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Assises de Haute-Corse : Un verdict d'apaisement


Nicole Mari le Vendredi 18 Octobre 2013 à 20:39

Après 3 heures 30 de délibéré, Ghjambattista Villanova a été condamné à 12 ans de réclusion criminelle. Marc-François Gianetti et Jacques Laurent Moretti à 18 mois de prison dont 12 avec sursis. Vincent Caroff, Julien et Jérome Melgrani ont écopé, chacun, de 6 mois de prison avec sursis. Ce verdict, qui joue l’apaisement, est accueilli avec un certain fatalisme par la majorité des parties. Auparavant, les dernières plaidoiries de la défense avaient tenté, avec pugnacité, d’écarter le spectre de l’exemplarité qui pèse sur cette affaire depuis ces débuts. L’audience s’est close sur un poignant mea culpa de l’auteur du tir mortel qui endosse, encore une fois, l’entière responsabilité du drame.



Me Marie-Josée Bellagamba et Me Jean-Sébastien De Casalta, avocats de la défense.
Me Marie-Josée Bellagamba et Me Jean-Sébastien De Casalta, avocats de la défense.
C'est dans une salle d'assises comble, passablement fiévreuse, que le verdict est tombé à 15 h 40, après 3 heures 30 de délibéré.
Les six jurés ont reconnu Ghjambattista Villanova coupable de violences volontaires avec arme ayant entrainé la mort d’Antoine Casanova sans l’intention de la donner ainsi que de transport et port d’arme en récidive avec confiscation de l’arme. Ils ont, en récusant l’homicide volontaire, suivi les réquisitions du ministère public qui avait demandé une requalification des faits, mais ont abaissé de 2 ans le quantum de la peine requise.
 
Des violences réciproques
De la même façon, Marc-François Gianetti et Jacques Laurent Moretti sont reconnus coupables de violences volontaire aggravées avec arme et état d’ébriété, transport et port d’arme et écopent d’une peine inférieure aux réquisitions. Si le premier, pompier volontaire, est lavé de l’accusation de non-assistance à personne en danger, la Cour retient, contre lui, les violences volontaires que l’avocat général avait écartées pour absence de preuve. Tous trois sont relaxés de la circonstance aggravante de port d’arme en réunion.
Les 3 amis de la victime, Vincent Caroff, Julien et Jérome Melgrani, sont reconnus coupables de violences volontaires en réunion sur la personne de Jacques Laurent Moretti. Comme l’avait demandé l’avocat général, le principe de légitime défense n’a pas été retenu. Les jurés ont doublé le quantum de la peine requise, tout en maintenant le sursis.
Les parties ont 8 jours pour faire appel.
 
Un moindre mal
Ce verdict mesuré a été accueilli avec plus de fatalisme que ne le fut, la veille, le réquisitoire de l’avocat général, mal perçu et mal compris par des parties civiles murées dans la douleur.
Il apparaît, ainsi, paradoxalement, comme « un moindre mal » pour la famille de la victime qui craignait, au fil du déroulement du procès, une peine plus légère. « Ce que les victimes déplorent dans cette affaire, c’est la position du Parquet général qui s’est érigé, et c’est bien normal, en représentant de la société. Je ne sais pas s’il a été à la hauteur de son office », explique Me Antoine Vinier-Orsetti, conseil de la famille d’Antoine Casanova. « Compte tenu des réquisitions de l’avocat général, la famille et les parties civiles estiment que le verdict est correct sachant que, quoi qu’il en soit, rien ne leur ramènera leur fils. Ils attendaient que justice se fasse, c’est chose faite ! Ils vont pouvoir recommencer à se reconstruire », ajoute sa consœur et associée, Me Marie-Hélène Casanova-Servas.
Le verdict n’est, par contre, pas accepté par les trois amis de la victime, qui refusant d’endosser une quelconque responsabilité, ont décidé d’interjeter en appel des décisions les concernant.
 
Une sanction acceptable
Pour les autres protagonistes de cette affaire, le verdict est acceptable, après réflexion. « Je pense que mon client a compris. Il considère effectivement que, compte tenu du contexte, cette décision, qui a été prise par la Cour d’assises dans sa sérénité, essaye de concilier la souffrance des victimes et ses propres intérêts », commente Me Marie-Josée Bellagamba, conseil de Ghjambattista Villanova qui a décidé de ne pas faire appel de cette décision.
Satisfaction, également, de Me Jean-Sébastien de Casalta, conseil de Jacques-Laurent Moretti : « C’est une décision qui, pour Jacques-Laurent Moretti, me paraît très acceptable dans la mesure où la Cour d’assises a considéré que les réquisitions de l’avocat général devaient être diminuées. La peine retenue se situe en deçà de la proposition de peine formulée. La Cour a rejeté la légitime défense, invoquée par les consorts Melgrani et Caroff. C’est dire que, manifestement, il s’agissait d’une bagarre où les responsabilités étaient collectives et partagées de part et d’autre. En regard de la détention provisoire qu’il a déjà purgée, mon client va être convoqué devant le juge d’application des peines afin d’envisager une mesure d’aménagement ».
 
Le spectre de l’exemplarité
Les deux avocats bastiais ont, le matin même, fortement et longuement, ferraillé en défense, avec la lourde et difficile tâche d’extirper leurs clients de la chausse-trappe de l’exemplarité. En dépit des inculpations pour violences volontaires, le cœur de l’affaire et de son retentissement se cristallise sur le transport et port d’arme et ses funestes conséquences. Il est indéniable que l’intégralité de l’audience a tendu à faire peser sur les épaules du principal prévenu et de ses deux amis, non seulement le poids normal de la gravité d’un acte et de la douleur d’une famille, mais celui, plus contestable, des dérives d’une société et d’une jeunesse insulaires, en mal de repères, baignant au quotidien dans une violence banalisée. Jeudi matin, l’avocat général décrivait, dans son réquisitoire, ce qu’il appelait : la Chronique d’une mort annoncée. Le drame de Corte, s’il n’avait la singularité de toucher de très jeunes gens que l’on dit respectables et respectés, aurait pu s’intituler : Chronique corse d’une violence ordinaire, tant les morts par balles se succèdent, dans l’île, à un rythme cadencé.
 
L’échec de la société corse
Ce contexte insulaire, Me Jean-Sébastien de Casalta, exhorte les jurés à ne pas l’occulter. « Cette jeunesse a grandi dans le fracas des attentats, le claquement des coups de feu, la toxicomanie, un banditisme prégnant, l’argent affiché sans réussite sociale, la banalisation des armes et de la mort ». Pour lui, le drame de Corte n’est pas le reflet d’une jeunesse alcoolisée, mais « la loupe grossissante des transgressions, des attractions fatales et des dérives de la société corse ». Il puise ses racines tragiques dans une terre où « le mal brille plus que le bien. Cette affaire est un échec de la société corse. La responsabilité collective nous engage tous, même si les défaillances individuelles sont là ».
De ce fil rouge d’un mimétisme contextuel qui « reproduit tout simplement le scénario de la génération précédente » dans « une logique de groupe qui passe par le prisme de la conformité », il déroule, avec minutie, l’écheveau des faits. Point à point, comme à son habitude, il examine, méthodiquement, chaque élément à charge pour mieux les démonter, et démantèle toutes les « accusations péremptoires » de la partie civile. Fustigeant « le manichéisme judiciaire qui oppose l’ombre et la lumière, la jeunesse sombre et celle qui incarne la vertu », il estime que si son client est déclaré coupable de violences en état d’ébriété, la Cour doit, « dans une logique de réciprocité », en faire de même pour tous les autres.
 
Le souci de vérité
A sa suite, Me Marie-Josée Bellagamba entreprend, avec beaucoup d’émotion, de raconter les moments et les raisons de la reddition de Ghjambattista Villanova. « C’est un enfant désemparé qui est venu me trouver avec son arme avec le souci constant de dire la vérité parce qu’il la devait à ses proches et à lui-même. C’est là qu’est son rachat. Ce qu’il vous demande, ce n’est pas le pardon qu’il ne s’accorde pas à lui-même, mais une décision de justice prenant l’exacte mesure de son acte ». A ceux qui doutent de sa sincérité, qui le traitent de lâche, elle rétorque : « Connaissez-vous beaucoup d’accusés qui se rendent de la sorte dans un pays où on assassine avec des masques et où on ne retrouve jamais personne ? C’est la première fois que je vois ça ! Croyez-vous que c’est facile pour lui de voir la souffrance qu’il a créée, d’affronter le regard de ceux qu’ils aiment en sachant qu’il porte à jamais la marque au fer rouge de la mort d’un autre et qu’ils les condamnent à jamais à porter ce poids avec lui !».
 
Une exigence de vérité
Elle insiste sur son désarroi, ses remords, sa sincérité, sa volonté, avant tout, de convaincre la famille Casanova qu’il n’a pas voulu tuer Antoine comme un chien, « cette exigence de vérité qu’il s’est imposé tout seul ». Et fait remarquer que « sans cette reddition que l’on banalise, sans cette arme tragique ramenée, ce procès n’aurait jamais eu lieu et la famille Casanova, comme tant d’autres familles, attendrait encore un coupable ». Torpillant, un à un, tous les reproches et toutes les accusations, sans rien omettre, elle replace le tir mortel dans un contexte de bagarre, d’alcool et d’obscurité où tout le monde se bat : « Jamais, il n’a eu l’intention de tuer ».
Pendant toute cette plaidoirie qui le défend, comme pendant celle qui suivra et celles qui l’ont stigmatisé,  Ghjambattista Villanova reste obstinément prostré, la tête enfouie dans ses mains. De même, la mère de la victime reste tête baissée, les yeux fixés sur une photo posée sur la table devant elle : le visage en gros plan et en noir et blanc de son fils Antoine.
 
Des rodomontades
C’est Me Eric Dupont-Moretti qui clôt les plaidoiries. Effleurant à peine le fond que sa consœur a épuisé, le ténor lillois compte sur la force de son verbe pour faire mouche. Et, il y réussit souvent. Il concentre l’essentiel de son propos sur le droit et sur la nécessité de rendre la justice et non « une forme endimanchée de la vengeance », tentant de circonvenir l’inévitable empathie avec les victimes : « Bien sûr que votre cœur bat pour cette victime, dans laquelle vous voyez votre fils, votre frère, votre neveu baigner dans le sang ! Je vous demande de juger comme vous aimeriez qu’on juge les vôtres ».
Il fustige férocement, comme indignes, les « rodomontades contre un gamin de 20 ans » de ses confrères de la partie civile « qui font de la surenchère pour trois mois de prison avec sursis ». Avant de s’en prendre au réquisitoire de l’avocat général « extraordinairement paradoxal » et aux peines requises qu’il juge disproportionnées, exemples de verdict à l’appui.
 
L’illusion de l’exemplarité
Puis, il s’attaque à la demande d’exemplarité qui pèse sur le verdict en raillant sa prétendue efficacité. « Si un verdict apportait la rémission des crimes, ça se saurait ! Demain, quand un des vôtres partira aux Scontri, je vous promets qu’il n’aura pas en tête la peine exemplaire qu’on vous demande de prendre. Et le prochain jeune qui va être condamné à 14 ans de prison pour un Scontri à-venir, vous croyez qu’il va se présenter, de son propre chef, au Parquet ? Depuis cette affaire et la marche blanche, y-a-t-il eu un type qui soit venu ramener une arme ? Non ! L’année d’après, 200 cartouches ont été tirées. L’exemplarité de la peine est illusoire ».
Il demande aux jurés de s’en tenir à la règle de droit, à l’analyse objective des faits et à la personnalité de l’accusé. « La question, ici, n’est pas de dire dans quelle société vous voulez vivre ? Vous le direz au moment de voter ! Ghjambattista Villanova ne va pas payer pour tout ça, parce que vous en avez marre, parce que vous voulez exprimez votre désapprobation ? C’est monstrueux Si vous suivez les réquisitions de l’avocat général, vous aurez jugé, vous n’aurez pas rendu justice ! », conclut-il.
De toute évidence, les jurés ne l’ont pas vraiment entendu.
 
Un poignant remords
Avant de se retirer pour délibérer, le président Herald demande aux prévenus de dire un dernier mot. Les trois amis de la victime ne répondent pas. Marc-François Gianetti et Jacques Laurent Moretti, très émus, expriment, brièvement, excuses et regrets.
La tête levée, face à ses juges, d’une voix bourrelée de remords mais qu’il veut nette pour prouver sa sincérité et se donner du courage, Ghjambattista Villanova endosse, encore une fois, comme il le fait depuis le début, l’entière responsabilité du drame. « J’aurai aimé vous apporter plus de précisions pour comprendre un tel drame, un tel gâchis dont je suis le seul responsable. Je regrette, plus que tout, ce qui s'est passé. Je n’ai jamais voulu que ça finisse ainsi. J’ai dit que j’avais été un imbécile. J’ai le sentiment d’avoir été en dessous de tout. Je me le répète sans cesse jour et nuit. J’ai honte. Ce que j’ai fait est honteux. Je me suis rendu pour accepter une peine ». Parmi les jurés, une jeune femme se met à pleurer.
La décision de la Cour fut, sans doute, difficile à prendre. Il fallait une sanction tant au niveau des armes que de la gravité de l’acte. Ghjambattista Villanova l’a écoutée et acceptée sans protester. La société corse, et pas seulement la jeunesse, en dépit de ses marches blanches et de l’émotion de l’instant, saura-t-elle l’entendre ? Saura-t-elle s’en souvenir ?
N. M.

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