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Chambre des territoires : Entre urgences et inquiétudes, une contribution active aux Assises de l'eau


Nicole Mari le Lundi 9 Juillet 2018 à 17:18

La Chambre des territoires s'est réunie en session extraordinaire, lundi matin, à Bastia, pour apporter sa contribution aux Assises nationales de l'eau ouvertes par le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, lors de sa visite en Corse, fin mai. L'objectif est de consulter les élus locaux pour préciser leurs attentes en matière d'eau et d'assainissement. Le président du Comité national de l'eau et coordinateur des Assises de l'eau, Jean Launay, venu dans l'île pour l'occasion, a présenté le cadre et les enjeux, et répondu aux questions et aux inquiétudes des élus. Il explique, à Corse Net Infos, qu'élus et populations doivent prendre conscience que l'eau est un bien de plus en plus rare et qu'il faut se poser la question de la gestion de ses usages. En prime, le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse (CDC), Gilles Simeoni, a replacé la problématique de l'eau dans une vision politique globale.



- Quel est l'objet de votre visite en Corse ? La question de l'eau est-elle ici plus cruciale qu'ailleurs ?
- Oui ! Le président des Assises de l'eau, le secrétaire d'Etat, Sébastien Lecornu, m'a demandé, dans cette première phase, de parcourir les bassins pour écouter les problématiques particulières. Evidemment, la Corse a une problématique particulière. D'abord, parce que c'est une île. Ensuite, la ressource est abondante à cause du relief de montagne et la présence de nombreuses sources. Enfin, il y a aussi la pression de la population touristique pendant l'été. Donc, plus qu'ailleurs, la compatibilité des usages domestiques, industriels, agricoles et touristiques se posent.

- Les communes de montagne s'inquiètent d'être délaissées au profit des communes du littoral concernant la rénovation des infrastructures. Comprenez-vous cette inquiétude ?
- Bien sûr ! J'ai été moi-même maire d'une commune rurale dans le Massif central, et je comprends la position des élus ruraux. J'ai voulu les rassurer. La question centrale de ces Assises de l'eau est la nécessaire prise de conscience collective que l'eau est un bien qui devient de plus en plus rare sous la pression du changement climatique. La première responsabilité des élus doit être de donner de l'eau en qualité et en quantité à leurs populations. La question de la provenance de la ressource, de sa production, de son utilisation et de sa distribution se pose. J'ai préconisé la définition d'un schéma directeur global qui coordonne, au niveau de la Collectivité de Corse, les schémas directeurs qui pourraient être établis par les intercommunalités.

- Les élus ont pointé les lourdeurs administratives dans le traitement des dossiers, notamment de rénovation des réseaux usagés. Comment y remédier ?
- C'est une question de gouvernance des outils déconcentrés et décentralisés que sont les agences de l'eau sur le territoire. Les Assises ont permis la prise de conscience de la nécessité de les conserver. N'oublions pas que l'Etat, le ministère des Finances en particulier, a toujours des tendances jacobines et recentralisatrice. Ce n'est pas au moment où la Corse se dote d'une collectivité unique qu'on peut faire valoir ces tendances jacobines ! Au contraire ! C'est l'utilisation des outils existants, que sont les Agences, qui doit permettre peut-être une gouvernance plus adaptée et réactive, moins systématique sur certains sujets.

- Vous avez plaidé la nécessité d'anticiper la pression du changement climatique et d'établir un plan d'attaque sur 30 ans. Pensez-vous avoir été entendu ?
- Les élus ne nous ont pas contredit quand nous avons évoqué cette pression avec le président Luciani. Cette question sera particulièrement abordée dans la seconde phase des Assises de l'eau que je coordonnerai aussi et qui sera présidée par Nicolas Hulot. Nous aborderons les questions de la gestion qualitative et quantitative de l'eau, de la résilience des territoires au changement climatique... Le débat, que nous avons eu, ouvre sur la prise de conscience qui doit être de plus en plus partagée de la rareté et de la valeur de l'eau.

- Autre sujet abordé : le prix de l'eau, source de bien des polémiques. Faut-il un prix plancher ? Y êtes-vous favorable ?
- J'ai bien entendu les interrogations sur le prix de l'eau. La question de son acceptabilité sociale est réelle. Je ne la méconnais pas. Mais si on veut faire appel à des outils de solidarité entre bassins et à l'intérieur d'un même bassin, ou de solidarité nationale, à un moment, il faudra se donner les moyens de la construire. Le prix plancher de l'eau me semble une des solutions pour permettre une péréquation en faveur des territoires les plus démunis. Par exemple, dans des petites communes rurales à faible densité de population où les réseaux d'eau ont des fuites, sans solidarité financière, ces communes n'arriveront pas à faire les investissements pour renouveler ces équipements. Le mérite des Assises de l'eau est de poser ce diagnostic et, au-delà, de trouver des solutions financières adaptées. Il faut être inventif ! Pas seulement en empruntant, même s'il est important d'avoir des emprunts à long terme pour des investissements structurants. J'espère que ces Assises déboucheront sur la mise en place de mécanismes de solidarité financière à l'intérieur des bassins et entre bassins par le biais de l'Etat.

 - Ces Assises visent une prise de conscience de la rareté de la ressource et un changement de comportement des populations dans leurs usages de l'eau. N'y-a-t-il pas un manque de pédagogie en la matière ?
- Oui ! Il faudrait faire un essai de communication sur le thème : "Imaginez une journée sans eau", je pense que l'accélération de la prise de conscience citoyenne serait très forte !  Si la population prend conscience que l'eau est une denrée dans la rareté risquerait de s'aggraver, elle sera reconnaissante à ses élus de se pencher sur le sujet. Elle peut comprendre qu'une organisation partagée met plus de solidarité entre les territoires et que l'eau stabilise les populations. Là où vous donnez de l'eau, les populations restent. L'eau contribue à maintenir sur place une alimentation autonome... Vous évitez aussi les guerres et les migrations.

- Est-ce, pour vous, la première urgence en matière d'eau ?
- Oui ! Prendre conscience de sa valeur et de sa rareté !

Propos recueillis par Nicole MARI.

Chambre des territoires : Entre urgences et inquiétudes, une contribution active aux Assises de l'eau
Gilles Simeoni : " Il faut réussir à traiter les urgences de court terme et continuer à mobiliser des financements pour se mettre à niveau"

"Nous nous inscrivons clairement dans une philosophie qui est celle d'affirmer et de réaffirmer plus que jamais que l'eau est un bien commun. Chacun de nos choix est dicté par la volonté de soustraire la gestion de l'eau et son exploitation de la logique de prix. C'est un point central de notre politique. Nous devons avoir une vision stratégique basée sur le constat mondial que l'eau est une ressource d'autant plus précieuse qu'elle se raréfie avec le changement climatique. Les experts et analystes internationaux affirment que les prochaines guerres, si elles devaient avoir lieu, seraient des guerres de l'eau. C'est une donnée que nous devons garder à l'esprit dans un monde méditerranéen où l'eau fait cruellement défaut et où la Corse fait, au moins jusqu'à aujourd'hui, figure d'exception de par sa richesse hydrique exceptionnelle. Paradoxalement, cette ressource abondante a été sinon mal, du moins insuffisamment gérée. Par exemple, les retenues d'eau sont vingt fois moins importantes en Corse qu'en Sardaigne.
Cette ressource est, donc, de plus en plus convoitée, non seulement dans un contexte géostratégique international, mais aussi  en Corse avec, à la fois, l'augmentation de la population et une forte saisonnalité induite par les flux touristiques. Cela impose une réflexion stratégique avec un rapport au temps. Il faut réussir à traiter les urgences de court terme. Lorsque, lors de la visite de Nicolas Hulot, nous avons inauguré à Zonza et à Bonifacio, deux stations d'épuration et de retraitement des eaux usées, les deux maires nous ont rappelé qu'il avait fallu plus de 20 ans pour mener à bien les deux opérations. On ne peut pas se permettre de rester dans un rapport au temps aussi distendu.
Les Assises nationales de l'eau devraient, selon ce qui est annoncé, déboucher sur la prise de décisions fortes au niveau de l'Etat. il faut absolument que la Corse s'inscrive dans cette réflexion globale tout en faisant prendre en compte sa vision et ses intérêts propres. Dans ce cadre doit s'insérer la discussion sur l'instrument qui succèdera au PEI (Plan exceptionnel d'investissements) où l'eau et l'assainissement constituent une ligne budgétaire importante. Le retard n'a pas été comblé, il faut continuer à mobiliser des financements pour se mettre à niveau. Enfin, ce qui remonte souvent dans les échanges avec les maires et présidents d'intercommunalités, c'est la complexité, la longueur et la lourdeur des procédures, la difficulté d'obtenir de l'Agence de l'eau des financements à la hauteur des besoins. L'idée est de croiser les analyses pour mettre en oeuvre une vision stratégique partagée, des déclinaisons opérationnelles définies à l'échelon le plus pertinent avec, en arrière plan, la logique d'équité entre les citoyens et les territoires".