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La Constitution de Paoli : le texte originel publié pour la première fois dans son intégralité en octobre… 1976


le Dimanche 27 Avril 2025 à 11:45

C’était en octobre 1976. Pour la première fois, la Constitution corse rédigée en 1755 sous l’impulsion de Pasquale Paoli était publiée dans son intégralité. Près de 50 ans plus tard, ce moment éditorial reste marquant. Portée par la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, cette publication redonnait toute sa portée à l’un des actes les plus remarquables de Paoli. Le travail avait été mis en lumière par deux de nos confrères, Paul Silvani et Tony Graziani du “Provençal-Corse”.
Sur cette page jaunie par le temps, les mots serrés, écrits en italien, d’une plume du XVIIIe siècle refaisaient surface…



Conservé aux Archives régionales de la Corse de l'époque, le document manuscrit — neuf pages et demie d’une écriture cursive et dense — avait été brièvement évoqué en 1930 par un archiviste, Pierre Leandri. Il fallut toutefois attendre octobre 1976 pour que ce texte visionnaire soit restitué dans son entièreté, accompagné d’une transcription et d’une analyse contextualisée.

Rappel en quelques lignes de ce que l'on avait retenu à l'époque…


Une œuvre politique avant-gardiste
Ce texte, rédigé par la Consulta réunie à Corte, s’inscrit dans un moment charnière : quatre mois après avoir été porté à la tête de la nation, Pasquale Paoli entend doter la Corse d’un gouvernement stable et durable, fondé sur une légitimité populaire.
« Ayant reconquis sa liberté, voulant donner à son gouvernement une forme durable et permanente, la nation la transforme en une constitution propre à assurer la félicité de la nation », écrivent Paul Silvani et Tony Graziani dans leur présentation du texte.
La Constitution de 1755 ne se contente pas d’affirmer l’indépendance : elle l’organise. Elle institue une Dieta générale, convoquée régulièrement et composée de représentants élus par acclamation dans chaque paroisse. Tout citoyen âgé de plus de 25 ans, jouissant de ses droits, peut participer à cette vie politique. Une révolution silencieuse, qui faisait de la Corse l’une des premières démocraties modernes de l’histoire européenne.


Une séparation des pouvoirs avant l’heure
L'autorité suprême est confiée à un Conseil d’État composé de neuf membres, assisté de deux classes de conseillers, en charge des affaires étrangères, militaires, judiciaires, ecclésiastiques et économiques. Un véritable embryon de séparation des pouvoirs, inspiré sans doute des Républiques italiennes et des idées montantes des Lumières.
Un tribunal civil est également institué, avec des juges désignés dans chaque pieve. Ce système judiciaire se veut garant de l'ordre, de la régulation des litiges et de la lutte contre les abus. L'idée que personne n'est au-dessus des lois traverse tout le texte.


Une justice rigoureuse, une société encadrée
Très en avance sur son temps, la Constitution prévoyait également un corpus pénal complet, d'une rigueur affirmée. Le meurtre volontaire est puni de mort, tout comme les vols à main armée ou commis en bande. Les justiciers autoproclamés, les vengeances privées ou les "vendette" sont strictement prohibées :
« Celui qui emploiera la force pour se faire justice sera puni comme rebelle à l’autorité de la nation. »  
Des commissaires de pieve, capitaines et lieutenants d’armes sont désignés pour veiller à l'application de ces lois, assurer l'ordre public, et mobiliser les habitants en cas de nécessité militaire.


Un territoire structuré, une vision politique affirmée
L’administration des provinces, notamment celles de Balagne et du Nebbio, fait l’objet de dispositions spécifiques. L’élection des podestats, pères du commun et estimateurs vise à garantir l’équité dans la répartition de l’impôt, la régulation des récoltes et la résolution des conflits locaux.
Loin d’être un texte figé ou symbolique, cette Constitution était un outil de transformation. Elle était pensée comme un cadre évolutif, amendable par les représentants du peuple réunis en Dieta, en fonction des réalités du terrain.


Une pensée républicaine insulaire
Ce texte étonne encore aujourd’hui par sa maturité politique et son ancrage dans une modernité éclairée. Il faisait de la Corse un laboratoire politique bien avant 1789, et incarnait l’aspiration d’un peuple à prendre en main son destin. Le suffrage masculin étendu, la primauté du droit, l’appel à l’éducation et à la justice — tout convergeait vers une société républicaine avant l’heure.Même Napoléon Bonaparte y verra plus tard un modèle inspirant, écrivant : « M. de Paoli fit renaître au milieu de la Méditerranée les beaux jours de Sparte et d’Athènes. »  


Une redécouverte essentielle
 En redonnant vie à ce texte en 1976, c’est un pan entier de l’histoire corse qui était remis à la lumière. Et, peut-être plus encore : une occasion de relire avec fierté et lucidité l’héritage de Pasquale Paoli, père de la nation et précurseur d’un État de droit insulaire.
Trois cents ans après sa naissance, il fallait, peut-être, le rappeler : la Corse avait, dès le XVIIIe siècle, posé les fondations d’une République.