La chaleur intense n’avait pas rebuté les participants, venus en grand nombre assister à cette soirée un peu particulière autour de Pasquale Paoli. L’idée en était venue à Eugène Gherardi en tout début d’année. Ce professeur à l’université de Corti, également directeur, dans le cadre du CNRS, du Laboratoire LISA “Lieux, Identités, eSpaces et Activités”, se trouve en effet être originaire du village de Parata d’Orezza, au cœur des Cinque Pieve, région de l’île qui dans le cadre des conflits qui ont opposé matristes et paolistes a principalement opté pour les seconds. A Parata d’Orezza est ainsi le lieu de naissance – et de dernier repos – d’un fidèle parmi les fidèles de la famille Paoli : Don Lorenzo Gherardi.
Don Lorenzo Gherardi, Eugène Gherardi ? La similitude des noms n’est pas un hasard. Rappelant que Parata compte parmi les plus petits villages de Corse, l’universitaire relève avec un sourire que ses habitants sont tous plus ou moins parents. Et si ce « prêtre et patriote, un homme du premier XVIIIe siècle », comme il le rappelle, est méconnu du grand public, s’il n’a peut-être été qu’un personnage secondaire dans l’Histoire, il n’en reste pas moins qu’il a été un proche des Paoli, du père Giacinto aux fils Clemente et Pasquale, dont il est resté l’ami, le confident, l’homme de confiance. De nombreux documents d’époque en témoignent – y compris dans les archives des Génois dont les espions suivaient avec inquiétude les démarches de ce personnage de l’ombre. Quoi de plus naturel alors que de rendre hommage à cet enfant du village qui compte parmi les « artisans de cette Corse des Lumières » ?
Une plaque mémorielle
La soirée a donc débuté par l’inauguration d’une plaque commémorative dédiée à Don Lorenzo Gherardi, dévoilée par un enfant porté dans les bras de père, au son du Dio chanté en paghjella. Un homme du village, Aimé Leoni, a lu une poésie qu’il avait composée en langue corse pour l’occasion. Car le corse était à l’honneur également dimanche, avec nombre de discours et d’interventions dans notre langue. La manifestation était l’occasion de rappeler « à nos jeunes l’épopée paoliste, une expérience démocratique unique en Europe, alors que notre nation était indépendante », a souligné Anne-Laure Santucci, conseillère exécutive de la Collectivité de Corse notamment en charge de la culture et du patrimoine, devant un parterre où les représentants du monde politique, culturel et universitaire était nombreux. Un héritage important sur lequel les Corses pouvaient s’appuyer « pour construire les lendemains ». Soulignant l’engagement patriotique et spirituel de Don Lorenzo Gherardi, le Président de la communauté de Communes de Castagniccia, Antoine Poli, s’est félicité de cette initiative qui « symbolise notre mémoire collective, nos racines, notre fierté ». Laurence Leoni, maire de Parata, a également « salué avec émotion » deux descendants de la famille Paoli présents dans l’assistance.
La superbe église baroque du village, dédiée à San Gavinu, et dont la restauration est en train de s’achever, était le cadre d’une exposition de livres et lettres autographes de Paoli, de précieux documents originaux comme le Disinganno, la Giustificazione ou encore le célèbre livre de Boswell présenté également dans une édition de l’époque ; et les visiteurs se pressaient auprès des trois vitrines pour les admirer.
Paoli et la Corse des Lumières
Ont alors suivi deux tables rondes rassemblant doctorants et chercheurs confirmés qui ont exposé leurs travaux. Deux thématiques : “Paoli et la Corse des Lumières”, puis “Le mythe paolien”. Maryline Taddei a rappelé le rôle important joué par Don Lorenzo Gherardi, alors aumônier de la communauté corse à Naples, dans l’accueil de Giacinto Paoli et de son fils Pasquale, lors de leur départ en exil en 1739, précisant que c’était par son entremise que Giacinto avait pu obtenir un poste de colonel dans l’armée des Bourbons. Et que c’était également grâce à lui qu’ils avaient pu être reçus à la Cour du jeune roi. Ce lien des Corses avec Naples est essentiel : rappelant l’action de Paoli en faveur de l’éducation, le Président de l’Université de Corti, Dominique Federici a d’ailleurs annoncé la signature prochaine, en novembre, de deux conventions avec les Universités de Naples.
Max Desgouttes qui travaille sur les rapports de la Corse et de l’Espagne, précisant que ces relations « n’étaient pas logiques parce que la Corse fait partie de la sphère italique », a explicité le projet d’inféodation imaginé par les premiers nationaux corses, tentant initialement d’insérer la Corse au sein d’un nouveau Royaume pour la libérer des Génois. Un projet qui échouera parce que les intérêts géopolitiques des Espagnols s’y opposent, même s’ils vont utiliser la Corse pour mieux revendiquer leurs territoires historiques, comme Naples, la Sicile ou la Sardaigne... Plusieurs nationaux corses de ce premier XVIIIe siècle s’engageront néanmoins dans le régiment espagnol, faisant ainsi bénéficier leurs compatriotes des patentes qui permettent de faire circuler sans encombre des biens entre la Terra ferma – l’Italie – et la Corse.
Avec Kevin Petroni, la littérature était aussi à l’honneur. Ce jeune chercheur a présenté la littérature corse pamphlétaire de l’époque – avec des publications qui justifient l’action corse au nom de principes théologiques, ce qui fait polémique à l’époque – et la littérature française qui commence alors à intégrer la Corse en lui donnant une nouvelle image : avec un Rousseau qui bascule en faveur des insurgés, les exhortant à privilégier l’indépendance, y compris sur le plan alimentaire, et l’égalité, en opposition à un Voltaire qui prend, lui, le parti de Choiseul. Suit alors un second moment dans la littérature française, avec des pièces plutôt fictionnelles écrites par des soldats qui pour certains ont participé aux expéditions de Corse. Un Bernardin de Saint-Pierre s’intéresse même à l’île, réfléchissant à des projets d’aménagement urbain, dans le cadre d’une annexion de l’île et de son intégration à la monarchie française. Enfin, Kevin Petroni a souligné l’intérêt de Buttafoco, un personnage controversé, mais dont la proximité avec Mirabeau explique peut-être son soutien précoce à la cause corse au moment de la Révolution française.
Le mythe paolien
L’appellation de Babbu di a Patria était l’objet de l’intervention de Pierre Couvidat-Gherardi. Rappelant l’héritage antique de cette formule – qui était un titre officiel chez les Romains, dès le 1er siècle avant Jésus Christ – il a souligné que la référence au père, pour les dirigeants, était une constante dans de nombreux pays. En Corse, le roi Théodore lui-même était associé à cette image que les contemporains de Paoli ont très vite appliquée à leur Général. Un héritage ancien, donc, pour les Corses, mais aussi une inscription dans une forme de continuité, puisque d’autres par la suite, à commencer par Washington en Amérique ou Victor-Emmanuel II en Italie, seront également qualifiés de “pères”.
Toujours dans le cadre de la construction des mythes corses, Pierre-François Marchiani a expliqué la façon dont le renouveau corsiste, autour de la revue A Muvra, puis des partis qui seront créés dans les premiers temps du XXe siècle, s’est appuyé sur des symboles construits en particulier autour de Paoli, créant un lien spécifique entre ce dernier et la religion pour mieux se différentier de « la France laïque, voire laïcarde », et dénoncer la « déchéance morale » de l’île depuis 1769 et encore plus depuis 1905. Ce faisant, le mouvement a créé une sorte de « religion politique qui fait de Paoli un saint corsiste », avec son catéchisme, ses lieux saints – Morosaglia et Ponte Novu – ses martyrs, et une dimension christique autour de la Nazione corsa et de la résurrection. Un imaginaire qui est encore très vivant aujourd’hui...
Christophe Luzzi, enfin, a présenté l’ouvrage que Raimondo Cocchi, ami de Paoli et fervent admirateur de son œuvre, a consacré à la Corse en 1770, comme « la voie tracée d’un modèle qui pourrait donner une forme de progrès et de bonheur à l’Europe entière ». Une image idéalisée de l’île, dotée d’une « pureté de mœurs qu’il ne faut pas pervertir », et une forme de « prospective intellectuelle qui pourrait rendre l’île exemplaire », incarnée par Paoli. L’ouvrage devrait faire l’objet prochainement d’une édition critique, avec traduction, qui sera mise à disposition en ligne.
Après un intermède musical – un Chjama è rispondi plein d’humour interprété par Patrizia Gattaceca et Battista Aquaviva –, la soirée s’est conclue autour d’un buffet. Una serata ricca è festiva ! Bravi !
Ont alors suivi deux tables rondes rassemblant doctorants et chercheurs confirmés qui ont exposé leurs travaux. Deux thématiques : “Paoli et la Corse des Lumières”, puis “Le mythe paolien”. Maryline Taddei a rappelé le rôle important joué par Don Lorenzo Gherardi, alors aumônier de la communauté corse à Naples, dans l’accueil de Giacinto Paoli et de son fils Pasquale, lors de leur départ en exil en 1739, précisant que c’était par son entremise que Giacinto avait pu obtenir un poste de colonel dans l’armée des Bourbons. Et que c’était également grâce à lui qu’ils avaient pu être reçus à la Cour du jeune roi. Ce lien des Corses avec Naples est essentiel : rappelant l’action de Paoli en faveur de l’éducation, le Président de l’Université de Corti, Dominique Federici a d’ailleurs annoncé la signature prochaine, en novembre, de deux conventions avec les Universités de Naples.
Max Desgouttes qui travaille sur les rapports de la Corse et de l’Espagne, précisant que ces relations « n’étaient pas logiques parce que la Corse fait partie de la sphère italique », a explicité le projet d’inféodation imaginé par les premiers nationaux corses, tentant initialement d’insérer la Corse au sein d’un nouveau Royaume pour la libérer des Génois. Un projet qui échouera parce que les intérêts géopolitiques des Espagnols s’y opposent, même s’ils vont utiliser la Corse pour mieux revendiquer leurs territoires historiques, comme Naples, la Sicile ou la Sardaigne... Plusieurs nationaux corses de ce premier XVIIIe siècle s’engageront néanmoins dans le régiment espagnol, faisant ainsi bénéficier leurs compatriotes des patentes qui permettent de faire circuler sans encombre des biens entre la Terra ferma – l’Italie – et la Corse.
Avec Kevin Petroni, la littérature était aussi à l’honneur. Ce jeune chercheur a présenté la littérature corse pamphlétaire de l’époque – avec des publications qui justifient l’action corse au nom de principes théologiques, ce qui fait polémique à l’époque – et la littérature française qui commence alors à intégrer la Corse en lui donnant une nouvelle image : avec un Rousseau qui bascule en faveur des insurgés, les exhortant à privilégier l’indépendance, y compris sur le plan alimentaire, et l’égalité, en opposition à un Voltaire qui prend, lui, le parti de Choiseul. Suit alors un second moment dans la littérature française, avec des pièces plutôt fictionnelles écrites par des soldats qui pour certains ont participé aux expéditions de Corse. Un Bernardin de Saint-Pierre s’intéresse même à l’île, réfléchissant à des projets d’aménagement urbain, dans le cadre d’une annexion de l’île et de son intégration à la monarchie française. Enfin, Kevin Petroni a souligné l’intérêt de Buttafoco, un personnage controversé, mais dont la proximité avec Mirabeau explique peut-être son soutien précoce à la cause corse au moment de la Révolution française.
Le mythe paolien
L’appellation de Babbu di a Patria était l’objet de l’intervention de Pierre Couvidat-Gherardi. Rappelant l’héritage antique de cette formule – qui était un titre officiel chez les Romains, dès le 1er siècle avant Jésus Christ – il a souligné que la référence au père, pour les dirigeants, était une constante dans de nombreux pays. En Corse, le roi Théodore lui-même était associé à cette image que les contemporains de Paoli ont très vite appliquée à leur Général. Un héritage ancien, donc, pour les Corses, mais aussi une inscription dans une forme de continuité, puisque d’autres par la suite, à commencer par Washington en Amérique ou Victor-Emmanuel II en Italie, seront également qualifiés de “pères”.
Toujours dans le cadre de la construction des mythes corses, Pierre-François Marchiani a expliqué la façon dont le renouveau corsiste, autour de la revue A Muvra, puis des partis qui seront créés dans les premiers temps du XXe siècle, s’est appuyé sur des symboles construits en particulier autour de Paoli, créant un lien spécifique entre ce dernier et la religion pour mieux se différentier de « la France laïque, voire laïcarde », et dénoncer la « déchéance morale » de l’île depuis 1769 et encore plus depuis 1905. Ce faisant, le mouvement a créé une sorte de « religion politique qui fait de Paoli un saint corsiste », avec son catéchisme, ses lieux saints – Morosaglia et Ponte Novu – ses martyrs, et une dimension christique autour de la Nazione corsa et de la résurrection. Un imaginaire qui est encore très vivant aujourd’hui...
Christophe Luzzi, enfin, a présenté l’ouvrage que Raimondo Cocchi, ami de Paoli et fervent admirateur de son œuvre, a consacré à la Corse en 1770, comme « la voie tracée d’un modèle qui pourrait donner une forme de progrès et de bonheur à l’Europe entière ». Une image idéalisée de l’île, dotée d’une « pureté de mœurs qu’il ne faut pas pervertir », et une forme de « prospective intellectuelle qui pourrait rendre l’île exemplaire », incarnée par Paoli. L’ouvrage devrait faire l’objet prochainement d’une édition critique, avec traduction, qui sera mise à disposition en ligne.
Après un intermède musical – un Chjama è rispondi plein d’humour interprété par Patrizia Gattaceca et Battista Aquaviva –, la soirée s’est conclue autour d’un buffet. Una serata ricca è festiva ! Bravi !
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