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Lutte contre le charançon rouge : La CTC demande le renforcement des moyens avant qu’il ne soit trop tard…


Nicole Mari le Mardi 28 Février 2017 à 21:33

Lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse (CTC), le groupe Communistes et Front de Gauche a, par la voix de son président Dominique Bucchini, déposé une question orale sur la « lutte obligatoire contre l’infestation du charançon rouge ». Ce coléoptère, originaire d’Asie tropicale et arrivé en Corse au milieu des années 2000, ravage un par un les palmiers insulaires, comme ceux du continent. L'alerte, déclenchée en 2010, oblige à traiter les palmiers infectés. L’élu communiste demande à la CTC d’intervenir pour renforcer la communication et la généralisation des traitements, notamment par injection. Agnès Simonpietri, Conseillère exécutive et présidente de l’Office de l’environnement (OEC), renvoie la balle à l’Etat, estimant qu’il faut agir en amont par des mesures de contention et renforcer les moyens affectés à la prévention et la lutte contre les espèces invasives pour être à la mesure des enjeux posés.



Les palmiers de la Place Saint Nicolas à Bastia touchés par le charançon rouge.
Les palmiers de la Place Saint Nicolas à Bastia touchés par le charançon rouge.
On l’appelle « le ravageur du palmier ». C’est le plus destructif. Ses larves, qui peuvent passer inaperçues durant des mois, voire des années, dévorent, silencieusement, le cœur de l’arbre qui, affaibli, meurt subitement ou est déraciné par le vent. Lorsque les premiers symptômes apparaissent, il est presque trop tard, le palmier est déjà complètement infesté et les dommages sont irrémédiables. L’épidémie se propageant, en dix ans, le charançon rouge ou Rhynchophorus ferrugineus a déjà tué des milliers de palmiers en France, toutes espèces confondues. « Depuis plusieurs années, nous constatons les effets dévastateurs du charançon rouge qui colonise tous les types de palmiers. Ces espèces non endémiques sont très présentes en Corse et ornent quelques-unes de nos plus belles places publiques notamment à Bastia, Ajaccio et Calvi. Dans ces villes, un état des lieux a été fait, en 2014, par la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles de Corse (FREDON). Bastia est la plus touchée : le recensement indique que 119 plantes y sont infestées contre 20 sur Ajaccio et 2 sur Calvi. Sur ces trois villes, on compte plus de 6 700 palmiers. Ajaccio en détient plus de la moitié. Préserver ces palmiers est, donc, un enjeu patrimonial évident et indiscutable », déclare Dominique Bucchini.
 
Alerte rouge
Les dégâts sont tels que la lutte contre ce fléau, venu d’Indonésie, a été rendue obligatoire par un arrêté ministériel du 21 juillet 2010 qui en fixe le cadre réglementaire. Il impose de mettre en œuvre des mesures d'éradication des arbres touchés, tant par les collectivités locales que par les particuliers qui ont des palmiers dans leur jardin. Il stipule que « lorsque la présence de Rhynchophorus ferrugineus est confirmée sur un végétal, le propriétaire a l’obligation, dans un délai de 15 jours ouvrés suivant la notification officielle par les services chargés de la protection des végétaux, de faire procéder à l’éradication de l’organisme nuisible ». Cet arrêté peut être complété par un arrêté préfectoral, comme c’est le cas en Haute-Corse. La FREDON, chargée de la localisation du ravageur sur l’île, a établi un suivi de l’infestation et propose sur son site, un document technique sur les moyens de lutte. Les traitements doivent être exécutés par des entreprises qui ont suivi des formations spécifiques reconnues et sont inscrites sur une liste disponible auprès de la Chambre d’Agriculture.
 
L’union de tous
Des actions appuyées par l’Office de l’environnement (OEC) qui a, notamment, relayé l’information auprès du public et des collectivités. Des actions ponctuelles de lutte biologique ont été, un temps, financées, mais le volume d’arbres à traiter, la complexité de l’organisation de la lutte à l’échelle du territoire et la difficulté à accéder aux jardins privés rendent le dispositif peu efficace. « Au regard de l’ampleur, il faut, d’une part, renforcer la communication afin que chacun, particuliers et collectivités puissent contribuer le plus efficacement possible à l’éradication de l’insecte. D’autre part, il est indispensable de généraliser les traitements avec une programmation co-élaborée, impliquant les collectivités, les particuliers, les associations et les services de l’État. Il faut, par conséquent, rédiger une convention-type permettant d’organiser à travers les différents acteurs (particuliers, municipalités et services de l’État) le traitement par injection, conformément à la méthode d’application mise au point par l’INRA », estime Dominique Bucchini qui demande à la CTC si « elle est en mesure d’intervenir en ce sens ? ».

Palmiers malades sur la route de Santa Maria di Lota dans le Cap Corse.
Palmiers malades sur la route de Santa Maria di Lota dans le Cap Corse.
Agir en amont
Si elle reconnaît que le charançon rouge attaque un arbre « marquant des paysages urbains de l’île », parfois même « historique » avec « une valeur patrimoniale certaine », Agnès Simonpietri, conseillère exécutive et présidente de l’Office de l’environnement, rappelle que son éradication relève de la compétence de l’Etat et de la FREDON. « Cet insecte a été signalé pour la première fois sur l’île en 2006, dans la zone de PortiVechju. Il s’agit d’une espèce introduite, probablement à partir de l’importation de plants parasités, ce qui montre bien, une fois encore, les dangers liés à des importations de végétaux non maitrisées ! On en voit, aussi, les conséquences sur le châtaignier avec le cynips et ses impacts désastreux pour les castanéiculteurs et les apiculteurs, comme on l’a vu, il y a quelques années, avec le bombyx disparate et la fourmi d’Argentine. Le frelon asiatique et le petit coléoptère des ruches sont à nos portes et menacent la survie de nos abeilles corses. Là aussi, faudra-t-il attendre que ces espèces arrivent et s’installent sur notre territoire pour tenter de prendre des mesures de contention ? C’est en amont qu’il faut agir et prendre les dispositions nécessaires pour tenter d’enrayer le phénomène des invasions d’espèces exogènes. Après, il sera trop tard ! »
 
Trop chers et trop nocifs
Agnès Simonpietri considère la mise en œuvre d’une opération de lutte généralisée trop onéreuse et inenvisageable sans affectation par l’Etat de crédits dédiés, et les traitements préconisés, très nocifs pour la santé humaine et l’environnement. « Les traitements biologiques (nématodes ou champignons pathogènes) sont à rémanence faible, il faut donc les renouveler très régulièrement dans l’année. Ces contraintes conduisent parfois à favoriser les traitements chimiques, qui peuvent procurer une protection plus longue d’une année, mais restent dangereux, même appliqués par endothérapie. Ces produits sont très toxiques pour les humains, les insectes notamment les abeilles, les organismes aquatiques... Comme tous les pesticides ils remontent la chaîne alimentaire et sont cancérigènes, mutagènes, reprotoxique et peuvent déclencher des intoxications. De son côté, l'endothérapie à base de Revive, préconisée par l’INRA, nécessiterait, pour être efficace, le traitement systématique des palmiers réputés sains, ce qui couterait a minima 70 € par palmier et par an. Si on estime à 7 000 le nombre de palmiers en Corse, ce protocole de lutte par vaccination reviendrait à plus de 500 000 € annuels ». Le conseillère exécutive est catégorique : la CTC n’a pas les moyens financiers d’appuyer cette lutte dans le cadre budgétaire contraint qu’elle subit.
 
Eviter de nouvelles catastrophes
Agnès Simonpietri s’interroge, aussi, sur « la nécessité de rajouter un nouveau problème – celui de la santé humaine et de la protection des abeilles au problème existant, pour une mise en œuvre complexe à l’efficacité très aléatoire ». Elle estime que le rôle de la CTC est plus de concourir à la prévention pour une meilleure gestion des espèces invasives en Méditerranée. « L’OEC est chef de file du programme transfrontalier ALIEM 1 (Actions pour la limitation des risques liés à la diffusion des espèces introduites envahissantes en Méditerranée) qui vient de démarrer et qui prévoit des expérimentations sur plusieurs espèces, dont le charançon rouge. La Sardaigne, qui abrite un palmier endémique, a prévu de travailler à améliorer nos connaissances sur cette espèce et les moyens de la contrôler. ALIEM s’attache également à peaufiner les actions de sensibilisation de publics cibles, via différents outils et moyens de communication, ce qui permettra in fine de renforcer la communication », précise-t-elle. Pour ce projet INTERREG d’une durée de 3 ans, plusieurs services de l’OEC sont déjà mobilisés, notamment l’Observatoire-Conservatoire des insectes de Corse et le Conservatoire botanique national de Corse. Et de conclure : « Pour éviter de nouvelles catastrophes qui risquent d’aller bien au-delà de problèmes de patrimoine paysager, il serait plus que souhaitable que les moyens affectés par l’Etat à la prévention et la lutte contre les espèces invasives, seconde cause de perte de biodiversité après la destruction des habitats, soient renforcés à la mesure des enjeux posés ».
 
N.M.