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Eau : La Corse candidate aux « Trophées de l'adaptation au changement climatique en Méditerranée »


Nicole Mari le Dimanche 2 Mai 2021 à 14:49

Lors du débat sur le projet de SDAGE 2021-2027 à l’Assemblée de Corse, La Collectivité de Corse (CdC) a annoncé sa candidature aux « Trophées de l'adaptation au changement climatique en Méditerranée » pour son Plan d’adaptation au changement climatique (PBACC) dans le domaine de l’eau, adopté en 2018 et en cours de mise en œuvre. Ces Trophées, initiés par la France, l’Ademe, l’Union pour la Méditerranée et le Plan Bleu, seront décernés en juin prochain. Leur enjeu est de rappeler l’urgence d’agir et l’importance du partage d’expérience pour mobiliser les territoires et innover. Explications, pour Corse Net Infos, de Saveriu Luciani, Président de l’Office d’équipement hydraulique de Corse (OEHC), Conseiller exécutif en charge de la Mission Eau et Vice-Président du Comité de Bassin de Corse.



Le Fium'alto.
Le Fium'alto.
- Le projet de SDAGE 2021-2027 vient d’être validé par l’Assemblée de Corse. Quels sont ses principaux axes ?
- D’abord, je rappelle que ce Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) fixe la trame des six années à venir en matière de gestion de l’eau, notamment au niveau des objectifs. Le très bon état écologique des eaux - à 88% en bon ou très bon état - situe la Corse largement au-dessus de la moyenne nationale française qui peine à atteindre 50%. Notre objectif est d’aller encore plus loin pour arriver à 98%. Pour ce faire, nous déclinons 5 grandes orientations, dites fondamentales, et un Programme de mesures (PDM) de 135,5 millions d’euros qui s’articule autour de trois actions majeures. En premier lieu, la lutte contre les pollutions, elle doit être poursuivie notamment dans les territoires ruraux qui souffrent encore d’une insuffisance d’équipement. Ensuite, la gestion équilibrée de la ressource en eau, dans le contexte du changement climatique qui est, pour la première fois, pris en compte. Enfin, la restauration des milieux qui permettra de générer des bénéfices durables.
 
⁃ Ce programme de 135,5 millions €, comment se déclinera-t-il de façon opérationnelle ?
- C’est un effort sans précédent qui nous distingue par son ampleur des politiques menées ailleurs. Au regard de l’excellent état des masses d’eau superficielles et souterraines, la Corse privilégie les actions de préservation plutôt que de résilience. Notre stratégie entend s’appuyer sur un programme de mesures région par région. Nous préconisons, par exemple, le regroupement des intercommunalités qui occupent à plusieurs des bassins versants afin de gérer les risques de crues. En termes de programmation, ces 135,5 millions € représenteront un investissement de près de 23 millions € par an, financés à hauteur de 11 millions € par la Collectivité de Corse et 12,5 millions € par l’Agence de l'Eau.

Saveriu Luciani. Photo d'archives.
Saveriu Luciani. Photo d'archives.
⁃ Lors du débat, vous avez annoncé la candidature de la CdC aux « Trophées de l'adaptation au changement climatique en Méditerranée ». De quoi s’agit-il ?
- La Corse a été sollicitée pour candidater à ce concours des « Trophées de l’adaptation au changement climatique » organisé par l’Union pour la Méditerranée. À mon sens, c’est déjà une reconnaissance du travail accompli depuis 2016 par le Comité de Bassin de Corse et les services de la CdC pour ce qui touche l’élaboration et la mise en œuvre opérationnelle du Plan d’adaptation au changement climatique (PBACC) sur le terrain. J’y associe volontiers l’OEHC pour sa « Charte au monde agricole pour une gestion raisonnée de la ressource en eau » intégrée au dossier de candidature. C’est donc un honneur pour tout le travail accompli depuis 2016, qui place la problématique du Développement durable comme un objectif stratégique pour ce pays. Au final, une belle démonstration qui traduit notre volonté d’engager la Corse au cœur d’une coopération méditerranéenne, alignant les exemples, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité.
 
⁃ En quoi consiste précisément ce concours ? A qui s’adresse-t-il ?
⁃ Ces Trophées s’adressent notamment aux collectivités locales ou aux agences publiques qui mettent en œuvre des actions et des projets d’adaptation au changement climatique dans l’espace méditerranéen. Tous les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée sont concernés. Les projets sont sélectionnés au regard de la pertinence et de l’exemplarité de leur action, de l’efficacité des moyens déployés pour les mettre en place, et de la reproductibilité à l’échelle méditerranéenne. Ces Trophées récompensent les initiatives pertinentes dans trois catégories : « Aménagements et infrastructures résilients », « Préservation des écosystèmes et solutions fondées sur la nature », ou encore « Conception, mise en œuvre et évaluation d’outils et de politiques publiques ». Le Plan d’adaptation au changement climatique dans le domaine de l’eau, que nous avons réalisé en 2018 et qui est en cours de mise en œuvre, entre dans la troisième catégorie. Il constitue un outil stratégique de planification avec des mesures pour réduire les vulnérabilités à l’échelle insulaire.

- Dans ce contexte de dérèglement climatique, quelles actions avez-vous envisagées ?
- Dans le sillage de la COP21 et du « Pacte de Paris sur l’eau et l’adaptation dans les bassins des fleuves, des lacs et des aquifères », le Comité de Bassin de Corse, Conca di Corsica, a adopté, dès notre accession aux responsabilités, le principe et la méthode d’élaboration de ce plan d’action et proposé un ensemble de mesures concrètes pour réduire la vulnérabilité au changement climatique dans le domaine de l’eau, en ciblant les zones où il est nécessaire d’agir plus vite ou plus fortement. De même, le SDAGE 2016-2021 de Corse avait préconisé « d’assurer l’équilibre quantitatif de la ressource en eau en anticipant les conséquences des évolutions climatiques, les besoins de développement et d’équipement ». Cela nécessitait de mieux caractériser les secteurs en déséquilibre quantitatif ou à risque de le devenir. Le but est de rendre le système plus résilient et capable de supporter les changements annoncés.
 
- Comment comptez-vous y parvenir ?
- Notre Plan identifie un panel de 57 mesures ciblées sur trois types d’action : réduire la vulnérabilité à la raréfaction de la ressource, à l’assèchement des sols, au risque d’eutrophisation et aux risques naturels, ensuite maintenir la capacité des territoires à héberger la biodiversité aquatique, humide et littorale, enfin améliorer les connaissances pour organiser l’action. L’originalité de notre Plan est de proposer, dans des zooms territoriaux, une feuille de route avec des actions concrètes, déclinées localement, avec effort sur les points diagnostiqués comme « très vulnérables » dans chaque territoire. Pour maintenir la dynamique de mobilisation des acteurs de l’eau, nous avons élaboré deux chartes : une « Charte d’engagement pour l’adaptation au changement climatique » pour laquelle nous encourageons communes et intercommunalités à signer et, avec l’OEHC et les filières agricoles, la « Charte pour une gestion raisonnée de la ressource en eau » dont j’ai parlé.
 
- Il y aussi Acqua Nostra 2050 ?
- Oui, bien sûr ! C’est un schéma d’aménagement hydraulique qui marque un changement de paradigme et de vision. Il est structurant, majeur, et trace une perspective claire, pensée par les Corses, au service de la Corse. Il inaugure une vision stratégique pour rattraper un retard historique, sécuriser la ressource et assurer les besoins en eau dans tous les territoires de l’île à horizon 2050. Le combat aujourd’hui, c’est de savoir comment on va survivre ! La maîtrise de l’eau, notre Bien Commun, est essentielle pour poser les fondements d’une stratégie de développement du territoire et l’inscrire dans un modèle de soutenabilité durable.

Lac de Padule.
Lac de Padule.
- Les Trophées demandent que votre action soit pertinente. En quoi l’est-elle ?
- L’eau est une richesse à mettre en valeur et une ressource à préserver. Sa gestion est un enjeu majeur, conditionné par des contraintes fortes : le poids croissant des activités économiques, touristiques et agricoles, mais aussi l’impact de l’augmentation de la population résidente et estivale. Le droit à l’eau, à la fois individuel et collectif, doit être garanti à tous et rester inaliénable. L’accès à ce bien commun doit être assuré dans une île qui a pour objectif : la maîtrise valorisée de ses ressources, à travers une gestion raisonnée et équilibrée au service du développement et des actions alliant préservation et respect de l’environnement. Il nous faut placer l’anticipation au cœur des dispositifs de résilience et mettre en œuvre une politique liant à la fois sensibilisation, préconisations, engagement et actions pour mieux gérer et préserver nos ressources hydrauliques, notre biodiversité et notre cadre de vie. L’enjeu commande une véritable révolution des consciences de la part de tous - collectivités, acteurs économiques et citoyens - dans leur rapport à l’Eau, à son usage, à son partage et, donc, à sa gestion pour ne pas en accroître les dépendances et la pénurie. Le PBACC constitue une étape-clé de cette transition.
 
- Les Trophées demandent que votre action soit reproductible à d’autres territoires. L’est-elle, selon vous ?
- Oui ! Notre méthode de caractérisation de la vulnérabilité du territoire est basée sur un modèle tout à fait transposable à d’autres territoires. C’est une approche quantifiée qui définit une vulnérabilité relative entre différents secteurs. Son originalité réside dans la déclinaison de la stratégie d’actions à une échelle locale et dans son opérationnalité. L’établissement des zooms territoriaux permet des mesures concrètes, plus lisibles et plus proches des préoccupations des citoyens. Il en ressort un document de planification abouti, adapté aux territoires, et pragmatique. Il pourra inspirer les autres nations du pourtour méditerranéen. Très utile pour accompagner les décisions publiques liées à l’eau dans un contexte d’incertitude, il a, d’ailleurs, été très largement plébiscité par les pays où il a été présenté. Je ne doute pas qu’il puisse aussi intéresser ceux du dialogue 5+5 (Lybie, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie, Portugal, Espagne, Italie, Malte), ou encore le Liban.
 
⁃ Enfin, vous avez évoqué le projet SYSPROD. Cela semble ouvrir une perspective ambitieuse dans la stratégie de développement durable de la Corse ?
- Oui ! L’OEHC sort des sentiers battus avec ce projet innovant, dont la déclinaison Corse a été rebaptisée Acquanergia. À l’instar d’Acqua Nostra 2050, il est intégré au rapport sur le développement durable, validé en mars dernier par l’Assemblée. Pour résumer, Acquanergia ambitionne de concevoir un démonstrateur innovant permettant de produire de l’hydrogène, de l’oxygène et de l’ozone à partir de panneaux photovoltaïques flottants. L’objectif est une utilisation circulaire de ces produits pour différentes applications : de l’hydrogène pour la mobilité, de l’oxygène et de l’ozone pour combattre l’eutrophisation des eaux de barrages, et de l’ozone pour potabiliser l’eau. Nous avons choisi le plan d’eau du barrage d’E Cotule, en Balagna, pour mener cette expérimentation qui marque incontestablement un moment historique, non seulement pour l’OEHC, mais pour la Corse, sur le chemin de l’émancipation énergétique.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.