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Elections départementales : La droite fait main basse sur le Sud, la gauche se déchire au Nord


Nicole Mari le Lundi 23 Mars 2015 à 22:40

Dix-huit cantons sur 26 pourvus en Corse dès le 1er tour des élections départementales. Dix cantons sur 11 en Corse du Sud, le dernier ayant trébuché sur la barre des 25 % des inscrits. Huit cantons sur 15 en Haute-Corse, 6 cantons en ballotage et un recalé pour manque de quorum. La droite unie rafle le Sud et conforte sa suprématie sur Ajaccio et sur tout le département. La gauche se déchire en Haute-Corse, mais si le camp Giacobbiste devrait garder la main, sa majorité devient de plus en plus illisible. L’union arc-en-ciel, imaginée à Bastia, se banalise et continue de faire bouger les lignes. Ce scrutin, comme les précédents, confirme le changement de la donne politique insulaire.



La victoire de la droite unie dans le Sud.
La victoire de la droite unie dans le Sud.
Le 1er tour des élections départementales n’a pas, en Corse, réservé de grandes surprises au niveau des résultats attendus. La droite a, comme prévu, fait main basse sur la Corse-du-Sud et les candidats grands favoris en Haute-Corse ont, quasiment tous, été élus, conservant, à-priori, la majorité départementale au camp de Paul Giacobbi. Les équilibres locaux ne semblent, apparemment, pas avoir bougé, et pourtant ! Au-delà des scores globaux et des sièges conservés ou transmis, une lecture plus fine de certains chiffres confirme les tendances qui se dessinent et s’accentuent depuis environ quatre ans. Recouverts du manteau de la victoire, certains indicateurs allument des clignotants qui sont autant de signes d’un changement des temps. Un an après les élections municipales qui ont bouleversé la donne politique insulaire et à neuf mois des prochaines Territoriales vers qui tous les regards, tous les espoirs et tous les appétits convergent, ce scrutin des cantonales est très instructif tant en termes de rapports de forces, de glissement de majorité que d’impact psychologique.
 
La face cachée de l’abstention
Le premier indicateur est le taux record d’abstention, tant au Nord qu’au Sud, et dans des fiefs bien gardés. En moyenne, presqu’un électeur corse sur deux ne s’est pas déplacé : 48,44% d’abstention en Corse-du-Sud et 48,90% en Haute-Corse. Du jamais vu dans l’île sur des scrutins de proximité ! Le désintérêt d’une élection jugée inutile pour cause de mort programmée de l’institution, de découpage cantonal absurde ou de jeu politique brouillé par des assemblages illisibles n’est pas seul en cause. Dans certains pré-carrés aux candidatures tout-à-fait lisibles, la faiblesse des voix obtenues par les vainqueurs sur leurs terres laisse songeur. A Borgo, le binôme de droite Jean Dominici/Charlotte Terrighi gagne, comme attendu, dès le 1er tour avec 77,19% des suffrages, mais avec un taux d’abstention de 54,87% dans le canton et de 52,77% dans sa commune de Borgo. Il n’a, en fait, récolté que 2643 voix sur les 7744 inscrits, soit à peine 34% des électeurs du canton et 38,8% de ceux de la commune ! Idem en Casinca-Fiumalto ou en Castigniccia où les victoires se jouent sur des abstentions supérieures à 52%.
 
Le désintérêt du rural
Egalement en Corse du Sud où le canton de Gravona-Prunelli n’affiche que 5660 votants sur 12792 inscrits. Le binôme Alexandre Sarrola/Delphine Orsoni est élu par 32,70 des inscrits ! A Ajaccio, dans le 1er canton, la participation est d’à peine 34%. Dans le 4ème canton, l’abstention culmine à 57,89 %. Pratiquement six électeurs sur dix ne sont pas allés voter et le binôme municipal, largement victorieux, doit, comme dans le 1er canton de Bastia, repasser aux urnes, faute d’avoir atteint le quorum de 25 % des inscrits !
Dans certaines communes, l’abstention affiche des taux records : 61% à Coti-Chiavarai, 63 % à Olmeta-di-Tuda ou Patrimoniu, 64% à Peri, 65% à Lopigna, 66% à Venzolasca et à Casglione, 67% à Cuttoli-Cortichiato et San Nicolao et même plus de 81% à Ota.
Autre indicateur : le nombre élevé de bulletins blancs ou nuls qui atteint 12% à Corte, 10 % en Castagniccia et en Casinca, 21% à San Nicolao et plus de 24% à Taglio-Isolaccio et à Ota !
Il est surprenant de constater à quel point le rural s’est, de toute évidence, désintéressé d’une institution dont les défenseurs avancent, comme argument suprême, qu’elle est le seul vrai lien avec les territoires, notamment ceux de l’intérieur !
 
Le quinté ajaccien
Autre indicateur : la fracture Nord-Sud s’affirme à droite, comme à gauche.
En remportant, au final, neuf cantons sur 11 et en ralliant à sa majorité les deux restants, la droite confirme son ancrage et affermit sa suprématie en Corse-du-Sud. Son union fait sa force. La reconquête, entreprise depuis le cuisant échec des Territoriales en 2010 par Laurent Marcangeli et Marcel Francisci, est un succès total. Menée avec une grande intelligence, une bonne connaissance du terrain et un discours clair, elle réussit, en moins de 4 ans, à remettre le camp libéral en plein centre du jeu politique. Le député-maire d’Ajaccio, Laurent Marcangeli, conforte son leadership sur sa ville par un banco sur la totalité des cinq cantons où s’installent ses conseillers municipaux avec des scores sans appel de 69,5% dans le 1er canton, 57,5% dans les 2ème  et 4ème cantons et 62% dans le 3ème canton.
Même scénario sur le département. Tous les ténors de la droite sudiste, qui étaient candidats, sont facilement élus ou réélus, de Marcel Francisci, président de la fédération UMP à Jean-Jacques Panunzi, président du Conseil général, en passant par Georges Mela ou François Colonna.
 
Une gauche laminée au Sud
Absente volontairement sur deux cantons, Sartenais-Valinco et Gravona-Prunelli, la droite rafle quand même la mise en récupérant, dans sa majorité départementale, les deux candidats divers gauche qu’elle a contribué à facilement élire.
Dans ce contexte sudiste, toutes les autres formations politiques sont réduites à jouer les supplétifs. La gauche, qui accumule les défaites et les mauvais choix depuis 2011, n’avait prospéré que sur la désunion du camp libéral. Elle s’est, en toute logique, disloquée sur l’écueil municipal ajaccien. Sans leader, sans structure et sans bastion, elle est, aujourd’hui, complètement laminée ! La déroute touche toutes les composantes, du Front de gauche aux progressistes. Pour le conseiller général sortant Divers gauche, François Casasoprana, qui ne parvient à arracher que 26,5% des suffrages dans le 2ème canton d’Ajaccio, la pilule est amère ! Elle est encore plus acide pour le binôme, issu de la majorité régionale et formé de l’élu territorial et maire de Pietrosella, Jean-Baptiste Luccioni, et de la conseillère exécutive, présidente de l’agence du tourisme, Vanina Pieri, qui n’atteint même pas 18% des voix. Il est même devancé par le binôme nationaliste, Paul-Jo Caïtucoli/Muriel Segondy, qui réalise un très beau 23% !
 
Le statut-quo au Nord
Si la donne politique devient limpide au Sud, elle est bien plus complexe, embrouillée et bien moins lisible au Nord. En remportant sans effort six des huit cantons pourvus dès le 1er tour et en s’assurant au moins trois des sept cantons en ballotage, Paul Giacobbi garde la main sur le département de la Haute-Corse. Il est vrai qu’il a mouillé la chemise pour imposer ses candidats et contrer l’offensive de la gauche dissidente qui, du Cap à l’île Rousse en passant par le Fiumorbu, comptait bien lui damer le pion. Le chef de fil des frondeurs, Hyacinthe Mattei, est écrasé dans le canton de l’île Rousse, par l’union sacrée mise en place autour de Pierre-Marie Mancini. François Tiberi est en ballotage défavorable dans le Fiumorbu face au transfuge de droite, Siméon de Buochberg. Le duo Jacky Padovani-Ange Pierre Vivoni ne dispose pas, dans le Cap Corse, de l’avance prévue face à François Orlandi et le coude-à-coude serré de ce 1er tour est déjà une première satisfaction pour l’actuel président du Conseil général. Sa victoire serait emblématique pour le camp Giacobbi, mais elle est loin d’être acquise ! Jacky Padovani peut compter sur une certaine réserve de voix. Reste l’inconnue nationaliste qui pourrait être la clé du scrutin, même si Corsica Libera a déjà annoncé qu’il ne donnait pas de consigne de vote.
 
Le clan des mécontents
Le clan Giacobbi résiste donc, mais à quel prix ! Celui d’une gauche, qui, depuis le cinglant revers des municipales bastiaises, se déchire et s’enlise dans les divisions, les ambitions personnelles, les querelles d’ego et les duels fratricides. Le duel du Cap Corse, comme celui de Golo-Morosaglia, ne fait que renforcer la fracture. Difficile, en effet, de croire que la primaire entre les deux conseillers généraux sortants, Jean-Marie Vecchioni et Jacques Costa, passera comme une lettre à la poste ! Si le maire de Campile, arrivé en tête avec 37,15% des voix, semble en pôle position, rien n’assure que le maire de Moltifao se désistera, facilement, en sa faveur. On saura, ce mardi, au dépôt des listes de 2nd tour, quelle sera sa décision ainsi que celle du maire de Calacuccia, Jean-Baptiste Castellani, qui, avec 22,81% des voix, peut se maintenir. Election après élection, le patron de la gauche a, de plus en plus, de mal à maîtriser ses troupes. Ses choix politiques gonflent le camp des mécontents qui refusent, malgré les appels du pied, de rentrer dans le rang. La rancœur et l’amertume n’en finissent pas de tisser la toile de la discorde et de fourbir des armes pour les prochains scrutins. Pas sûr, alors, que sa stratégie de remplacer les vieux briscards de gauche par les vieux briscards de droite, tienne, à terme, toutes ses promesses !
 
Le modèle bastiais
D’autant que la nouvelle donne, imaginée à Bastia lors des dernières municipales pour faire tomber la citadelle Zuccarelliste, n’en finit pas de rebattre les cartes d’un jeu que l’on croyait établi. Cette coalition droite-gauche-nationaliste, tant décriée et vouée aux gémonies, n’a pas explosée en vol comme beaucoup le prédisait, mais s’est installée, tranquille et décomplexée, dans le paysage politique. Mieux que perdurer, elle fait florès en présentant, lors de ces départementales, quatre binômes dans les quatre cantons de la ville. Fondant les différentes sensibilités politiques sous le sigle « majorité municipale », elle gagne son pari en décrochant, d’emblée, deux cantons sur quatre et un ballotage favorable dans l’emblématique 3ème canton, celui de Lupinu-Saint-Joseph où son binôme affronte le président PRG de l’Office des HLM !
L’historique union PC-PRG, qui s’est brisée sur l’éperon de la défaite des Municipales, perd ses anciens fiefs ! Seul, le 4ème canton Furiani-Montesoro restera dans son escarcelle grâce au maire divers gauche de Furiani, Michel Simonpietri, en ballotage plus que favorable, mais ce dernier a refusé l’alliance avec la Zuccarelliste Marie-Paule Houdemer.
 
L’outsider FN
Au Nord, comme au Sud, la seule véritable surprise de scrutin s’avère, au final, le score, totalement inattendu, décroché par le Front National (FN) dans plusieurs cantons, des résultats qui tendent à se rapprocher de ceux du continent. Une situation inédite dans l'île !  Le FN totalise 4258 voix, soit 8,25% des suffrages exprimés, en Corse-du-Sud où il fait, globalement, mieux que le Front de gauche et presqu’aussi bien que les Nationalistes, et, couplé à Avvenu Corsu, 3665 voix, soit 5,5% des suffrages exprimés en Haute-Corse. A Ajaccio, dans le 4ème canton, le FN dépasse 25% et se retrouve au 2ème tour face au binôme gagnant UMP qui n’a pas atteint le quorum des inscrits. Il prend la 2ème place avec plus de 21% des votants dans le 3ème canton et réalise plus de 13% dans le 5ème canton. Egalement plus de 21% dans le canton de Gravona-Prunelli et plus de 16 % dans le canton de Bavella. A Bastia, le FN regroupe 17,54 % des votes dans le 4ème canton, arrive en tête dans deux bureaux de Montesoro et à la 2ème place dans les trois bureaux de Furiani. Il rallie, également, 16,53% des suffrages dans le 3ème canton et 12,84% dans le 1er canton, totalisant, ainsi, 1615 voix sur Bastia-Furiani ! Il atteint, également, 17% dans le canton de Borgo. Fort de cette nette poussée, le parti de Marine le Pen se prépare, déjà, pour le scrutin de décembre et pourrait bien jouer les trouble-fêtes dans la nouvelle configuration politique qui porte en germe le futur échiquier des Territoriales.
 
N.M.