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Limitation du chalutage de fond : les pêcheurs corses redoutent une décision "injuste"


Léana Serve le Jeudi 12 Juin 2025 à 10:40

À Nice, Emmanuel Macron a annoncé vouloir restreindre le chalutage de fond dans certaines aires marines protégées. Une mesure saluée par les ONG mais qui fait grincer des dents en Corse, où les professionnels de la pêche dénoncent une décision injuste et appellent à une prise en compte des spécificités insulaires.



Photo d'illustration
Photo d'illustration

Limiter le chalutage de fond dans certaines aires marines protégées : c’est l’ambition que porte Emmanuel Macron. À l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, qui se déroule du 9 au 13 juin à Nice, le président de la République a annoncé une série de mesures visant à mieux protéger les mers et les océans, et notamment les aires marines protégées. À ce titre, il souhaite “limiter l’activité” des chaluts de fond, qui traînent un filet au fond de l’eau, jusqu’à 800 mètres de profondeur, pour ramasser poissons et crustacés. “Il y a des endroits où il faut limiter leur activité, qui en raclant le fond, vient perturber la biodiversité et des écosystèmes qu'il faut apprendre à protéger”, a déclaré le chef de l’État à plusieurs quotidiens de la presse régionale en amont de la conférence.

Si certaines ONG soutiennent les propos du Président de la République, prônant même une interdiction totale du chalutage de fond dans ces zones, les pêcheurs corses abordent cette série d’annonces avec prudence. “Il va falloir être vigilants, parce qu’on sait que ça peut nous arriver”, indique Daniel Defusco, président du comité des pêches de la Corse, avant de rappeler que l’île ne compte que cinq chalutiers pour 160 pêcheurs professionnels. “Les chalutiers sont tous positionnés sur la côte orientale de l’île, de Bastia à Bonifacio : il y en a à Bastia, Solenzara, Porto-Vecchio et Bonifacio. C’est donc quelque chose de très ponctuel et de très ciblé. Les zones de pêche ne sont absolument pas exploitées au point de les épuiser, d’autant plus qu’on a déjà des zones interdites, comme la zone Natura 2000 entre Bastia et Solenzara pour protéger les herbiers de posidonies, qui est interdite jusqu’à 50 mètres de profondeur. C’est une zone qui va aussi passer en zone de protection forte, donc nos chalutiers ne vont pas du tout dans cette zone-là. Pour nous, c’est un non-sujet.”
 

Des décisions jugées injustes

Pour Daniel Defusco, les annonces faites par Emmanuel Macron sont contraires aux discussions que les professionnels avaient eu avec Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, et Kóstas Kadís, commissaire européen chargé de la pêche, au mois d’avril à Lorient. “Il nous avait été promis que l’interdiction du chalutage de fond serait faite au cas par cas. Ça nous avait rassurés, parce que nos chalutiers corses sont peu nombreux, et ils ne sont pas du tout impactants, mais aujourd’hui, les annonces ne sont pas rassurantes.”

S’il explique comprendre la volonté de limiter le chalutage de fond dans des zones “où la pêche est préjudiciable”, il estime néanmoins que la Corse ne devrait pas être concernée. “Nos chalutiers pêchent entre 400 et 500 mètres de profondeur. À cette profondeur, il n’y a pas d’impact sur les rochers, les gorgones ou le coralligène, parce qu’il n’y a que de la vase. C’est pour ça que le cas par cas était une évidence pour nous. En fonction des zones de pêche, des techniques de pêche et des bateaux, on n'a pas les mêmes impacts sur les fonds marins. Les chalutiers corses n'impactent pas les fonds marins sensibles. Le chalutier passe, c’est vrai que c’est une méthode qui bouge, mais uniquement sur du fond sablo-vaseux, où il n’y a ni corail ni gorgone. Il faudrait un suivi scientifique sur le sujet, pour qu’on puisse défendre nos bateaux.”

Malgré tout, le président du comité des pêches de la Corse craint des conséquences économiques si la limitation devait être mise en vigueur. “Il peut y avoir des conséquences dramatiques pour nos cinq chalutiers”, déplore-t-il. “On ne pourrait plus pêcher certaines espèces, donc il faudrait essayer d'installer des jeunes sur une pêche différente. Le principal problème, ce serait surtout un abandon de la pêche et une disparition du chalutage, mais ce serait injuste par rapport à la méthode de travail qu’ils emploient. On sait ce qu’on fait, ça fait des années que l'on pêche en Corse et il y a encore de la biodiversité et de très beaux poissons et crustacés, et ce n’est pas pour rien, c’est parce qu'on pêche bien. On ne peut pas être pénalisés comme ça.”

Si ces mesures entrent en vigueur, il assure qu’ils “monteront au créneau”. “On est dans une bonne dynamique de travail, on fait une pêche durable, artisanale, sélective, et on n'acceptera pas d’être stigmatisés de cette façon et d’être mis sur le pilori parce que quelqu’un aura décrété que la pêche est préjudiciable”, lance-t-il. “J’espère que les chalutiers ne seront pas impactés, et que la situation de la Corse sera prise en compte et qu’elle jouera en notre faveur. Si ce n’est pas le cas, on ne pourra pas laisser faire, il faudra réagir.”