- Recevoir ce prix a d’abord été une grande surprise. Je ne m’y attendais pas. Mais au-delà de la surprise, j’étais très émue. Émue car je sais tout ce que ce Prix représente. Il met en avant le travail de plusieurs auteurs chaque année mais c’est avant tout la littérature corse qui est mise au premier plan. C’est un livre qui a une très belle histoire. Il est né au sein de l’Université de Corse et plus précisément à l’atelier d’écriture en langue corse du Centre Culturel Universitaire (CCU). J’ai la chance d’avoir eu deux mentors qui sont Ghjacumu Thiers et Alanu di Meglio et, comme je l’ai dit lors de la remise des prix, ce prix est aussi le leur.
De plus, cette année le Prix a été remis à Auddè, le village de ma tante Olga Natali. Cela lui a donné une dimension encore plus importante. La cérémonie a été un moment très émouvant, j’étais entourée de mes proches et j’ai été très touchée par le discours de Dumenica Colonna qui a parfaitement compris ce que je voulais exprimer à travers ce livre.
- Vous écrivez en langue corse tout en poursuivant vos études universitaires en Études corses. Comment jugez-vous les critiques qui çà et là disent que le corse universitaire n'est pas celui du « pays réel » ?
- En toute franchise, les propos de ce genre ne me touchent pas. Pour moi ils n’ont pas de sens. La filière corse est un pilier pour notre Université. C’est une filière qui est chère à mon cœur et je serai toujours fière de dire que je suis issue du cursus Studii Corsi. Il est nécessaire que le corse soit enseigné à l’Université. Comment voulez-vous atteindre un niveau d’excellence et être spécialiste dans un domaine sans en passer par là ?
Le corse universitaire est une richesse qui illustre bien le concept de polynomie dont nous nous vantons tellement. Chacun parle sa variété et les échanges sont alors favorisés. J’apprends chaque jour de mes camarades qui n’ont pas le même parler que moi.
En ce qui concerne l’enseignement, je n’ai jamais eu la sensation que l’on m’enseignait un corse amoindri bien au contraire. Depuis que je suis à l’Université, j’ai pu noter tous les progrès que j’ai faits et surtout au niveau de l’écriture. Le corse doit être enseigné au même titre que les autres langues. Ce n’est pas parce que certains disent que ce corse est « universitaire » qu’il est « moins » que celui que parlaient nos grands-parents. Le corse est présent dans nos familles. Nous sommes corsophones. C’est pour cela que je pense que nous avons beaucoup de chance de pouvoir combiner le corse « universitaire » et le corse que nous parlons avec nos proches.
Je ne parlerai jamais de Corse du « pays réel » car avant d’utiliser cette expression, il faudrait que quelqu’un m’explique ce qu’est le pays réel. Le peuple corse est en perpétuelle mutation et sa langue aussi. La seule réalité est que malheureusement le corse se perd et c’est pour cela que l’université a un rôle important. Car, ceux qui critiquent le corse qu’on y enseigne ont à mon sens tendance à oublier que c’est l’un des principaux vecteurs de maintien de notre langue.
- Vous privilégiez dans votre ouvrage la nouvelle brève. Pourquoi ?
- Je préfère parler de prose poétique lorsque je mentionne mes textes. Ce ne sont pas des nouvelles. Pour qu’elles le soient, il faudrait qu’il y ait un ou des personnages bien définis, un lieu où se passe l’action, un temps donné, une intrigue. Or, ce n’est pas ce que je propose dans mes textes.
J’ai privilégié la prose poétique car c’était ce qui reflétait le mieux ce que je voulais laisser percevoir, à savoir des pensées directement mises sur papier. Je mets un point d’honneur à ne jamais retravailler mes textes. Je les laisse comme ils me sont venus. Le seul travail que nous apportons par la suite est une correction orthographique voire syntaxique dans certains cas.
- Où puisez-vous l'essentiel de votre inspiration ?
- Comme je l’ai déjà dit, mon inspiration vient de mes rencontres. J’ai rencontré des personnes qui m’ont beaucoup inspirée et qui on été par certains côtés des muses. J’aime croire à ce concept de muse et c’est ce qui me fait écrire. L’eiu stesu c’est un peu de moi et un peu des autres. C’est nous au final.
- Quels sont les écrivains, de l'île comme d'ailleurs, que vous préférez et qui vous influencent ?
- Ma plus grande source d’inspiration reste la Bible. Au-delà de l’aspect religieux, c’est l’aspect littéraire qui m’intéresse. Il y a tout dans la Bible. C’est selon moi, le Livre le plus complet. Mais il est vrai que malgré tout, j’ai trois livres qui m’ont marquée en tant que lectrice : Madame Bovary de Gustave Flaubert, Le Prophète de Khalil Gibran et Je voudrais pas crever de Boris Vian. Je pense qu’il y a forcément un peu de nos lectures lorsque nous écrivons même si nous ne nous en rendons pas compte.
- Avez-vous d'autres projets littéraires en vue ?
- J’ai en effet un nouveau projet. Celui-ci s’inscrit toujours dans le cadre du Centre Culturel Universitaire. C’est une suite de L’eiu stesu. J’ai choisi de rester dans le même style. Il s’agira à nouveau de proses poétiques. J’écris toujours à la première personne du singulier. C’est un peu ma marque de fabrique je pense et c’est un style dans lequel je me sens à l’aise.
Cette fois le livre est plus structuré dans le sens où il y a un ordre de lecture précis. La nouveauté sera que la plupart des textes sont sous la forme de lettres adressées à une personne ou à un groupe de personnes.
L'eiu stesu, Philippa Santoni. Collection Calamaii – Éditions Albiana,72 pages, 10 euros