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Collectivité unique : La colère des élus départementaux contre Jean-Guy Talamoni !


Nicole Mari le Lundi 30 Mai 2016 à 22:25

Lors de la session de l’Assemblée corse, jeudi matin, son président, Jean-Guy Talamoni, a, dans son allocution préliminaire, fustigé les Conseils départementaux qu’il a qualifié de « royaume de la pulitichella » et de « nids du clientèlisme ». Il a averti que les Nationalistes saisiront, avec le projet de collectivité unique, « l’occasion de s’en débarrasser ». Ces propos ont déclenché une polémique qui ne tarit pas depuis cinq jours. Après les réactions, vendredi, des présidents des deux départements, et un chjami e rispondi, ce weekend, par Twitter interposé, près de 20 conseillers départementaux du Nord et du Sud se sont rassemblés, lundi après-midi, à Corte, pour clamer leur colère et demander au président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, d’intervenir. Ils ont symboliquement choisi le Café de France pour le faire, par référence au « pays ami », autre buzz provoqué par le leader indépendantiste. Explications, pour Corse Net Infos, de Marcel Francisci, conseiller départemental et président du groupe libéral majoritaire au Conseil départemental de Corse-du-Sud.



Le conseiller départemental, Marcel Francisci, entouré de ses pairs des Conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse du Sud.
Le conseiller départemental, Marcel Francisci, entouré de ses pairs des Conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse du Sud.
- Quel est l’objet de ce rassemblement à Corte ?
- J’ai été mandaté par l’ensemble de mes collègues, c’est-à-dire les 22 conseillers départementaux de Corse-du-Sud dont certains sont ici aujourd’hui, pour dire à la Corse et aux Corses que nous avons été choqués, blessés et déçus par les propos de Mr Talamoni.
 
- Que reprochez-vous à ces propos ?
- D’abord, la violence des propos employés. Je cite : « Nous allons nous débarrasser des conseillers départementaux ». Il n’a pas dit : « des Conseils départementaux », il a dit : « des conseillers départementaux ». Qu’est-ce que ça veut dire ? S’en débarrasser comment ? Le peuple a élu des femmes et des hommes pour une durée qui n’appartient ni à Mr Talamoni, ni à moi, de décider. La loi fera que les Conseils départementaux s’arrêteront ou pas le 31 décembre 2017. Si c’est le cas, nous l’accepterons tous. Mr Talamoni n’a pas à commenter ce genre de choses !
 
- Pourquoi ne pourrait-il pas le faire ?
- Il n’est plus, aujourd’hui, un représentant politique extrêmement minoritaire sur l’île puisque 7% des voix se sont portées sur sa liste à la dernière élection territoriale. C’est à ce titre et à cette tribune qu’il s’est exprimé en appelant à la disparition des Conseils départementaux, c’est son droit, mais surtout à se débarrasser des Conseillers départementaux. C’est trop !
 
- Vous estimez que taxer les Conseils départementaux de « royaumes de la pulitichella » est « un déni de démocratie ». Il n’est pourtant pas le seul à le dire ! N’est-ce pas une opinion largement partagée en Corse ?
- Oui ! Mais, on peut dire tout et n’importe quoi ! On peut diffamer ! On peut, par le truchement de faux comptes Twitter, attaquer les gens nommément, comme c’est le cas régulièrement à mon encontre. On peut, également, les traiter de voleurs, d’incapables, d’ânes ! Je vous invite à aller sur Twitter pour voir ce qui s’y passe.
 
- Accusez-vous Jean-Guy Talamoni d’être derrière cela ?
- Je ne dis pas que c’est Mr Talamoni qui fait ça, je dis très clairement que l’on sent d’où ça vient ! Nous sommes en Corse dans une période où les choses sont très difficiles, pas seulement pour la jeunesse, mais pour elle aussi. Cette jeunesse n’a pas besoin de ce genre de signes ! On n’a pas besoin de monter les Corses les uns contre les autres ! Les Corses ont besoin d’apaisement et que l’on parle enfin des dossiers importants. Parlons de la langue, parlons même de la coofficialité ! Je suis contre la coofficialité, mais j’accepte évidemment le débat. Parlons de l’agriculture, de l’économie, des emplois, du tourisme, de choses importantes qui, demain, permettront à notre jeunesse de pouvoir s’installer ici. Mr Talamoni, qui défend la Corse et la démocratie, est, aujourd’hui, pour moi, son pire représentant !
 
- Le fait de monter autant en épingle ces propos n’est-ce pas leur faire beaucoup de publicité ? Sans vous, ils auraient presque pu passer inaperçus !
- Ah non ! Quand on fait une déclaration publique à la tribune de l’Assemblée de Corse en tant que président, vous ne pouvez pas penser que ces propos passeront inaperçus ! Il n’était pas au comptoir d’un bar. Il ne les a pas dit au détour d’un article dans un journal, il les a dit dans un lieu public en tant que président de l’Assemblée de Corse. Encore une fois, il faut que Mr Talamoni se rappelle qu’il est arrivé là grâce à 7% des électeurs lors de la dernière élection. Il faut 50% pour rentrer dans un Conseil départemental. Avec 7%, il est président ! C’est très bien ! C’est le mode de scrutin qui veut ça, nous l’acceptons ! Il faut qu’il accepte aussi que 65% des Corses n’ont pas voté pour une liste nationaliste, ni pour les options qu’il défend. Ces Corses existent et méritent le respect. Nous en faisons partie, nous sommes là aujourd’hui pour le dire !
 
- Pourquoi êtes-vous contre la suppression des Conseils départementaux ?
- C’est complètement hors sujet ! Mais, je vais vous répondre. J’ai voté contre la suppression des Conseils départementaux parce que je suis élu d’un territoire rural reculé et je sais, comme mes collègues, que la Collectivité territoriale de Corse (CTC) ne sera pas intéressée par ces territoires reculés. On parle, aujourd’hui, de bassins de vie qui seront favorisés : en gros, le littoral, Corte et les grandes villes. Et le reste, que va-t-il devenir ? Quid de Ciamanacce, Zicavo, Palneca… où il n’y a parfois que 40 ou 50 personnes ? Ces personnes n’ont-elles pas le droit, elles aussi, d’avoir des stations d’épuration et des équipements à niveau ?
 
- Pourquoi ne pourraient-elles pas en disposer ?
- Parce qu’on nous expliquera, demain, qu’on ne peut plus investir dans ces zones-là, qu’il n’y a pas assez de monde et que c’est aux populations de se déplacer et à l’argent public d’être concentré. J’ai été conseiller territorial, je sais ce que c’est ! Ce n’est pas un mandat de proximité, c’est un mandat général. Comme élu de proximité en contact quotidien avec la population, je suis pour le maintien des départements. Mais, ce n’est pas pour cette raison que je suis à Corte aujourd’hui. La plupart des gens présents sont, d’ailleurs, pour la collectivité unique. Ce n’est pas le sujet ! Il se trouve que je fais partie des quelques rares personnes à être contre et je continue à l’être !
 
- Vous dites vous « interroger sur la motivation réelle de certains concernant la collectivité unique ». Qu’entendez-vous par là ?
- On peut se demander quel est l’intérêt de cette collectivité. On nous parle de simplification de la vie politique. Se rend-t-on compte que l’on va concentrer, entre les mains d’un homme ou d’une femme, peut importe qui il ou elle sera, tous les pouvoirs de la Corse ? On va en faire un roi de Corse ! Le président de l’Exécutif de la CTC sera le roi de Corse ! Il aura droit de vie et de mort !
 
- C’est ce que dénoncent les communistes et leur leader Dominique Bucchini depuis des mois ?
- Eh bien, les Communistes ont tout à fait raison ! Je le dis également et je suis sûr de ne pas être le seul. On parlait à une époque, on en parle parfois encore, de certaines méthodes qui consistent à favoriser tel ou tel village selon les résultats électoraux. On parle d’une collectivité, il en reste d’autres pour que les villages puissent survivre. Avec la collectivité unique, il n’y en aura plus qu’une ! C’est très dangereux ! Que ces pouvoirs soient concentrés entre les mains d’une personne de droite, de gauche ou nationaliste, c’est la même chose ! Ce n’est pas bon pour la démocratie ! Maintenant, la majorité l’emportera et je suivrai cette majorité.
 
- Vous lancez un appel au président de l’Exécutif, Gilles Simeoni. Que lui demandez-vous ?
- L’appel concerne les propos tenus par Mr Talamoni. On n’a pas entendu Gilles Simeoni sur le sujet. Il n’a pas jugé utile de s’exprimer. Il est important, aujourd’hui, que Mr Simeoni prenne la parole pour nous expliquer ce qu’il pense. On nous parle d’une co-construction de la Collectivité unique. Pense-t-il qu’on peut co-construire quelque chose avec des gens qu’on diffame quotidiennement ? J’aimerais connaître la réponse de Mr Simeoni à cette question.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.