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La pierre blanche de Luri, ou l’empreinte nostalgique d’une enfance corse


François Daumont le Mercredi 31 Décembre 2025 à 12:00

La pierre blanche de Luri veille toujours sur le maquis de cette vallée verdoyante du cap-corse. Pour ceux de la génération X qui ont grandi là, elle fut bien plus qu’un simple rocher : le repère des aventures, le point de départ et le refuge de toutes les escapades. Elle incarnait l’insouciance, vécue au rythme lent des saisons, dans la chaleur des amitiés et des rires partagés.



Le luxe des riens et l’école de la vie
Le village entier servait alors de terrain de jeu, préservé des écrans et du bruit numérique. Le seul juke-box présent dans un bar de Piazza, rare concession à la modernité, diffusait les succès yéyés qui allaient marquer ces jeunes années, bien avant que les soubresauts identitaires et politiques ne traversent l’île. Le luxe se mesurait à l’aune de petites pièces sonnantes, échangées contre des friandises acidulées à l’épicerie du coin. Le bonheur tenait dans ces plaisirs simples, dans la liberté de se retrouver sans préavis sur un mur, ou dans l’audace joyeuse de chaparder quelques cerises avant les devoirs. L’école communale, avec ses maîtres à la fois respectés et craints, structurait les journées, alliant bienveillance et exigence.

L’expédition vers les hauteurs
L’aventure commençait derrière l’ancienne gendarmerie. Il fallait traverser le ruisseau Luri en équilibre sur les pierres, puis s’enfoncer dans le maquis, empruntant un sentier escarpé embaumé par le soleil et les plantes sauvages. L’ascension menait à cet « Everest » nustrale : un promontoire rocheux d’où l’on dominait le village. De là-haut, le monde des adultes semblait minuscule et paisible, tandis qu’eux, les jeunes « Luresi », apprenaient la vie au gré des parfums de cystes et d’arbousiers ressentis.

La magie éphémère des saltimbanques
Parfois, le rythme paisible était rompu par des événements extraordinaires. L’arrivée du cirque, avec son chapiteau coloré et ses animaux exotiques, créait une effervescence qui captivait tous les regards. De même, la tournée estivale du cinéma ambulant était attendue avec impatience : une simple bâche tendue sur la place se transformait, la nuit tombée, en salle de projections sous les étoiles. Ces séances, où l’écran palpitait parfois au vent, offraient une initiation collective au pouvoir des images et des histoires. Les événements marquants étaient rares, et n’en ressortaient que plus vivaces dans les mémoires : la solennité des fêtes religieuses, le son inquiétant de la sirène des pompiers, ou le contraste entre les bolides tonitruants de la mythique Giraglia et le ronron modeste des 4L familiales et autres 2cv du quotidien.

Le retour, plus doux que l’escapade
Pourtant, au-delà des escapades, la joie la plus profonde demeurait celle du retour au crépuscule. Retrouver la lumière douce des maisons, les visages rassurants des parents qui, à l’insu des enfants, sacrifiaient beaucoup pour leur bonheur : cette présence silencieuse et stable fut le socle puissant et invisible de ces années d’insouciance parfois traversée pour certains, par de sombres nuages.

De la lenteur à la nostalgie
Cette enfance baignée de lenteur et de simplicité semble désormais appartenir à un monde révolu, ayant laissé place à un avenir virtuel et incertain. Le bonheur, absolu, était alors dans la lumière de la pierre blanche et la chaleur du maquis. La peine, elle, vient de cette nostalgie précoce pour une insouciance dont on n’a compris la valeur qu’une fois perdue. Peut-être, dans le silence actuel de la pierre blanche, les fantômes du passé reviennent-ils parfois y chercher les secrets d’une jeunesse heureuse — une jeunesse qui ne savait pas encore qu’elle était en train de vivre ses plus beaux jours.