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Vincent Landais, copilote de Pierre-Louis Loubet: L’homme qui dessine les virages


José FANCHI le Jeudi 12 Octobre 2017 à 20:05

Et si nous parlions du bonhomme d’à côté dans un rallye. Une chose est sûre, un rallye de Championnat du Monde se gagne ou se perd à deux. Mais en vérité, les meilleurs équipages de l’histoire ne font qu’un. On a connu Darniche-Mahé, Ragnotti-Andrié, Andruet-Biche, Béguin-Lenne, Manzagol-Monti, Loeb-Elena, Ogier-Ingrassia et bien d’autres encore qui formaient d’authentiques couples. Ils sont complices, frères de sport, mariés aussi (Alain Oreille et son épouse) à la fois différents de caractère mais indissociables dans l’âme. Vincent Landais, copilote de Pierre-Louis Loubet nous apporte un témoignage de son rôle, de son métier, de sa foi



Vincent Landais, copilote de Pierre-Louis Loubet
Vincent Landais, copilote de Pierre-Louis Loubet
- A quoi sert le copilote ?
- Tout le monde pense immédiatement que le job, c’est de prendre des notes en reconnaissances, et de les lire en course. Mais ça, c’est à peu près 50% du métier. L’autre moitié est constituée d’une infinité de « micro-tâches ». Quand je dis « micro-tâches », ce n’est pas qu’elles ne sont pas importantes. Au contraire, elles sont essentielles. Mais simplement, elles sont multiples, et toutes ne vous absorbent pas de la même manière

- Donnez-nous un exemple ?
Par exemple, trois jours après le Rallye d’Allemagne, j’appelais Pierre-Louis au téléphone pour lui communiquer le descriptif du Rallye d’Espagne. Je lui ai dit que la partie terre du premier jour serait la même qu’en 2016. Donc il aura eu quelques semaines pour réviser toutes les spéciales sur terre (puisqu’on a les images des caméras embarquées). Je sais qu’il regarde beaucoup Sébastien Ogier. Les portions sur asphalte, en revanche, on va les prendre à l’envers, donc on ne peut pas les préparer. Ensuite, autre type de « micro-tâche » : je vais m’occuper de réserver les billets d’avion, voir avec Pierre-Louis s’il préfère partir de Porto- Vecchio ou de Paris, trouver le meilleur vol, au meilleur tarif. Excepté dans les très très grosses équipes, ce boulot de logistique, d’organisation, c’est souvent le copilote qui s’en charge. J’aime le faire, ce n’est pas un problème. Mais depuis que nous courons chez MSport, qui est une équipe importante, on me soulage d’un certain nombre de tâches – notamment les relations avec les organisateurs ou l’autorité sportive – et mon équilibre s’en ressent : j’ai plus de temps et d’énergie à consacrer à la course proprement dite


- Les images, c’est quoi au juste ?
- Depuis que le WRC a mis en place une plate-forme vidéo, en 2014, c’est hyper-simple. On y trouve toutes les images embarquées des dix meilleurs équipages mondiaux. Pour les vidéos des années d’avant, on se débrouille avec Youtube, ou autre chose. Et parfois on ne trouve rien et tant pis.


- Vous êtes copilote professionnel depuis quand ?
- J’ai cette chance depuis deux ans. C’est devenu mon métier, auquel je me consacre entièrement. 
 

- La prise de notes avec Pierre-Louis, c’est dur ?
- Il est très précis en prise de notes. Précis, rapide et dense. Il donne beaucoup d’informations. Et comme il est capable de rouler très vite dès son premier passage, il faut être archi-concentré et bien suivre. Écrire vite pour ne jamais perdre le fil. 


- Comment se passe la mise au propre et la relecture ?
- Une fois qu’on a écrit, on revient au départ, et là je lui récite ce que j’ai noté. En même temps, on a une GoPro qui filme notre deuxième passage. Le soir, dès qu’on est rentrés à l’hôtel, on étudie la journée, on se refait un passage avec la caméra. On regarde l’écran ensemble, et moi je lui récite encore une fois les notes. Et on remet ça la veille de la course. Pour chaque spéciale, on procède de cette façon.


- D’autres « micro-tâches avant l’épreuve ? »
- Bien sûr. Je vais préparer les reconnaissances par exemple, parce nous avons un timing fourni par l’organisateur. Donc il faut faire les plannings, préparer les cartes. Ensuite je reçois les cartes de MSport et je dois comparer ce que j’ai fait avec ce qu’ils ont conçu. Chaque lundi avant un Rallye, nous avons une réunion entre copilotes seulement, afin de planifier les reconnaissances, car nous avons toute une équipe d’encadrement. Si on a un souci technique au milieu d’une reconnaissance, si on a faim, si on a soif, il faut savoir où et quand  se tiennent les gens qui nous assistent. Et je dois les caler dans mon grand planning. Si Pierre-Louis a besoin d’un café pendant le parcours, il faut que je sache que le camion-buvette est deux ou cinq kilomètres plus loin. C’est une infinité de petits détails, mais sur 300 kilomètres de reconnaissances, je peux vous dire qu’il faut être au point. Pendant la course aussi, j’ai mes « micro-tâches » : entre les spéciales, c’est moi qui contrôle et ajuste la pression des pneus.
De toute façon, j’ai une check-list ; j’ai tellement de trucs à faire, jusqu’à vérifier que les adhésifs sont bien collés sur la voiture (rire) qu’il serait facile de commettre un oubli



- L’itinéraire repose sur votre seule responsabilité ?
- Absolument. Pierre-Louis me le demande le matin-même, le jour de la course. Il a besoin de savoir comment ça se déroule, combien de spéciales, à quelle heure on part, à quelle heure on rentre, etc. Il faut qu’il ait ça en tête. »


- Vous jouez le rôle du grand frère en quelque sorte ?
- Ah oui, vraiment bien ! J’ai cinq ans de plus que lui, mais on rigole des mêmes choses, on débat des mêmes sujets, on discute de l’actualité, on est en phase. C’est drôle, parce que lorsque j’ai commencé avec lui, il n’avait que 18 ans, et à peine dix rallyes d’expérience. Il était là au volant, à côté de moi, il avait l’allure d’un gosse, et pourtant… au volant ce n’était pas un môme ! Au volant, il n’est pas le même. 

Vous avez déjà eu peur à ses côtés ?
« Jamais ! En Allemagne, on était tellement concentrés qu’on n’a même pas réalisé ce qu’il se passait ! Mais on s’est fait vraiment une grosse frayeur le dimanche matin. On se sentait bien dans la voiture, on se savait capables d’attaquer… Et puis on est partis large dans l’herbe et, honnêtement, on a eu du bol parce que ça aurait pu très mal se terminer. Et après ça, on en a rigolé tous les deux jusqu’à l’arrivée ! Un journaliste nous a demandé : « mais qu’est-ce qui vous fait tant marrer ?’’ On lui a répondu : « on a vécu un truc de fous’’. Mais la peur : zéro.
La spéciale suivante, on est repartis aussi fort. Je n’ai jamais eu peur avec Pierre-Louis, jamais.
»

Sera-t- il un grand du volant ?
"Ah oui ! Et je vais vous dire quelque chose : le jour où il sera Champion du Monde, je lui demanderai en public : « dis donc, t’en as fait quoi, de mon gel douche du Rallye d’Allemagne 2017 ? » Parce que le charme de Pierre-Louis, c’est justement son âge. Depuis le début, je l’ai un peu habitué à le «cocooner » ; c’est ma façon de concevoir mon métier. Et je crois qu’il y a pris goût ! Du coup, il faut que je pense à tout pour lui, du shampooing au gel douche, en passant par les sous-vêtements et le dentifrice ! En Allemagne, mon gel douche, je ne l’ai pas vu de la semaine. Il est resté dans la salle de bain de mon pilote ! "

Des moments difficiles ?
« Bien sûr ! On rigole. On partage de super moments ensemble. Il y en a aussi de moins bons, et là je m’efforce de le soutenir du mieux que je peux. C’est mon job. Mais l’important, c’est que nous ne perdions pas la foi. Et ça, c’est ce qui nous porte tous les deux. »

Vincent Landais, copilote de Pierre-Louis Loubet: L’homme qui dessine les virages