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"Rouge" : au Festival Arte Mare on reparle de l'affaire des boues rouges en Corse


Philippe Jammes le Mardi 6 Octobre 2020 à 19:05

Dans sa programmation, le festival Arte Mare projette un film qui rappellera de bien mauvais souvenirs aux Corses : l’affaire des «boues rouges » dans les années 70.
Dans le film « Rouge », qui fait partie de la sélection du Festival de Cannes 2020 et dont la sortie est prévue le 25 novembre prochain, le réalisateur Farid Bentoumi relate, entre fiction et réalité, l’histoire d’une société établie en Provence qui rejette des déchets polluants dans la mer.

CNI a rencontré Farid Bentoumi et Zita Hanrot, réalisateur et actrice principale du film



- Farid Bentoumi, l’idée du scénario ?
- L’idée vient de plusieurs histoires de lanceurs d’alerte et d’histoires de pollution d’usine, notamment celle de Gardanne près de Marseille. Depuis près de 60 ans, elle rejette des produits toxiques dans la mer et sur terre. Il y a aussi l’histoire des boues rouges en Corse qui m’ont inspiré. L’histoire de la société italienne Montedison qui en 1972 rejetaient des boues rouges prés du Cap Corse. Les Corses se sont battus contre cette pollution, notamment  le Front Paysan Corse de Libération, et la société a été condamnée. C’était la 1ère fois qu’une entreprise était condamnée pour pollution industrielle.

- Un film presque autobiographique ?
- C’est surtout mon père qui a baigné dans ce milieu ouvrier. C’était un délégué syndical très très engagé politiquement pour ses collègues. Avec lui j’ai vécu 3 ou 4 fermetures d’usines, notamment Pechiney Métallurgie et des mines de charbon à St Etienne. Du coup j’ai vécu cela de près, avec son lot de grèves, de manifestations, de fermetures. Je sais ce veut dire perdre son emploi, voir une ville mourir avec la disparition de son usine. Je pense qu’aujourd’hui nous sommes dans une urgence climatique qu’il faut régler, régler le problème des pollutions industrielles. Mais en même temps, il faut faire attention aux gens qui perdent leur emploi. Ce film raconte la difficulté de ce débat là. Souvent, écolos et ouvriers se battent entre eux, alors qu’ils n’y sont pour rien, qu’ils ne sont pas responsables. Les responsables ce sont ceux qui sont au-dessus, des gens qui ont décidé de polluer, de ne faire aucun efforts.

- C’est aussi l’histoire d’un rapport père/fille …
- C’est une histoire de famille aussi en effet. J’avais déjà traité ce sujet dans mon précédent film, Good Luck Algeria. Ce film parlait de l’identité nationale, ce qu’était être un immigré en France. J’avais traité cela au sein d’une famille, dans des relations très intimes. On parle de pollution, d’environnement, de chantage à l’emploi, de thèmes très actuels qui vont faire notre société, non seulement en  France mais dans le monde entier.  Mais je le traite à l’intérieur d’une famille. Zita y  joue le rôle d’une lanceuse d’alerte. Or être lanceur d’alerte, c’est s’engager pour une cause qu’on estime juste et c’est souvent synonyme de perte de son métier, de sa famille, de ses amis. Je trouvais donc intéressant que cette déchirure se passe à l’intérieur d’une famille très soudée.

- Un film d’actualité aussi …
- C’est aussi un film d’actualité. Qu’on soit écolo, qu’on soit de gauche, qu’on soit engagé pour l’emploi, aujourd’hui c’est pour la santé de chacun qu’on s’engage. Il est plus important que les gens restent en bonne santé le plus longtemps possible plutôt que de produire plus, plus vite, gagner plus d’argent. Ce que nous apprend la crise sanitaire c’est qu’il faut qu’on ralentisse notre rythme de vie et qu’on se recentre sur des choses un peu plus essentielles que monter dans la hiérarchie d’une entreprise ;  par exemple la famille, nos ainés, nos enfants.

- Le choix de l’actrice  Zita Hanrot ?
- Il s’est fait tout  naturellement. Il faut savoir que Sami Bouajila, l’acteur pour lequel j’ai écrit le rôle du père, est quelqu’un de très énergique, très lumineux et très engagé dans tous ses rôles. Zita lui correspondait bien, c’est sa fille naturelle en quelque sorte, dans son jeu, dans l’engagement, dans le sourire, le coté solaire qu’elle a. J’aime bien les héros qui sont empathiques. Avec Zita, le spectateur est tout de suite ami avec elle, avec elle dans son combat.

- Un film palmé à Cannes !
- C’est une consécration dans une année triste, en deuil pour le cinéma. Le festival n’a pas eu lieu et c’est à Deauville que nous avons effectué notre première. C’est un vrai bonheur d’avoir les palmes cannoises au début du générique et sur l’affiche.

- Les projets ?
-  Mon prochain film est en réécriture et je suis aussi sur l’écriture d’une série.



- Zita Hanrot, pourquoi avoir accepté ce rôle de Nour ?
- Il y a beaucoup de choses qui m’ont séduite. La 1ère fois que j’ai lu le scénario de Rouge, ce qui m’a plu c’est le combat de cette jeune femme qui se met tout le monde à dos au nom de la vérité. Elle est vraiment prise entre la vérité et sa famille. L’amour qu’elle porte pour son père m’a beaucoup touchée. La question écologique aussi d’autant que j’habite Marseille, non loin de Gardanne et donc une histoire basée sur des faits réels. Il y a un coté très réaliste mais il y a aussi un coté fiction, un coté romanesque. Il y a un souffle romanesque face à la complexité des personnages. Nour est dans la recherche de la vérité mais qui croire ? Au fur et à mesure, elle entre en conflit avec son père. Un rôle complexe car il y a plein de lectures dans ce film, il y a plein de façons de lire le film.


- Des projets ?
- Début 2021, si la COVID le permet, je vais tourner deux films. Un avec Blandine Lenoir sur la légalisation de l’avortement dans les années 70. J’y jouerai une militante très engagée. Ensuite un film avec Lucie Borleteau sur la prostitution et le monde du striptease.

​Le synopsis :

Le réalisateur Farid Bentoumi et l'actrice Zita Hanrot
Le réalisateur Farid Bentoumi et l'actrice Zita Hanrot

«Nour vient d’être embauchée comme infirmière dans l’usine chimique où travaille son père, délégué syndical et pivot de l’entreprise depuis toujours. Alors que l’usine est en plein contrôle sanitaire, une journaliste mène l’enquête sur la gestion des déchets. Les deux jeunes femmes vont peu à peu découvrir que cette usine, pilier de l’économie locale, cache bien des secrets. Entre mensonges sur les rejets polluants, dossiers médicaux trafiqués ou accidents dissimulés, Nour va devoir choisir : se taire ou trahir son père pour faire éclater la vérité ».