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Affaire Murtoli : La Safer dénonce la fraude sur la vente des terres agricoles


Nicole Mari le Vendredi 28 Mars 2014 à 18:31

Le feuilleton médiatico-judiciaire interminable, qui oppose Paul Canarelli, Paul D’Ortoli et Anne de Carbuccia dans l’affaire du domaine de Murtoli, est emblématique pour la Safer. Son conseil d’administration dénonce le caractère litigieux de la vente et les artifices juridiques déployés pour s’exonérer du droit de préemption sur une terre agricole dans un contexte aigu de forte spéculation foncière. Déboutée en 1ère instance, la Safer attend le jugement de la Cour d’appel qui sera rendu le 16 avril. Explications croisées, pour Corse Net Infos, de Christian Orsucci, président de la Safer, et de Joseph Colombani, président de la Chambre d’agriculture régionale.



Christian Orsucci, président de la SAFER.
Christian Orsucci, président de la SAFER.
- Quel est l’objet de cette affaire ?
-  Christian Orsucci : Cette affaire est née uniquement du fait que la Safer a préempté, à quelques mètres de là, au profit du Conservatoire du littoral. Le fait que tout le monde sache que la Safer avait dans ce territoire, une approche et une vision expérimentales, a incité un notaire, un vendeur et des acquéreurs à contourner le droit. Les différentes révélations et annonces dans la presse de Mr D’Ortoli et de son avocat reflètent ce que nous avions imaginé il y a quelques années. La Safer a assigné l’ensemble des protagonistes de Sartène sur la vente des terrains agricoles et essaye de prouver qu’il y a des artifices qui permettent de contourner le droit.
 
- En quoi cette vente est-elle particulière ?
- Joseph Colombani : On s’attaque, avec une fraude manifeste, à l’intérêt des agriculteurs représenté par la Safer à travers son droit de préemption.
- Christian Orsucci : Cette vente du terrain de Murtoli est, pour nous, emblématique mais il y a d’autres affaires en cours, de donations ou de ventes de surfaces boisées qui sont des ventes en parts de société où l'on bafoue les règles de droit et de transparence. Ces terrains agricoles échappent au monde agricole et remettent en cause l’existence même de nôtre rôle sur le marché foncier agricole corse.
 
- Parlez-vous uniquement de votre droit de préemption sur toute vente de foncier agricole ?
- Christian Orsucci : Au-delà de ce droit de préemption, la Safer a un devoir de transparence de l’ensemble du marché corse. Quand une terre agricole se vend en Corse, la Safer en est informée. Elle peut se positionner soit au niveau du prix, soit au travers de la destination du terrain. Or, comme on l’a vu dans cette affaire, certaines pratiques permettent l’exemption de nos droits. En démembrant la vente de la nue-propriété de celle de l’usufruit, la vente échappe au droit de préemption de la Safer et au marché. Nous le dénonçons depuis 5 ans.
 
- Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?
- Christian Orsucci : Je considère que les réflexions des avocats et les déclarations du vendeur lui-même sont la preuve qu’il y a bien eu intention de frauder et de contourner notre droit.
 
- Qui a fraudé ?
- Christian Orsucci : Le vendeur et l’acquéreur bien sûr, sous couvert d’un notaire qui n’aurait jamais du se prêter à ces artifices. Je ne sais pas pour quelle raison le vendeur vient, aujourd’hui, donner la preuve de la fraude, mais ces déclarations confortent la Safer dans sa position et sa stratégie de départ.
- Joseph Colombani : Nous n’avons jamais occupé la propriété de Mr d’Ortoli. Nous avons, par contre, occupé le cabinet du notaire parce que c’est lui qui détient le savoir et a fait le montage particulier qui consiste à vendre, de manière légale, une propriété agricole en la démembrant.
 
- Ne peut-on pas vous taxer d’ambiguïté dans cette affaire ?
- Joseph Colombani : Non. La Safer intervient chaque fois que la terre agricole est menacée, qu’il y a la tentative de contourner ou de diminuer les capacités des agriculteurs à préserver la terre agricole. Nous sommes intervenus à Murtoli, comme nous l’avons fait en Orezza sur un autre dossier par rapport à une autre façon de contourner le droit de préemption de la Safer. Comme nous le faisons à San Antonino, quand nous estimons que la terre agricole n’est pas protégée, qu’il y a un abus d’urbanisation…
 
- La défense de Mme Carbuccia accuse la Safer d’être instrumentalisée… Que répondez-vous ?
- Joseph Colombani : Libre à eux de penser ce qu’ils veulent ! Le problème est que si on laisse passer ce terrain-là et cette méthode-là, on crée un précédent qui fera tâche d’huile, vue la pression existant en Corse sur les terres agricoles, notamment lorsqu’elles se trouvent comme à Murtoli en bord de mer, dans un endroit magnifique. Le but de la Safer est de défendre la terre agricole où qu’elle se trouve, quelques soient les protagonistes.
 
- Quel est votre recours ?
- Christian Orsucci : Nous avons assigné l’ensemble des protagonistes devant le Tribunal de grande instance. Nous avons été déboutés en 1ère instance. Nous sommes en attente du verdict de l’appel qui interviendra, courant avril. Tous ces éléments me laissent à penser que les juges, qui sont en délibéré, prendront véritablement conscience de l’enjeu et de la problématique de la spéculation en Corse.
 
- Qu’attendez-vous du jugement d’appel ?
- Christian Orsucci : La seule chose que j’attends, c’est que la vente soit cassée et que l’on revienne au point de départ, c’est-à-dire qu’on re-notifie la Safer. Nous informerons, ensuite, le monde agricole des ventes de terres agricoles et nous nous positionnerons lors d’une vente régulière et conforme à ce qu’elle aurait du être depuis le départ.
- Joseph Colombani : La nouvelle loi rectifie le tir, mais elle n’est pas encore promulguée. Donc, il y a de fortes chances pour que nous perdions encore en appel.
 
- Que ferez-vous alors ?
- Joseph Colombani : Nous manifesterons. Nous dirons que c’est, peut-être légal, mais pas moral. Le but du jeu a bien été de contourner le droit de préemption.
 
- Ces pratiques sont-elles courantes en Corse ?
- Christian Orsucci : Les pratiques liées au démembrement de propriétés et les exemptions sur les donations restent, encore, assez aléatoires. Les fraudes sur les surfaces boisées ont pris une proportion assez importante. Sur ce point, nous nous battons et nous essayons, à chaque fois que le notaire le permet, d’attaquer les ventes. Le phénomène le plus inquiétant, qui semble aujourd’hui réglé par la loi, est celui de la multiplication des ventes en parts de société. Un bien agricole est apporté en capital dans une société, ce qui permet de ne plus vendre une terre agricole, mais une part de société, la vente échappe, ainsi, totalement à la surveillance de la Safer.
- Joseph Colombani : Ces pratiques ont tendance à se développer pour des ventes de domaines avec des enjeux importants, comme le bord de mer, ou de grandes superficies. Mais, aussi faut-il les prouver ! Le travail de la Safer dépend de notifications des notaires, mais le notaire, s’il est dans ou à l’origine de la combine, peut très bien ne pas signifier le démembrement. Dans l’affaire Murtoli, nous l’avons coincé parce qu’il a fait, le même jour, la vente de la nue-propriété et la vente de l’usufruit. Si ces deux ventes s’effectuent à un an d’écart, la fraude devient imparable.
 
- Que pouvez-vous concrètement faire en amont pour empêcher les exemptions aux droits ?
- Christian Orsucci : La fédération nationale a porté cette revendication au plus haut niveau de l’Etat. La loi d’avenir, qui a été votée en décembre 2013, nous a donné raison. Une majorité de députés a voté une compétence élargie aux Safer qui peuvent, maintenant, intervenir, aussi bien sur les démembrements de propriétés que sur les ventes en parts de société. Cela lève les deux principaux obstacles à l’intervention de la Safer sur le foncier agricole.
 
Propos recueillis par Nicole MARI
 

Joseph Colombani, président de la Chambre d’agriculture régionale.
Joseph Colombani, président de la Chambre d’agriculture régionale.