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Autonomie de la Corse : Le gouvernement relance le processus et confirme le calendrier


Nicole Mari le Mercredi 30 Avril 2025 à 18:12

Le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, en charge du dossier corse, François Rebsamen, a réuni le comité stratégique sur l'avenir institutionnel de l'île, mardi soir, à l’Hôtel de Roquelaure. L’occasion de relancer le processus à l’arrêt depuis un an, de réaffirmer sa détermination à le mener à bien et de confirmer le calendrier resserré avec un Congrès prévu en fin d’année. Une réunion jugée positive par les tenants de l’autonomie, mais un peu trop floue pour les autres.



François Rebsamen en visite en Corse en février dernier avec le le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, la présidente de l’assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, et le préfet de Corse, Jérome Filippi. Photo Paule Santoni.
François Rebsamen en visite en Corse en février dernier avec le le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, la présidente de l’assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, et le préfet de Corse, Jérome Filippi. Photo Paule Santoni.
C’était un rendez-vous politique très attendu, même si personne ne savait très exactement quoi en attendre. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, a convié, mardi soir, les élus insulaires du Comité stratégique sur l'avenir institutionnel de l'île à un diner de travail, comme l’avait fait à plusieurs reprises, son prédécesseur en charge du dossier corse, Gérald Darmanin. Ce comité stratégique assez restreint a pris la forme d’un diner à l’Hôtel de Roquelaure, d’une durée de 2h30 avec le président du Conseil exécutif, la présidente de l’assemblée de Corse, les présidents des groupes politiques, les parlementaires, les présidents des associations des maires et les deux préfets de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Et une question-clé : la relance du processus d’autonomie entamé en mars 2022 et en suspens depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Parlant d’un « rendez-vous avec l’Histoire à ne pas rater », le ministre a réaffirmé la volonté du Président de la République, du Premier ministre et du gouvernement, « d’inscrire dans la Constitution la reconnaissance d’un statut d’autonomie de la collectivité de Corse au sein de la République », comme il l’avait déjà fait lors de son déplacement dans l’île en février dernier. « Cette réunion de travail constructive a permis d’aborder les conditions de transmission du projet d’écritures constitutionnelles au Conseil d’Etat ainsi que les suites à réserver à la publication de son avis », a-t-il précisé, mercredi matin, dans un communiqué.
 
Un calendrier resserré
Se disant « très engagé » sur ce dossier, François Rebsamen a confirmé le calendrier des étapes qu’il avait déjà dévoilé à Aiacciu. La première étape est, dans les prochains jours, la saisie du Conseil d’Etat pour avis sur le projet d’écritures constitutionnelles, tel qu’il a été validé par une ultime réunion du Comité stratégique et par l’Assemblée de Corse en mars 2024. Le projet acte la dévolution à la collectivité de Corse d'un pouvoir normatif propre, c’est-à-dire le pouvoir de faire la loi et d’édicter des règlements avec le transfert de toutes les compétences hors régaliennes. Le Conseil d’Etat rendra son avis sur la forme juridique du texte, avis consultatif et non contraignant, avant la mi-juin. A ce moment-là, le ministre réunira, de nouveau, le Comité stratégique. La seconde étape simultanée est la divulgation du rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a été saisie sur ce projet d’écriture constitutionnelles. Les discussions étant toujours en cours, cette divulgation pourrait intervenir autour du 15 mai. La troisième étape est la saisine du Sénat sur le projet de texte constitutionnel alors qu’on attend toujours son rapport qui a été bloqué pour cause de controverse et dont la production, en soi, n’est pas une obligation. Une étape particulièrement difficile s’ouvre en septembre puisqu’un texte identique doit être adopté par les deux Chambres. Sans faire aucun commentaire sur le fond, le ministre s’est engagé au nom du gouvernement à la saisine du congrès à l’automne, en précisant que « le Parlement décidera ». Pour être validé, le texte de la révision constitutionnelle doit être adopté à la majorité de 3/5èmes. Avec au final, la perspective d’un référendum pour consulter les Corses, là aussi non seulement difficile à mettre en œuvre, mais dont le résultat est tout aussi aléatoire que les votes du Parlement. Et ce n’est qu’après avoir franchi victorieusement toutes ces étapes que serait discutée, en 2026, la loi organique qui organise le transfert des compétences et le statut d’autonomie.
 
Un engagement fort
Du côté de la représentation corse, les nationalistes saluent « une réunion très conviviale », « l’engagement fort » du ministre et se disent rassurés par la confirmation du calendrier : « Le timing est confirmé et le ministre Rebsamen s’est déclaré très engagé et en soutien fort au processus. Il a souligné également le soutien total du Président de la République, du Premier Ministre, de Gérald Darmanin, et du gouvernement », réagit brièvement le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni. « Les échanges ont été l’occasion de réaffirmer les positions prises pendant la première partie du processus. Une tendance très largement majoritaire en faveur de l’autonomie et du pouvoir législatif avec des sensibilités différentes pour les trois tendances nationalistes, les Présidents des associations de maires et Valérie Bozzi. Et l’opposition inchangée d’une partie de la droite à toute dévolution du pouvoir législatif » a-t-il ajouté. Même s’il attend avec prudence l’avis à venir du Conseil d’Etat « qui ne lie ni le gouvernement, ni le Parlement », il estime que « s’est ouverte la phase conclusive et décisive du processus. Avec deux chantiers majeurs : convaincre les députés et les sénateurs, et ⁠continuer à élargir le soutien en Corse. Et une inconnue découlant de l’instabilité politique française ». S’il ne cache pas que le chemin reste ardu, le président Simeoni se félicite aussi « des promesses tenues », concernant non seulement le processus, mais aussi le projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de la Collectivité de Corse (CdC), validé le jour même par le Conseil d’Etat. « Le ministre Rebsamen et le gouvernement ont tenu leur engagement sur la transmission au Parlement du projet de loi concernant le rattachement de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) à la CdC, pour garantir le principe de maitrise par la puissance publique corse de la gestion des ports et aéroports. C’est un point important, complémentaire de la révision constitutionnelle. Si la loi est votée, nous aurons engrangé un acquis considérable aux plans stratégique, économique et social avec la sauvegarde des 1000 emplois de la CCI. Le même principe aura vocation à être ensuite appliqué à la Chambre des Métiers ». Gilles Simeoni se dit « optimiste » sur l’issue de ce vote qui devrait intervenir au plus tard en septembre. Et déterminé à réussir à obtenir la révision constitutionnelle et le statut d’autonomie.
 
Une réunion positive
Les promesses tenues, c’est aussi ce que retient la présidente de l’assemblée de Corse, Nanette Maupertuis. « Le ministre a tenu ses engagements. Il a transmis à l’Assemblée nationale, le texte tel qu’il a été voté par l’assemblée de Corse en mars dernier. C’est une bonne chose. J’ai trouvé un ministre engagé, qui a envie que ce projet réussisse pour la Corse et les Corses ». Elle se dit « satisfaite de l’échange, une réunion positive avec une liberté de parole pleine et entière, un ministre à l’aise et déterminé, des débats sereins et conviviaux avec une volonté d’avancer, même si subsistent encore des divergences de vue avec certains membres de l’opposition ». Concernant la suite du processus, le ministre c’est montré « prudent », estime-t-elle. « Il a rappelé à juste titre que, quelque soit la volonté des Corses et du gouvernement, la décision finale revient au Parlement. Toute la difficulté est là. Il y a encore de nombreux obstacles à franchir et la nécessité de convaincre, de faire de la pédagogie. Il faut expliquer aux parlementaires que le travail collectif, qui a été mené depuis plusieurs mois, est important pour la Corse. Il vise à nous faire entrer dans une nouvelle ère et à tourner le dos à des années de conflit pour embrasser une trajectoire de paix, de sérénité et de développement ». Elle martèle son credo : « L’autonomie n’est pas une fin en soi, c’est un outil pour pouvoir prendre des décisions adaptées à la réalité des besoins de la Corse, et à la reconnaissance d’une singularité au sein de la République. La nécessité est encore plus criante aujourd’hui. On l’a vu avec notamment la question de l’intégration de la Chambre de commerce, la singularité d’une Chambre insulaire, la maîtrise des ports et des aéroports dans le contexte d’une île, et la nécessité d’adapter, de prendre des décisions différentes par rapport à un contexte national ». Et d’affirmer : « Il y a véritablement la nécessité de mener à bien ce processus. On ne peut pas rester au milieu du gué. Repartir en arrière est impossible. Ce serait dramatique ! ».
 
Pas d’alternative à l’autonomie
Satisfaction aussi du député de la 2ème circonscription de Corse de Sud, Paul-André Colombani : « On a passé un cap. On rentre dans une autre phase du processus. Je suis plutôt rassuré par l’engagement du ministre et sa volonté de faire aboutir le dossier. C’est encourageant. On ne sera pas tout seul quand il faudra batailler au Parlement, convaincre ceux qui ne sont pas d’accord ». Il pense que le ministre va user de toute son influence : « Il en va de sa crédibilité. Gérald Darmanin fera aussi sa part de son côté ». Il profite de l’occasion pour tacler les élus corses, de droite et de gauche, qui refusent l’autonomie et arguent que la Corse n’a besoin que d’un pouvoir d’habilitation amélioré. « Ces gens-là ne proposent aucune alternative à l’autonomie. Ils disent que la Corse n’a besoin que d’un pouvoir d’habilitation renforcé, mais nous attendons toujours qu’ils nous l’écrivent en droit. Cela fait des mois qu’on leur réclame. Quand on parle de pouvoir législatif, on dispose d’écritures constitutionnelles écrites et expertisées des deux côtés. Par contre, on n’a aucune expertise sur le pouvoir d’habilitation. Ceux, qui le proposent, n’ont pas été capables jusqu’à aujourd’hui de produire des écritures constitutionnelles qui vont dans leur sens afin que l’on puisse expertiser ce qu’ils proposent. En fait, ils ne proposent rien ! Un pouvoir d’habilitation qui fonctionne, aujourd’hui, ça n’existe pas ! C’est très compliqué à mettre en œuvre. Les procédures sont trop complexes. C’est un vœu pieu ! La Corse risque juste de se retrouver bloquée ». Concernant le vote au parlement, le député porto-vecchiais avoue qu’il n’est pas confiant du tout : « Depuis la dissolution, le chemin de crète s’est rétréci. On avait fait un très gros travail d’explications qui a été perdu avec la nouvelle assemblée. Maintenant, il faudra prendre le temps d’aller convaincre les nouveaux élus ». Dans la foulée, son parti, le PNC, rappelle, dans un communiqué, « ⁠son attachement à une réelle autonomie qui viendra consacrer pour l’Assemblée de Corse un pouvoir législatif sur ses compétences propres » et « ⁠⁠sa volonté de voir le peuple corse consulté par voie référendaire ». Et d’ajouter : « Dans un contexte corse et général très difficile, il ne s’agit pas simplement d’une question d’évolution institutionnelle, en l’occurrence déterminante, mais de nous donner les moyens politiques de préserver l’avenir de notre peuple et de solder 50 années de conflit politique. Chacun, désormais, et singulièrement au sein de la représentation parlementaire, doit en prendre l’exacte mesure et agir en responsabilité, au regard de notre histoire, de nos aspirations nationales et dans le respect des convictions exprimées ».
 
La question de la légitimité
Côté opposition de droite, le sénateur de Corse du Sud, Jean-Jacques Panunzi, le député Xavier Lacombe, et le co-président du groupe U Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni, ont réitéré leur refus de l’autonomie et du pouvoir législatif. « Sans surprise, le gouvernement est engagé sur la base du texte qui a été adopté, mais pas à l’unanimité, sur les écritures constitutionnelles dont je partage la première partie liée à la reconnaissance, mais pas la deuxième partie liée au pouvoir législatif », commente Jean-Martin Mondoloni. Il a rappelé au ministre trois points qu’il juge essentiels : « Le premier est qu’il y a un manquement en termes de légitimité parce que le peuple n’a pas été consulté. Et que tout cela se fait beaucoup autour de l’antichambre de l’assemblée de Corse. Les maires, les corps intermédiaires, les chambres consulaires n’ont pas été consultés. Le ministre est resté assez dilatoire sur le moment où on va consulter les Corses. Est-ce après la loi constitutionnelle ? Est-ce après la loi organique ? Je trouve qu’on avance à l’aveugle sur ce sujetOn ne sait pas. Donc, c’est un vrai sujet ». Le deuxième est d’ordre économique. « La Corse mérite un vrai plan d’accompagnement, et ce n’est pas avec les écritures constitutionnelles qu’on va la redresser. Le ministre en a convenu mollement », déplore-t-il. Le troisième concerne « la dimension sociale dans laquelle se trouve la Corse aujourd’hui. Il y a le problème des gens qui vivent sous le seuil de pauvreté, mais aussi ceux qui sont en voie d’y basculer. Cela représente un tiers de la Corse. Sans compter les drames et le climat un peu lourd que nous connaissons ». S’il prend acte de la détermination du ministre à porter le projet d’autonomie : « Il y a clairement une volonté du gouvernement d’avancer, surtout du Chef de l’État qui a réuni un comité interministériel sur le sujet et qui a dit qu’il fallait tenir les engagements pris », il émet des doutes sur le texte qui sortira du Parlement : « Est-ce une vision consolidée, une vision au rabais ou une vision maximaliste ? On n’en sait rien, mais il n'est pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il y a quand même un risque que ce soit au-dessous de l’objectif fixé. Je crains pour beaucoup, des désillusions. On verra sur la ligne d’arrivée mais je maintiens que la ligne d’arrivée sera assez proche de ce qu’on avait proposé dès le départ et qu’on aura ergoté pendant trois ans sur un sujet dont je ne suis pas sûr que s’il allait au peuple aujourd’hui, il emporterait une adhésion massive ». Il a également posé la question des transferts de fiscalité : « Je ne vais pas m’aventurer à l’aveugle sur une fiscalité alors que je n’ai pas de chiffres. Cela paraît complètement fou d’un point de vue de la méthode ! ». A l’inverse, sa colistière, Valérie Bozzi, a conforté la ligne définie par le ministre Laurent Marcangeli et redit qu’elle était totalement favorable au processus. Et se montre confiante : « Il y aussi une droite qui est pour l’évolution. Le ministre Darmanin y est favorable. Je crois qu’on peut convaincre des élus de droite ».

N.M.