Le 20 juillet dernier, un groupe de vingt montagnards du Club alpin de Corse a tenu à rendre hommage à cet exploit méconnu de l’histoire scientifique en répétant symboliquement l’ascension du Monte Cintu. « En gravissant les 1 100 mètres de dénivelé entre le refuge de l’Ercu et le sommet, chacun concentré dans son effort a pu mesurer l'exploit accompli 100 ans plus tôt par des hommes lourdement chargés de planches, de cornières métalliques, d'instruments de mesure et même de bois de chauffage », indique le club dans son communiqué.
Une mission scientifique exceptionnelle
À l’époque, rien ne garantissait la réussite de cette entreprise. Les conditions d’accès aux sommets corses étaient particulièrement difficiles, et l’objectif de relier la Corse au continent par visées optiques nécessitait de disposer, au bon moment, d’une visibilité parfaite et d’une coordination rigoureuse entre équipes réparties sur plusieurs centaines de kilomètres. Pour surmonter ces obstacles, Paul Helbronner avait obtenu le soutien logistique de l’armée française. Jusqu’à 200 hommes participèrent à l’opération. Du matériel fut acheminé à dos de mulet, puis porté par les hommes jusqu’aux sommets, où furent installés des abris temporaires.
L’équipe d’Helbronner, postée au Monte Cintu, dut affronter deux tempêtes majeures en pleine saison estivale, l’une d’elles emportant même l’abri installé au sommet. Malgré ces conditions extrêmes, les relevés purent être effectués avec succès grâce à quatre feux positionnés au-dessus de Nice et Toulon. « Son acharnement à surmonter les difficultés avait payé, lui permettant d’obtenir des résultats très précis », souligne le communiqué.
Né de l’initiative personnelle de Paul Helbronner, ce projet s’inscrivait dans une volonté de doter la France de cartes plus précises, après que la guerre de 1870 eut mis en lumière l’avance cartographique des puissances voisines. Helbronner, qui avait créé dès 1903 une section d’alpinistes-topographes au sein du Club alpin français, en lien avec le Service géographique de l’armée, réalisa cette œuvre sans appui institutionnel, sur ses fonds propres, mû par une passion profonde pour la montagne et la mesure.
Il fut par la suite décoré pour cette mission exceptionnelle, considérée aujourd’hui comme l’une des dernières grandes campagnes géodésiques terrestres, à l’aube de l’ère de la photographie aérienne et, plus tard, des satellites.
Une commémoration symbolique
Un siècle après, les membres du Club alpin de Corse ont voulu faire revivre cet épisode. Au sommet du Monte Cintu, culminant à 2 706,75 mètres selon une mesure actualisée effectuée sur place par deux géomètres du groupe, une banderole a été déployée pour marquer le centenaire. Le chiffre obtenu cette année a été comparé aux 2 709,1 mètres mesurés par Helbronner en 1925, témoignage de la grande précision atteinte malgré les moyens techniques rudimentaires de l’époque.
Longtemps considéré à tort comme inférieur au Monte Rotondu, le Monte Cintu ne fut reconnu comme point culminant de la Corse qu’au milieu du XIXe siècle. La mission de 1925 en scella la reconnaissance scientifique définitive.
Des événements commémoratifs sont prévus tout au long de l’année dans plusieurs communes corses liées à l’histoire de cette mission. À Corte, Zicavo ou Bastia, des conférences, expositions ou hommages permettront de redonner toute sa place à cette aventure humaine, scientifique et militaire. Le Club alpin de Corse, en tant qu’héritier de cette tradition d’exploration et de transmission, entend poursuivre ce travail de mémoire. "La Mission Helbronner reste la plus importante campagne scientifique menée dans l’île du fait des moyens engagés, de sa durée et des résultats obtenus," rappelle le club. Une œuvre pionnière dont l’ombre plane toujours sur les cimes corses.












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