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Elisenda Paluzie : « Violer des droits démocratiques, ce n’est pas acceptable en Europe ! »


Nicole Mari le Mercredi 23 Mai 2018 à 18:07

La nouvelle présidente de l’Assemblée nationale catalane (ANC), Elisenda Paluzie, est à Bastia pour deux jours. A l’invitation du comité Solidarité Corse-Catalogne / cumitatu sulidarità Corsica-Catalunya, cette universitaire, qui a remplacé Jordi Sanchez, emprisonné à Madrid suite à la proclamation d’indépendance, a, ainsi pris la tête de l’une des deux associations majeures de la société civile catalane à l’origine des massives manifestations de rue pour l’autodétermination. En marge du débat public qu’elle anime ce mercredi à la salle polyvalente de Lupinu en présence de nombreux responsables nationalistes insulaires, elle décrypte, pour Corse Net Infos, les derniers soubresauts de la crise catalane et garde intact son espoir d’indépendance.



Elisenda Paluzie, présidente de l’Assemblée nationale catalane (ANC).
Elisenda Paluzie, présidente de l’Assemblée nationale catalane (ANC).
- Quel est l’intérêt d’organiser une réunion publique en Corse ?
- L’intérêt est d’expliquer la situation en Catalogne. Nous savons que toutes les informations n’arrivent pas et, quand elles arrivent, ne sont pas en ligne directe. Nous sommes, donc, ici pour rappeler la gravité d’une situation qui se produit, en ce moment, dans un Etat-membre de l’Union européenne (UE) tel que l’Espagne, le viol très grave des droits fondamentaux avec l’incarcération injuste des leaders politiques et des leaders de la société civile catalane. Leur seul tort est d’avoir organisé un référendum d’autodétermination, ce qui est tout fait légal, donc légitime, avec le droit international.
 
- Avec la mise sous tutelle de son autonomie et de son gouvernement, la Catalogne n’est-elle pas dans une totale impasse ?
- Oui ! De toute évidence ! Du fait surtout que l’Etat espagnol ne soit pas capable d’entamer un dialogue politique sur un conflit politique. La majorité de la société catalane, même si ce n’est pas une majorité très large, est indépendantiste. Face à cette situation,  le seul recours de l’Etat espagnol est l’instrumentalisation frauduleuse du pouvoir judiciaire avec de fausses accusations, de faux délits d’un soi-disant usage de violence, qui n’a jamais été utilisée par le mouvement indépendantiste catalan. Je ne suis pas préoccupée par la mise sous tutelle de l’autonomie catalane, mais par la question de fond, c’est-à-dire le non-respect des mandats démocratiques de la société catalane et la judiciarisation d’un procès politico-démocratique qui aurait du se régler de façon démocratique.
 
- La position du gouvernement Raroy, obligé de négocier avec les Basques pour faire voter le budget espagnol, n’était-elle pas tout aussi intenable ?
- Le gouvernement Raroy persiste sur cette voie et continue de nous humilier, mais en réalité c’est lui qui a le plus besoin de calmer, de pacifier la situation en Catalogne. L’ANC a organisé, avant-hier, un rassemblement pour protester contre la non-publication dans le bulletin officiel espagnol de la liste des ministres du gouvernement régional désignés par le président Quim Torra. Nous demandons au président Torra de tenir bon parce que le gouvernement espagnol ne s’appuie sur aucune base légale pour refuser cette désignation. Les députés disposent de tous leurs droits politiques intacts, ils ont été normalement élus et peuvent être nommés ministres. Le gouvernement espagnol essaye, humiliation après humiliation, de faire une démonstration de son pouvoir, de son manque de respect des mandats démocratiques de la société catalane et de son déni de la réalité.
 
- Raroy va-t-il lever la mise sous tutelle de la Catalogne au titre de l'article 155 de la Constitution ?
- Il a besoin de lever cette mise sous tutelle pour avoir l’appui des Basques dans le vote du budget. Le temps joue en notre faveur si le président Torra tient bon. On verra… Il y a aussi en Catalogne des pressions d’une partie du camp indépendantiste pour récupérer la faible autonomie, même si elle complètement tutelée par Madrid.

Avec le président de l'Exécutif corse, Gilles Simeoni.
Avec le président de l'Exécutif corse, Gilles Simeoni.
- La justice allemande vient de refuser, une nouvelle fois, l’extradition de Carlos Puigdemont. Ce nouveau revers de l’Etat espagnol est-il de bon augure ?
- Oui ! C’est une très bonne nouvelle ! La justice allemande a, de nouveau, dénié la demande d’extradition pour rébellion à l’encontre du président Puigdemont. Deux questions sont posées dans l’accusation de rébellion. Une question politique : organiser un référendum est-il illégal ? Non ! Aznar avait introduit ce délit, passible d’une condamnation de 5 ans de prison, dans le Code pénal pour empêcher un référendum au Pays Basque. Son successeur Zapatero l’a enlevé dès son arrivée au pouvoir. Donc, organiser un référendum peut avoir un caractère de désobéissance à la Cour constitutionnelle, si elle l’a jugé inconstitutionnel, mais relève du droit administratif, du droit politique, pas du crime pénal. Madrid a du inventer un crime de rébellion qui implique l’usage de violence et est passible de 30 ans de prison. Le crime équivalent dans le Code pénal allemand est celui de haute trahison. Le juge allemand a estimé que le gouvernement catalan n’avait pas commis ce crime puisqu’il ne s’est pas soulevé et n’a pas fait usage de violence contre les institutions de l’Etat. Cette question-là semble réglée.
 
- Reste la seconde pour détournement de fonds ?
- Oui ! Madrid a fait une seconde demande d’extradition pour détournements de fonds. Mais, pour étayer cette accusation, il faut des preuves et il lui sera très difficile d’en fournir. D’abord, on ne peut détourner des fonds pour organiser une consultation qui n’est pas illégale. Ensuite, le gouvernement catalan a été mis sous tutelle financière le 15 septembre par Madrid. Toutes les factures ont été visées par le ministre espagnol du Budget, donc c’est lui qui est responsable ! Il a, déjà, dit qu’il avait tout contrôlé et qu’il n’y avait pas de détournement de fonds. Imaginons que la justice allemande renvoie Puigdemont en Espagne pour ce délit, on serait dans une situation totalement surréaliste ! Le président Puigdemont pourrait n’être jugé que pour détournement de fonds et encourir 5 ans de prison, quand ses ministres, dont la plupart sont en prison préventive en Espagne, sont accusés de rébellion et passibles de 30 ans de prison. Cela poserait un problème judiciaire !
 
- Avez-vous saisi la Cour européenne des droits de l’homme ?
- Nous le ferons et nous sommes sûrs que l’Espagne sera condamnée pour violation des droits, abus de pouvoir, emprisonnements abusifs… les motifs ne manquent pas ! Mais avant d’aller à Strasbourg, il faut attendre la fin du procès qui est aura lieu en septembre et la décision préliminaire qui devrait intervenir en décembre ou janvier. Ensuite, il faut saisir la Cour constitutionnelle et attendre sa décision. Cela prendra 5 ou 6 ans. En attendant le président Puigdemont a saisi le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (ONU) pour la violation du pacte de droits civils et politiques à l’encontre des députés qui sont en prison et à qui Madrid a interdit, par exemple, de se présenter aux élections ou à la présidence de la Generalitat (gouvernement catalan)… sans aucune raison. Nous avons, déjà, obtenu une petite victoire sur le cas de mon prédécesseur Jordi Sanchez, qui est aujourd’hui, député et en prison. Le comité de l’ONU a dicté des mesures de caution et enjoint l’Etat espagnol de respecter les droits politiques de Jordi Sanchez. L’Espagne n’en a pas tenu compte et a fait comme si les Nations Unies n’existaient pas !
 
- Comment expliquez-vous le silence assourdissant des instances européennes dans ce contexte ?
- Il ne faut pas généraliser à tous les gouvernements. L’Union européenne avait demandé au président Puigdemont de privilégier l’ouverture du dialogue et de ne pas mettre en place l’indépendance, mais finalement elle n’a fait aucune offre de dialogue. La Commission européenne est dominée par l’Allemagne qui a une alliance forte avec Raroy sur la question économique et financière avec notamment la fidélité de Raroy aux mesures budgétaires décidées pour le Sud de l’Europe. Le pire, c’est l’Etat français et la position très claire du gouvernement Macron en faveur de Madrid. Ce n’est pas le cas du gouvernement belge qui compte des Indépendantistes flamands, ou d’autres gouvernements de pays qui ont, eux-mêmes, exercé leur droit à l’autodétermination pour accéder à l’indépendance. La Slovénie ou les pays Baltes ont plutôt une sympathie pour la Catalogne. Mais, la communauté internationale étant une communauté d’intérêts, c’est l’Etat espagnol qui est membre du club. Les autres membres ne se risqueront pas à intervenir tant que les Indépendantistes n’auront pas repris totalement la maîtrise de la situation en Catalogne.
 

- Comment réagit la population catalane ? N’y-a-t-il pas un risque de lassitude ?
- Tant qu’il y aura une majorité indépendantiste en Catalogne et qu’elle bénéficiera du soutien de la population, nous tiendrons ! Ne serait-ce que parce que violer des droits démocratiques, ce n’est pas acceptable dans l’Europe du 21ème siècle. Une partie de la base indépendantiste ne comprend pas pourquoi, en octobre, quand le gouvernement a fait la déclaration d’indépendance, il n’a pas essayé de mettre en place cette indépendance et de défendre la République catalane. Elle n’accepte pas la situation des prisonniers politique. L’indignation est forte ! La mobilisation aussi ! Partout en Catalogne, il y a des diners, des collectes, des rassemblements pour récolter de l’argent afin d’aider les familles des leaders politiques et des députés qui sont en prison à Madrid. En même temps, une autre partie de nos bases voudrait qu’on aille plus loin dans la protestation avec des grèves générales et des actions qui auraient un impact plus fort que les manifestations.
 
- Et que pense la société civile espagnole de cette violation des droits démocratiques ?
- Des juristes et des professeurs de droit constitutionnel ont fait des déclarations très importantes et affirmé que la position de Madrid ne tenait pas d’un point de vue juridique et que c’était faire un mauvais usage du code pénal que de résoudre ainsi des problèmes d’ordre politique et administratif. Une faible partie de la société civile a organisé des rassemblements de protestation, notamment à Madrid. Mais tout cela reste minoritaire. L’unité de la patrie, entendu comme un tout indivisible, rassemble beaucoup en Espagne.
 
- Les prochaines élections législatives espagnoles et un nouveau gouvernement à Madrid pourrait-ils changer la donne ?
- Non ! Cela risque même de durcir la donne ! Le parti populaire espagnol, qui est fortement nationaliste et centraliste, est concurrencé par le parti Ciudadanos, encore plus centraliste et plus à droite. Ce nouveau parti est en train de monter dans les sondages parce qu’il n’est pas entaché par des affaires de corruption, comme le parti populaire ou le parti socialiste. Tous ces partis font de la surenchère sur le nationalisme espagnol et sur la position de ne rien céder à la Catalogne. Podemos, qui est le seul à avoir défendu le droit à l’autodétermination de la Catalogne, se retrouve isolé et un peu menacé par tous, englué dans une histoire de villa et d’autres problèmes. Ciudadanos est un parti dangereux, il est sur la même ligne que Forza Italia, il se prétend libéral, mais il a une forte dérive identitaire et populiste. C’est un parti que nous connaissons bien parce qu’il est né en Catalogne avec un seul mot d’ordre : s’opposer à l’usage de la langue catalane dans les écoles !
 
- Quel est votre espoir aujourd’hui ?
- Qu’on tienne bon ! Qu’on résiste, qu’on persiste, que la majorité indépendantiste se renforce ! Que les opinions publiques internationales se rendent compte qu’elles ne peuvent pas dénoncer ce qui se passe en Pologne et en Hongrie, et ne rien dire sur la dérive autoritaire de l’Espagne et sa façon de régler un conflit politique ! C’est deux poids, deux mesures ! Mon espoir est qu’on sorte de cette situation et qu’on arrive à faire de la République catalane, une réalité. En octobre, ça a été une opportunité ratée. Le jour où nous réussirons, j’espère que les opinions publiques internationales comprendront, enfin, pourquoi les Catalans veulent l’indépendance. Ce n’est pas, comme elles l’ont cru, un désir égoïste de région riche qui veut se séparer de régions pauvres, mais la volonté de mettre en place une République plus progressiste, plus respectueuse des droits et des libertés, aussi bien sociaux qu’individuels et collectifs. Notre projet républicain est de permettre à la future Catalogne de survivre dans une économie globale, qui est un risque pour les cultures minoritaires, et de faire progresser une société qui, traditionnellement, est très ouverte au monde, aux migrations et aux échanges internationaux. L’indépendance serait un progrès pour la Catalogne.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.