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Réimplanter une usine de transformation du liège en Corse, l’ambitieux projet venu de Portivechju


le Lundi 28 Juillet 2025 à 13:34

Portivechju la Cité du sel, est aussi historiquement celle du liège. Ou plutôt « était », car les dernières usines de transformation du liège ont fermé dans les années 70. Bonne nouvelle : un projet vise à faire renaître cette industrie emblématique. Il est porté par Valère Serra, subériculteur porto-vecchiais, et soutenu par le Sindicatu di i suvaraghji di Corsica et la Collectivité de Corse. Si le projet aboutit, le liège pourrait à nouveau être transformé en Corse, après près de quarante ans de disette.



Relancer la transformation industrielle du liège en Corse, c'est le projet "un peu fou" mais néanmoins très sérieux du Porto-Vecchiais Valère Serra.
Relancer la transformation industrielle du liège en Corse, c'est le projet "un peu fou" mais néanmoins très sérieux du Porto-Vecchiais Valère Serra.
Pour les plus jeunes, l’usine à liège de Portivechju, c’est le fief d’I Chjachjaroni, la compagnie de théâtre. Mais pour les plus anciens, c’était la fierté industrielle de la famille Alessandri et par extension, de tous les Porto-Vecchiais. Mais l’usine à liège Saint-Joseph a fermé en 1975, à peu près au même moment que l’usine Saint-Michel, voisine. Les deux étaient implantées sur la marine. La fin d’une ère, débutée au XIXe siècle, à Portivechju. Puis dans toute la Corse quand, en 1988, la dernière usine de transformation du liège, celle des frères Poggi à Cauro, déposa le bilan. « Il faut savoir qu’il y avait 600 entreprises de liège en France au début du XXe siècle », rappelle Valère Serra, liégeur porto-vecchiais ayant repris l’exploitation familiale de la route de Murateddu, laquelle s’est transmise de père en fils depuis des générations.

Seulement une quinzaine de subériculteurs en Corse

Dans les usines, le liège était transformé en bouchons ou en matériaux isolants. Mais des crises successives ont eu raison de la production insulaire : l’essor de la pétrochimie, d’abord, qui vient concurrencer le liège dans ses propriétés d’isolation, puis surtout le plastique, au coût de fabrication imbattable, qui engendra « la crise du bouchon ». Le plastique ? « Pour nous, c’est l’ennemi », reconnaît Valère Serra. Si la France finira par délaisser cette industrie, d’autres pays se partageront le gâteau. « Aujourd’hui, le liège qui est récolté en Corse part en Sardaigne, au Portugal et en Espagne pour y être transformé », confirme Valère Serra.

Ces Corses qui récoltent le liège, ils sont à peine une quinzaine dans toute l’île. La majorité d’entre eux a adhéré au Sindicatu di i suvaraghji di Corsica, fondé en 2023, et qui vise à défendre leurs intérêts. En effet en Corse, le potentiel de production est immense : la suberaie s’étend sur plus de 60 000 hectares, ce qui attire de la main d’oeuvre étrangère. Structurant leur défense via le syndicat, les liégeurs corses préparent désormais leur contre-attaque, qui prendrait la forme d’une usine insulaire de transformation du liège. 

"Un projet un peu fou"

C’est le projet de Valère Serra, par ailleurs trésorier du Sindicatu d i suvaraghji corsi (et fils du président André Serra). « C’est un projet un peu fou d’un point de vue économique, reconnaît Valère Serra. S’il n’y a quasiment plus d’usine à liège en France, c’est qu’il y a une raison. Mais avec l’Europe, les salaires se sont pas mal équilibrés. Et aujourd’hui au Portugal, la main d’oeuvre n’est plus vraiment moins chère qu’ailleurs. » Surtout, Valère Serra prévoit d’ouvrir le capital de l’usine à plusieurs liégeurs corses. Une initiative qui est saluée par Yves Conventi, le directeur adjoint au développement de l’ODARC, l’Office du développement rural et agricole de la Corse (qui est piloté par la Collectivité de Corse) : « C’est intelligent, car ça permettra a priori d’assurer une garantie d’approvisionnement. » Dès lors, l’ODARC s’est engagé à soutenir financièrement le projet « qui démontre à ce stade une viabilité économique et surtout une approche collective », souligne Yves Conventi.

Permis de construire déposé

Mais à ce stade, Valère Serra préfère rester prudent, à la fois sur le montant de l’investissement comme sur le potentiel de production, car le projet doit encore franchir plusieurs étapes administratives avant de pouvoir aboutir. Une demande de permis de construire a été déposée le 18 juin sur le terrain familial des Serra, d’une superficie d’environ un hectare, en vue de la construction d’une usine de 1 500 m². Celle-ci intégrerait une chaîne de production complète, « à la pointe de la technologie, sinon on ne sera pas compétitif », souligne Valère Serra, qui est ingénieur de formation. Sous l’action de broyeurs, trieuses, silos ou moulins à liège, la majeure partie du liège récolté serait donc destinée à être transformée en granulats : « On pourrait en faire des isolants comme des balles de baby-foot, on produirait pour des industries de pointe telles que l’automobile ou l’industrie spatiale », détaille le subériculteur porto-vecchiais de 40 ans. Et les bouchons ? « Pas dans un premier temps », tempère-t-il, car le liège destiné à leur fabrication est présent en plus faible quantité dans les suberaies.

"C'est la phase la plus délicate"

Mi-juillet, la municipalité de Portivechju a émis un avis favorable au projet : « Ca me remplit de joie, s’est épanché le maire Jean-Christophe Angelini, durant le conseil municipal. On renoue avec notre tradition, notre mémoire et notre savoir-faire. »  Reconnaissant du soutien de l’édile porto-vecchiais, Valère Serra tient aussi à saluer l’appui de la Collectivité de Corse, via l’ODARC, comme de la préfecture, « qui a eu un rôle d’accélérateur ». La demande de permis de construire doit néanmoins être examinée par la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) et par la Commission territoriale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CTPENAF) de Corse. « Ces étapes, je les connais que trop bien, alerte Yves Conventi. C’est la phase la plus délicate car les règles d’urbanisation sont complexes. » Un refus hypothétique ne signerait néanmoins pas la mort du projet, qui pourrait être repensé sur un autre terrain, rassure le dirigeant de l’ODARC.

Si toutes les étapes sont franchies, Valère Serra espère finaliser la construction de l’usine dans un délai compris « entre un et deux ans ». Il s’est d’ores et déjà rapproché d’un groupe industriel pour combler ses manques en matière de connaissance des rouages de l'industrie. La relance de la production de liège à Portivechju serait une excellente nouvelle pour une Cité du sel... qui n’a plus de sel que le surnom : « Que la Cité du sel et du liège retrouve à terme son sel et son liège, c’est une évidence pour nous », a convenu Jean-Christophe Angelini, en une allusion à un autre projet privé, celui de relancer l’exploitation des marais salants. Mais ces projets, s’ils en sont à des stades différents de leur avancement, n’en demeurent pas moins des projets, quand bien même tout Portivechju souhaiterait les voir devenir réalité.