Corse Net Infos - Pure player corse

Sécheresses plus nombreuses et épisodes pluvieux plus intenses : un nouveau cycle météorologique pour le futur de la Corse


Pierre-Manuel Pescetti le Jeudi 12 Août 2021 à 20:37

Le 8 juillet dernier, la préfecture de Haute-Corse plaçait le département en vigilance sécheresse en raison d’une aridité estivale précoce. Un phénomène lié à plusieurs facteurs et aux conséquences néfastes autant sur l’environnement que sur la population qui pourrait être de plus en fréquent au fil des années mais aussi et surtout de plus en plus marqué.



Les épisodes météorologiques intenses devraient s'amplifier au fil des années en Corse. Archives CNI de la tempête Adrian
Les épisodes météorologiques intenses devraient s'amplifier au fil des années en Corse. Archives CNI de la tempête Adrian
Avant tout, il faut comprendre ce qu’est réellement une sécheresse. Selon Patrick Rebillout, directeur du centre Météo France d'Ajaccio, « il en existe trois types : la météorologique qui se caractérise par un déficit de précipitations, l’agricole par une présence trop basse d’eau dans le sol et hydrologique qui correspond à un niveau d’eau trop bas dans les cours d’eau et les lacs ». Toutes sont liées, l’une entraînant l’autre.

L’eau, précieuse ressource en perdition

Typiquement, cet été 2021, la Corse est frappée par les trois. Malgré les importantes chutes de neiges cet hiver et un manteau neigeux resté intact assez tard, la situation s’est aggravée à l’arrivée du printemps : « Nous avons atteint seulement 70 % des précipitations attendues avec des mois de mars et d’avril très secs et quelques pluies en mai » constate Patrick Rebillout. De quoi grignoter les stocks d’eau naturels formés pendant ce qui s’appelle « la saison de recharge » s’étalant de septembre à mars.

En juin, seul 30 % des précipitations attendues ont été au rendez-vous. Des pluies tardives, plus proches de l’été, moins efficaces du fait de la température plus élevées : l’évapotranspiration et l’évaporation ne laissent pas le temps à la pluie d’atteindre le sol. Une pluie absente et peu efficace qui laisse présager un été difficile. Le phénomène touche l’ensemble de l’île. Les pluies significatives, soit supérieures à 5 millimètres, sont absentes depuis presque trois mois dans certaines régions. « À Ajaccio, il n’y a pas de pluies significatives depuis 88 jours, 78 à Calvi et Bonifacio et 70 à Campile. Bastia a eu quelques orages le mois dernier mais avec de faibles précipitations. Le pire étant le Cap Corse qui n’a eu que quelques précipitations extrêmement localisées » commente Patrick Rebillout.

Résultat : une forte sécheresse agricole sur le littoral avec un taux d’humidité des sols qui a chuté de 80 %, laissant la végétation sans ressources, et des cours d’eaux qui s’assèchent en altitude.

De plus en plus précoces

Si statistiquement la Corse connait chaque année une aridité estivale, le danger se situe au niveau de sa durée comme l’explique le météorologiste : « avec le réchauffement climatique l’atmosphère se réchauffe et entraîne plus d’évaporation et d’évapotranspiration. Cela va causer des aridités estivales plus précoces amenant à des sécheresses agricoles plus durables. Au lieu de s’étaler de la mi-juin à début octobre, elle le fera de mi-mai à fin octobre dans le meilleur des cas et du premier mai à la fin novembre dans le pire scénario ». En somme, les étés vont s’allonger et être de plus en plus arides.

De plus en plus nombreuses

Faut-il pour autant s’habituer à subir de plus en plus de sécheresses ? « Clairement oui ! » lance Patrick Rebillout. Etant liées à la température, leur nombre va augmenter en même temps que le réchauffement climatique.

Cependant, la variable température moyenne n’augmente pas d’années en années. Ce sont plutôt les extrêmes qui inquiètent le météorologiste : « en Corse, le record de chaleur est détenu par Sartène qui a atteint les 43,4 degrés à l’été 2009. Mais avec les prévisions d’ici à la fin du siècle qui annoncent une hausse des maximales de 6 degrés dans le pire des cas on pourrait aisément avoir des maximales proche des 50 degrés, voire les dépasser ».

À plus court terme, les effets se ressentent déjà au quotidien et les chiffres le prouvent. La température moyenne grimpe de 0,2 degrés par décennie selon les statistiques passées. Une augmentation encore plus marquée depuis le début des années 2000.

Un nouveau climat pour la Corse ?

Les discussions de comptoirs spéculent sur ce que sera la Corse et son climat dans les prochaines années. Saharien ? Tropical ? Subtropical Humide ? « Rien de tout cela » projette Patrick Rebillout avant d’ajouter que « la Corse gardera un climat méditerranéen mais plus contrasté se rapprochant de celui de la rive sud de la Méditerranée. Notre chance c’est d’avoir un relief plus important que le Maghreb, nous permettant de faire des stocks d’eau ».

Pas de mousson suivie de saisons plus arides pour la Corse mais un cycle hydrologique plus marqué, alternant entre des sécheresses plus importantes et des épisodes de précipitations beaucoup plus intenses comme l’avait été la tempête Adrian en octobre 2018. Le risque est de voir ces épisodes provoquer de nouvelles crues mais également un taux de pénétration de l’eau dans le sol moins important, faisant le jeu des sécheresses agricoles. « Il ne va pas moins ou plus pleuvoir en Corse mais plus intensément sur une courte période. Tout l’enjeu sera d’arriver à capter cette eau pour la garder en réserve avant qu’elle ne finisse en pleine mer et qu’elle ne détruise tout sur son passage ».

Il ne faut pas s’y tromper, si rien n’est fait concernant le changement climatique, la Corse aussi sera touchée et le paradis qu’elle est pour ses habitants risque bien de se transformer en enfer. Jusqu’à quel point ? Difficile à dire, mais suffisamment pour amener la population à changer de mode de vie.