Corse Net Infos - Pure player corse

Corse Matin en procès pour « diffamation » envers le bâtonnier Me Jean-Sébastien De Casalta


Nicole Mari le Mardi 5 Décembre 2017 à 22:33

Le quotidien régional Corse Matin, comparaissait, mardi après-midi, au tribunal de grande instance de Bastia (TGI) pour un droit de réponse jugé diffamatoire à l’encontre de Me Jean-Sébastien De Casalta dans le cadre d’une série d’articles concernant le dossier Fabiano où il assurait la défense de la partie civile. S’estimant sali et atteint dans son honneur, l’ex-bâtonnier de Bastia, soutenu par les deux barreaux corses, met en cause « un déchainement médiatique » dans « des articles de parti-pris » et accuse le directeur de la publication, Roger Antech, de « complicité servile » avec l’auteur des propos. En toile de fond de l’affaire, une querelle d’avocats entre Me Jean-Sébastien De Casalta et Me Paul Sollacaro sur un différend professionnel qui a viré au règlement de comptes personnels.



Corse Matin en procès pour « diffamation » envers le bâtonnier Me Jean-Sébastien De Casalta
 






C'est dans une salle d'audience emplie de robes noires silencieuses et indignées que s'est tenu le procès intenté par Me Jean-Sébastien De Casalta contre le quotidien Corse Matin pour diffamation. Le barreau de Bastia, comme celui d’Ajaccio, a tenu à manifester ouvertement son soutien à son ancien bâtonnier, victime d’une « cabale injustifiée », qui porte atteinte à sa dignité et à son honneur. Cette mise en cause d’un des leurs par un justiciable est, pour eux, inacceptable. C'est d’ailleurs « une audience de réhabilitation » que demande l’avocat bastiais et son conseil, Me Dominique Mattei. En cause, une « cascade d’articles » dans le cadre de l’annulation de la libération conditionnelle de Paul Fabiano, condamné à quinze ans de réclusion pour un meurtre commis en 2008, et plus particulièrement des titres jugés lapidaires et « ambigus », des commentaires « calomnieux » et un « droit de réponse à un droit de réponse » suggérant que l’avocat bastiais se livrerait à des pratiques professionnelles « dignes de la voyoucratie ». Me De Casalta estime que son accusateur « a pu bénéficier dans son entreprise de la complicité servile de Corse Matin ».
 
Une querelle médiatique
Dans un long plaidoyer, l’avocat bastiais revient sur le contexte judiciaire et journalistique de l’affaire qui part d’un incident d’audience, en avril dernier, et l’oppose, en tant que conseil de la partie civile, à son confrère de la défense, Me Paul Sollacaro. Ce dernier abandonnant le prétoire sans plaider, la dispute se prolonge à l’extérieur par une altercation entre le père du prévenu, Laurent Fabiano, et Me De Casalta et s’envenime par voie médiatique dans le quotidien incriminé. Le premier engage des poursuites pénales contre le second, l’accusant d’exercer sur lui menaces et pressions. Une enquête de police confronte les parties et blanchit totalement l’avocat bastiais. S'avouant « déjà meurtri par ces accusations diffamatoires portant atteinte à mon honneur et à ma dignité d’avocat », Me Jean-Sébastien De Casalta dénonce le traitement « non conforme à la déontologie journalistique » de cette information par le quotidien régional. « L'article et le contenu suggèrent que je me serais livré à des pratiques infâmes, une espèce de tambouille, un trafic d'influence pour obtenir un classement express sans suite de mon affaire. Cet article a été écrit à la demande de l'avocat (Me Paul Sollacaro, jamais nommé) qui souhaitait donner de la publicité aux accusations qui étaient portées contre moi. Pour obtenir mon droit de réponse, j'ai dû menacer de faire une procédure contre Corse Matin. Alors que le journal explique dans le droit de réponse que la polémique est close et qu'il ne va plus rien publier, je découvre un nouvel article, à l'instigation de cet avocat, disant que la procédure est relancée. Le mensonge et la calomnie sont au rendez-vous ».
 
Bonne ou mauvaise foi ?
Ce droit de réponse au droit de réponse est, pour l’avocat bastiais, le coup de trop. « La liberté d'informer, la liberté de la presse, ce n'est pas la liberté de diffamer ! La presse peut être caricaturale, de parti pris, peu me chaut que Corse Matin le soit, mais il n'y a pas d'exception qui puisse se détacher de l'éthique ». Il accuse Roger Antech, le directeur de publication de Corse Matin, de « complicité servile » avec Me Paul Sollacaro et de « mauvaise foi. Quand on est de bonne foi, on publie les communiqués  de soutien écrits par les barreaux de Bastia et d’Ajaccio, Corse Matin a refusé de publier ». Et de conclure : « J'ai été profondément blessé, personnellement, ma famille et mes amis aussi. J'ai essayé dans ma vie d'avocat de faire mon métier avec honnêteté et intégrité, avec les valeurs que m'ont transmises mes parents, de servir avec humilité le barreau de Bastia ».
Interrogé brièvement par le président du TGI, Roger Antech rejette l’accusation de complicité et affirme que tout « a été fait dans les règles de la presse quotidienne régionale… La publication d'un droit de réponse est rarement la décision du directeur de rédaction lui-même, le débat se fait avec ceux qui sont en charge de la direction de la rédaction ».
 
La juste mesure
La question de la responsabilité du directeur de la publication est au centre des deux plaidoiries.  Pour Me Mattei, l’avocat de Me De Casalta, la faute est avérée. « C'est un dossier désagréable, détestable, triste, à certains égards honteux, en toute hypothèse angoissant ! La genèse, c'est la frustration mal contenue d'un justiciable, vomie sur le bâtonnier, mais aussi sur l'instruction judiciaire dans une complicité détestable de Corse Matin qui libère des échos dangereux. Il y a des mots difficiles à lire dans ce droit de réponse qui auraient dû mener le directeur de publication à plus de prudence. Il doit vérifier que les propos publiés ne portent aucune atteinte à la loi, à l’honneur et à la dignité des personnes, aucune atteinte aux bonnes mœurs, et qu’ils ne véhiculent pas de propos dangereux. Il a une obligation de contrôle qui, en l'occurrence, n'a pas été mise en œuvre. Il aurait dû refuser de se livrer à cette publication polémique qui contrevient à la réalité objective du contentieux. Il ne pouvait pas l'ignorer, il l'a fait. Si les mots ont un sens, Mr Antech doit être condamné ». Il s’appuie sur la jurisprudence pour marteler qu’« on peut refuser de publier un droit de réponse » et qu’il y a « abus de droit : personne ne peut abuser d'un droit de réponse parce que ça serait sans fin et que la presse serait instrumentalisée comme elle l'est aujourd'hui ». Evoquant « la souffrance terrible du bâtonnier au moment où sa moralité a été mise en cause », il assure que « le préjudice est immense, énorme, irréparable », qu’il faut « prendre la juste mesure lorsque ce qu’on publie peut blesser l'honneur et la considération des gens ».
 
Une question de droit
Le préjudice estimé par la partie civile à 200 000 € à titre de dommages et intérêts fait bondir l’avocate de la défense, Me Béatrice Dupuy, déjà indisposée par la présence massive des robes noires. Elle s’attache à ramener l’affaire à une simple question de droit. « Je vais vous demander de faire du droit. On n'est pas dans un moment de réhabilitation, mais dans une enceinte judiciaire. Il n'y a qu'une réponse possible : la relaxe ! ». Elle argumente sur trois motifs : « C’est la première fois que, dans ce type de dossier, l'auteur des propos n'est pas poursuivi. Il y a un grand absent : Mr Fabiano. Pourquoi n'est-il pas là ? C’est inédit ! Il n'y a jamais eu aucun jugement qui a condamné la publication d'un droit de réponse, dès lors qu'il est publié dans le cadre légal. S'il n'avait pas été publié, le journal aurait été susceptible de se retrouver dans la même instance pour refus de publication. Dans les jurisprudences, ce sont les auteurs des propos qui sont condamnés, pas le directeur de la publication ». Autre motif : « l’absence de diffamation. Où sont les actions en diffamation sur les trois papiers ? Le droit de réponse peut être corrosif envers le bâtonnier. Pourquoi n’aurait-il pas le droit de faire usage de la même corrosion ? Pourquoi Roger Antech doit-il faire un choix entre les corrosions ? Aucun des trois passages incriminés n'est constitutif d'une condamnation. Le terme voyoucratie n'est pas diffamatoire, c’est à la limite, une injure. Cela ne peut constituer une infraction et n'est pas attentatoire à l'honneur et à la considération ». Elle demande à la Cour de s’extirper du contexte existant et de faire application du droit. « Si votre décision était inverse à la relaxe, tous les jours, on s'interrogerait sur le droit de publication. Si vous condamnez, on aura un problème juridique, et les directeurs de publication n'auront plus le courage de publier ».
 
Plongé tout au long de l’audience dans un mutisme total, le ministère public s’est exonéré de réquisition, s’en remettant à la décision du tribunal. Le jugement a été mis en délibéré au 27 février.
 
N.M.