendre dans la bouche des membres du gouvernement ou de leurs représentants dans les Outre-Mer et en Corse des discours ou des attitudes d’avant même la décentralisation. Quand nous, nous sommes dans le temps de l’émancipation, ils sont dans le temps du paternalisme ou de la sévérité. Ils tapent sur la tête des élus ultramarins comme sur celle des enfants, mais c’est un chemin qui ne mène nulle part parce que nous sommes des peuples qui avons appris à ne pas baisser la tête. Plus on essaye de nous taper sur la tête, plus on se relève avec détermination ! Ils viennent nous parler de déconcentration quand on veut l’autonomie et l’émancipation. Il faut qu’ils se mettent à la page de l’histoire. Il y a un mouvement pour l’histoire qu’il faut accompagner de manière responsable, sereine, pacifique. C’est la volonté des élus corse, il faut que la France le fasse parce que c’est profitable à la République.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.