La visite du pape François à Ajaccio, le 15 décembre 2025, reste dans toutes les mémoires. Ce jour-là, entre recueillement et émotion retenue, une foule dense s’est rassemblée dans les rues du centre-ville, portée par l’événement. Mais au-delà des images officielles, que reste-t-il de cette journée dans le cœur des Corses ? C’est cette attente, intime et collective, qu’a choisi de filmer Angelin Leandri dans Roma ind’è noi. En 52 minutes, le documentaire prolonge Roma per noi, réalisé dans la ville éternelle quelques mois plus tôt pour la création du cardinal Bustillo. Mais cette fois, c’est Ajaccio qui devient le décor. « J’ai voulu interroger la Corse contemporaine à travers un événement symbolique, fédérateur, et le raconter à hauteur d’homme », confie le réalisateur. Le court-métrage alterne entre scènes du quotidien, séquences plus symboliques — comme une fresque de Napoléon qui « fait pleuvoir » sur la ville — et témoignages bruts. Des Ajacciens, des proches, des anonymes. Pas d’experts, ni de spécialistes. « Je voulais capter des mots simples, des émotions sincères. C’est une chronique urbaine, pas une analyse. »
Avec son cadreur Matthieu Saintenac, Angelin Leandri a dû travailler dans l’urgence. Trois semaines à peine ont suffi pour réunir le matériel, caler un calendrier de tournage et amorcer les premières lignes d’un scénario. « Ce que je voulais, c’était donner une image inspirante de la ville, en allant à la rencontre de celles et ceux qui la font vivre. Comme je l’avais fait à Rome, j’étais à la recherche de personnalités du quotidien. Le but, c’était de dresser un portrait d’Ajaccio à travers ses habitants, et à travers la venue du pape. Ce qui comptait pour moi, c’était les visages, les voix, les émotions.»
Dans ce second volet, pas de discours pontificaux ni de plans emphatiques, donc. Le pape y est quasiment absent. Ce sont les visages, les mots et les silences des Corses qui tiennent le premier rôle. Des commerçants, des coiffeuses, des parents, des jeunes… Tous témoignent de leurs émotions, de leurs espoirs, parfois de leur incrédulité. « Ce jour-là, toutes les caméras étaient tournées vers le pape. Moi, j’ai choisi de filmer ceux qui regardaient, ceux qui attendaient. » Une manière de capturer l’intime dans le collectif, l’éphémère dans le souvenir. Le film, volontairement elliptique, met en scène l’attente : « les gens sont là, le pape n’est pas encore arrivé. Puis il est passé. Puis c’est fini. »
Espérance et douleur
Mais un autre fil traverse le film, plus personnel, plus tragique. Celui de Pierre-Louis Giorgi, dit « Pilou », jeune Ajaccien, champion de boxe, ami d’enfance du réalisateur, qui apparaît à plusieurs reprises à l’écran. Avec ses proches, il prépare la venue du pape dans une ambiance légère, parfois ironique. Il plaisante sur la présence des Suisses aux côtés du pape, évoque la défense corse. Un jeune homme joyeux, croyant, ancré dans sa ville. Huit jours plus tard, Pilou est abattu par balles dans une fusillade au Lamparo. Un drame qui bouleverse Angelin Leandri et transforme le sens même de son travail. « Pilou devait être un personnage du film » indique le réalisateur, et il en est devenu le cœur. « Il incarne cette jeunesse corse à la fois fervente, sportive, pleine de vie, et frappée par une violence qu’on croyait dépassée. » Angelin Leandri ne tombe pas dans le pathos. Mais le montage, revu après les événements, laisse flotter cette présence. Comme une ombre. Comme un rappel. « Tout devient contradiction. Une semaine après avoir donné au monde une image d’unité et de ferveur, l'ile bascule dans le deuil. Son décès a bouleversé le montage, mais j’ai tenu à le garder, parce que ça disait quelque chose de la Corse. »
Ce que raconte Roma ind’è noi, au fond, c’est aussi cela : comment une semaine peut contenir autant d’espérance, puis autant de douleur. Comment, dans une même ville, on peut accueillir un pape dans la joie, puis perdre un enfant du pays dans la violence. « Le film est traversé par cette contradiction. Il commence dans la lumière, il s’achève dans l’ombre. Mais ce sont les deux faces d’une même réalité. »
La projection à l’Espace Diamant a fait salle comble. Une seconde est prévue à Bastia ce lundi. Angelin Leandri n’exclut pas d’autres diffusions en Corse. Et si le film bouleverse, c’est aussi parce qu’il touche à quelque chose de plus universel : la mémoire, la trace, le besoin d’image. « Les gens ont voulu garder une photo du pape, comme pour s’assurer que c’était vrai. Cette envie d’immortaliser, c’est aussi ce que je ressens avec Pilou. Grâce au film, il est encore là. Il vit dans ces images. »
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