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Jean-Guy Talamoni : « Le défi, aujourd’hui, est de construire l’Europe de la Méditerranée »


Nicole Mari le Jeudi 28 Juin 2018 à 22:37

Dans son allocution d’ouverture de la session de l’Assemblée de Corse qui se tient les 28 et 29 juin à Ajaccio, le président Jean-Guy Talamoni, a, par le biais de l’affaire des migrants, évoquer l’Europe, ses limites, ses faiblesses et ses échecs. A côté de ce qu’elle n’est pas, il décrit ce qu’elle devrait être, sa vision de l’Europe et les défis à relever. Au premier rang desquels : l’axe Nord-Sud et la construction d’une véritable Europe de la Méditerranée où la Corse a un rôle essentiel à jouer.



Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni. Crédit photo M.L.
Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni. Crédit photo M.L.
Voici son discours :
 
« Je voudrais que nous ayons, tout d’abord, une pensée pour Manuel Cester, originaire du Niolu, ancien avocat et fonctionnaire de la Collectivité. Chacun ici le connaissait et avait de l’affection et de la sympathie pour lui. Qu’il repose en paix dans son village de Corscia.
La Corse a aussi perdu une voix, une belle voix à laquelle il suffit de penser pour qu’elle enflamme notre âme. Je veux parler de Toussaint Montera. Nous pensons à sa famille.
Enfin, je veux également saluer la mémoire de Mighele Raffaelli. Peintre, musicien et scénographe, ce grand artiste avait participé au Riacquistu. Pensons à tous les siens.
 
« A grotta scritta », à Olmeta di Capicorsu, est le seul lieu de Corse qui présente des peintures symboliques de la préhistoire avec des hommes à cheval.
Selon les spécialistes, 2000 ans avant Jésus Christ il n’y avait pas encore de chevaux sur l’île. Les gens se déplaçaient à pieds. Ainsi, nos artistes ont construit l’un des premiers lieux de mémoire euro-méditerranéenne. Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nos artistes ignoraient qu’ils bâtissaient les fondations de l’Europe. Fondations dont il sera question aujourd’hui et demain au Conseil de l’Europe sur le thème de la crise migratoire. On y parlera des frontières de l’Europe. Or, que nous apprend l’histoire d’a grotta scritta? Si nous convenons que « l’histoire est la géographie dans le temps », nous pouvons dire que « l’histoire de l’Europe est l’histoire de ses frontières ». Ce n’est bien entendu pas que cela. L’Europe c’est une idée, un ensemble de valeurs et de cultures à dire, à faire, à imaginer et la Corse, à son niveau, y participe.
 
Au-delà de la Pax Europaea
La création de l’Europe a permis d’alléger les frontières et de gommer les stigmates de la guerre auprès des jeunes générations. La construction de la paix entre les états était l’œuvre menée depuis 1945. Désormais, elle est acquise. Il s’agit maintenant d’entretenir cette mémoire et de porter un autre projet pour le XXIe siècle. Il s’agit d’aller au-delà de la Paix Européenne sans renier le passé et effacer ses identités. Marqués par la guerre, les dirigeants ont parfois voulu aller trop vite. Ainsi, les Etats ont fait l’Europe sans les peuples, sans les Européens, sans les rassurer sur ce qu’elle pouvait leur apporter à tous. Ils ont parfois opposé, sans délicatesse et sans mémoire, la rigueur des peuples du Nord et la prétendue légèreté de ceux du Sud. Ils ont fait l’Europe en se trompant sur les intentions des peuples de l’Est qui voulaient retrouver leur souveraineté, signe de liberté. Les Etats ont façonné l’Europe avec ses frontières mais aussi en inventant des normes absurdes, insultantes, non comprises. Parfois, on a ajouté un surplus d’Europe là où cela n’était pas nécessaire.
 
C’est ce que disent les populistes. Ceux qui se sont opposés à tout, année après année, et à l’idée même de l’Europe. Depuis le Brexit, craignant d’avoir à assumer de nouvelles fractures, de nouvelles désillusions pour ceux qu’ils prétendent défendre, ils se regroupent dans un « axe » agitant les peurs sans apporter de véritable solution. De nombreux Européens sont contre l’Europe parce souvent, alors qu’ils l’attendaient, elle n’est pas arrivée. Elle n’est pas arrivée en Catalogne le 1er octobre dernier quand les électeurs se sont déplacés pacifiquement pour voter comme l’avaient fait les Ecossais avant eux. Elle n’est pas arrivée pour protéger les travailleurs pauvres du dogme ultra-libéral de la libre circulation qui profite aux plus puissants et qui divise les plus faibles. Elle n’est pas arrivée pour protéger la santé des Européens et la qualité de notre agriculture dans l’affaire du Glyphosate. Elle n’est pas arrivée enfin sur la question des migrants quand elle a laissé la Grèce, et maintenant l’Italie, gérer une crise qui les dépasse et qui est une aubaine pour les populistes.
 
Pour avoir parfois trop attendu de l’Europe, certains Européens attendent désormais le retour des Etats-nations. Ils ne reviendront pas. L’histoire n’est pas un éternel recommencement. Entre le retour en arrière nostalgique et la fuite en avant des dirigeants qui s’affranchissent du suffrage universel et qui restent sourds aux besoins des peuples, nous voulons une autre Europe.
Nous voulons une autre Europe
 
Nous voulons une Europe de la culture et de l’éducation, riche de ses racines anciennes. Nous voulons une Europe des peuples solidaires et souverains, une Europe qui respecte l’expression démocratique et le principe de subsidiarité afin de se rapprocher des 500 millions de femmes et d’hommes qui la font vivre. Une Europe leader face aux chocs démographiques, écologiques et numériques que nous vivons. Une Europe de la coopération qui assure la sécurité des Européens face aux menaces terroristes et qui soit capable de redéfinir ses frontières sans chercher à élargir sans cesse son territoire.
Au XXe siècle, le grand défi fût la paix entre la France et l’Allemagne. Désormais, l’histoire nous demande de relever un autre défi. Il nous faut construire l’Europe de la Méditerranée en raison des relations nouvelles avec les pays du Sud. Réussir l’Europe c’est réussir la Méditerranée et qui pourrait penser que nous n’avons pas, nous autres Corses, un rôle à jouer dans cette mission complexe ?
 
Prenons nos responsabilités
La Corse doit prendre sa part de responsabilités.
C’est ce que nous avons fait avec la proposition de secourir un bateau en difficulté que personne ne voulait accueillir dans un port. Nous n’acceptions pas que la vie des passagers soit mise en danger par la fermeture des ports les plus proches, parmi lesquels les nôtres.
Quant à l’autre problématique, celle de l’accueil des migrants, l’unique position logique, humaine et raisonnable, forts à la fois de « l’éthique de conviction » et de « l’éthique responsabilité », est celle du Pape François et que nous faisons notre : une répartition équitable entre tous les pays européens.
La Corse possède certes des capacités d’accueil modestes. Pourtant, le 2 octobre 2015, notre Assemblée a voté, à l’unanimité, une délibération disant qu’elle était prête à prendre sa part, de manière organisée et en anticipant.
En décembre 2015, l’Etat français décidait d’ignorer ce vote et d’exclure la Corse du dispositif global. Le fait est que nous n’avons aucune structure dans l’île. Les seules solutions ont été apportées par des maires. Je voudrais saluer l’initiative du maire de Belgodere, Lionel Mortini, et de son conseil municipal qui ont réussi l’intégration d’une famille syrienne ».