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Jean-Félix Acquaviva : « Il faut arrêter de pratiquer la politique de l’autruche et dire que tout va bien ! »


Nicole Mari le Samedi 27 Février 2016 à 20:49

C’est à la majorité relative que le rapport sur les transports maritimes autorisant le lancement d’études sur les modalités de création de la compagnie régionale a été adopté, lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse, après des heures de tergiversations et un reliftage. La coalition de l’opposition, droite et gauche liguées contre le texte initial, mais dont une partie s’est finalement abstenue au moment du vote, a obligé l’Exécutif à revoir sa copie sans pour autant céder sur l’essentiel. Réaction, pour Corse Net Infos, de Jean-Félix Acquaviva, conseiller exécutif et président de l’Office des transports de la Corse (OTC).



Jean-Félix Acquaviva, conseiller exécutif et président de l’Office des transports de la Corse (OTC).
Jean-Félix Acquaviva, conseiller exécutif et président de l’Office des transports de la Corse (OTC).
- Quelle est votre réaction après le vote à l’arraché d’études sur la compagnie régionale ? Etes-vous déçu ?
- Absolument pas ! Je ne vois pas pourquoi je serais déçu qu’ait été voté un rapport qui met en place ce que nous avions convenu au départ, à savoir étudier des hypothèses qui permettent de créer une compagnie maritime publique. Nous avons bien compris la volonté politique de déstabilisation qui anime les anciens gestionnaires de l’Hôtel de région, notamment ceux qui ont été largement responsables, lors de la dernière mandature, de la situation actuelle de contentieux. Leur mauvaise élaboration du contrat de Délégation de service public (DSP) l’a totalement vicié dans sa mise en concurrence, selon la Commission européenne. Dans leur volonté de surseoir à la décision, ils ont, aussi, d’une certaine façon, été acteurs de la mauvaise reprise de la SNCM. Aussi est-il important, pour nous, de débuter, au plus vite, les études relatives à la création d’un outil maritime.
 
- Pourquoi y-a-t-il urgence ?
- Il y a urgence dans la mesure où le calendrier risque de s’accélérer. Nous savons que des risques économiques importants pèsent, aujourd’hui, sur les opérateurs, sur l’ex-SNCM, mais aussi, par le déclenchement éventuel du reversement des aides et des amendes, sur la CMN, ce que nous ne souhaitons pas !
 
- L’ex-président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, a dit, en session, que la question des amendes était réglée. Affirmez-vous le contraire ?
- Oui ! Il prétend qu’il y a une décision de la Commission européenne qui évite le recouvrement des amendes. C’est faux ! Lors des deux réunions que nous avons eues à Bruxelles, le 4 janvier et le 5 février, on nous a assuré du contraire concernant les amendes liées au contrat de DSP 2007-2013. Il y a bien une épée de Damoclès sur les fameux 220, devenus 250 millions €, mais aussi au niveau des plaintes contre le contrat de DSP 2013-2023. Il faut être sérieux ! Il faut arrêter de pratiquer la politique de l’autruche et dire que tout va bien, comme le fait une partie de l’hémicycle. Nous avons pris le parti de dire les choses, toutes les choses, y compris les contentieux.
 
- N’était-ce pas le cas avant ?
- Non ! C’est la première fois que les élus de l’Assemblée ont eu un compte-rendu précis sur l’ensemble des contentieux. Jusqu’à cette mandature, on nous disait : ce n’est pas sûr ! La Commission européenne dit des choses, se dédit… Les plaintes ont été transmises officiellement par Bruxelles à l’Etat. Il a fallu batailler pour les avoir. Une partie de l’hémicycle voudrait œuvrer pour le retard et la confusion. Subir nous a amené, à travers les crises successives, à une situation inextricable. C’est pourquoi la majorité veut avancer, être proactive. La seule manière de s’en sortir est d’avoir une politique claire et un cap ferme. Ce cap est maintenu par le rapport qui a été voté.
 
- Pour cela, vous avez été obligé de l’amender. Qu’avez-vous changé par rapport au texte initial ?
- Nous avons entendu un certain nombre d’observations contenues dans les amendements. Mais, dans le fond, rien n’est modifié. La Collectivité territoriale (CTC) va pouvoir agir immédiatement, avec l’ensemble des acteurs pour réaliser, dans les trois mois, une analyse sur un vrai projet d’entreprise. Elle va, également, se positionner pour faire valoir ses droits au niveau des actifs. Là aussi, il n’est pas exact de dire que le tribunal de commerce a déjà jugé que les navires ne sont pas des biens de retour. Ce n’est pas le cas ! C’est une contre-vérité ! Nous ferons tout pour récupérer ces biens d’actifs, les navires d’une part, mais aussi les 20 millions € de sous-charges carburants que détient toujours l’administrateur judiciaire de l’ex-SNCM et dont l’ancienne mandature a fait peu de cas. Il a fallu que nous réactivions la demande avant le délai du 4 mars.
 
- Pourquoi dites-vous que la MCM (ex-SNCM) est au bord de la faillite ?
- Je dis qu’elle est dans une situation économique préoccupante, connue de tous. Elle a des problèmes de trésorerie et de soutien bancaire. Cela a, d’ailleurs, été dit en creux par l’ancien président de l’Exécutif qui a été obligé de reconnaître que le tribunal avait évoqué le problème de la Caisse d’épargne. Dire le contraire, c’est masquer la vérité !  S’il y a eu un rapprochement entre les deux opérateurs (MCM et Corsica Marittima), c’est, outre la volonté d’apaisement, parce qu’il fallait, dès le mois de janvier, éviter la liquidation de la MCM. C’est un fait ! Le risque de dépôt de bilan plane. Nous ne le souhaitons pas. Avec ce rapport, nous envoyons un signe positif à tous les acteurs, y compris ceux de l’autre côté de la mer, pour leur démontrer que nous voulons conforter l’emploi par une alternative crédible et non par la reproduction de solutions de circonstances.
 
- C’est-à-dire ?
- On a construit des projets de reprise pour des raisons politiques ou marketing sans véracité économique. Je rappelle que les prêts bancaires et les avances de trésoreries prévues dans le projet de reprise du 20 novembre manquent toujours trois mois après. Il y a, donc, un défaut d’analyse, y compris du tribunal de commerce. Ceux qui persistent à démontrer que tout va bien ne veulent pas d’alternative pour des raisons purement politiques. Nous avons bien compris le message ! Refuser pour certains d’étudier des solutions, - il ne s’agissait pas de les voter - c’est faire preuve d’un aveuglement certain !
 
-  Cela vous-a-t-il surpris ?
- Non ! Cela prouve qu’ils sont mal à l’aise dans ce dossier. On les comprend, eu égard à leurs responsabilités écrasantes, surtout ceux au pouvoir lors de la précédente mandature. Ce qui s’est passé a conforté notre mobilisation et notre volonté. Il était hors de question que nous ajournions ce dossier. Le vote nous permet aujourd’hui de travailler.
 
- Vous avez du retirer du rapport une partie sur les DSP/OSP (Obligation de service public) qui a suscité une bronca. Avec quels effets ?
- Aucun ! Nous avons, peut-être, fait preuve de trop de transparence ! C’était une simple information sur le calendrier de travail concernant les DSP-OSP dans le cadre d’un débat technique, interprétatif, avec la Commission européenne avec qui nous avons négocié pour aboutir à une méthode de travail commune. Le rapport ne proposait pas un axe et ne choisissait pas une option. Il disait simplement qu’il fallait baliser le chemin vers les prochains contrats de DSP/OSP pour éviter de nouveaux contentieux. Il y en a déjà eu trop ! S’il y en avait eu moins, peut-être que la Commission européenne serait moins exigeante aujourd’hui ! D’où sa demande de tests marchés sur des OSP Bastia et Ajaccio entre mars et juin qui n’engagent en rien l’Exécutif. Ceux, qui y ont vu un choix, ont voulu orienter le débat pour créer des écrans de fumée. Nous avons retiré l’information qui fera l’objet d’une délibération en mars. Bruxelles a, également, validé le report au 1er avril 2017 de la mise en œuvre des futurs contrats.
 
- L’opposition, qui rassemble 27 voix sur 51, s’est coalisée contre la compagnie régionale publique. Comment espérez-vous réussir à faire adopter celle-ci ?
- Je crois que les positions sont loin d’être figées sur le fond. Certains ont des craintes, mais d’autres ont surtout des oppositions politiques. On ne peut pas demander l’ajournement d’un rapport portant uniquement sur des études sans manœuvre politique ! Nous savons qu’il y a, dans cet hémicycle, la capacité à comprendre un vrai projet d’entreprise sur un outil maritime qui solidifierait l’ensemble du paysage des opérateurs. Un projet bien dimensionné, regroupant des acteurs privés et publics, et maitrisé par la CTC, pour sortir d’une situation instable et chaotique et instaurer une stabilité. Il sera de notre devoir de le démontrer.
 
- On vous accuse de vouloir créer un monopole. Que répondez-vous ?
- Il ne s’agit pas de créer un monopole, mais d’optimiser les retombées pour la Corse. Il y aura, effectivement, un transfert du siège social et une localisation des emplois en Corse. C’est la moindre des choses pour une collectivité qui a, de par son statut, la compétence de gestion des systèmes d’organisation de ses transports et de l’enveloppe de la continuité territoriale. Ce que n’a pas, par exemple, la Sardaigne qui nous l’envie et qui a, pourtant, le pouvoir de faire des lois régionales. Nous appliquons à la lettre ce que la loi nous permet de faire, alors qu’avant, c’étaient des lobbies externes qui élaboraient des contrats sur-mesure pour eux, donc des contrats viciés. Ils jouaient de l’enveloppe de continuité comme d’une rente non contestable.
 
- Ne craignez-vous pas que les postures politiques, que vous dénoncez, ne bloquent le processus ?
- Chacun prendra ses responsabilités. Nous avons décidé de clarifier le jeu, comme aucune mandature précédente ne l’avait fait et certainement pas la dernière ! Nous faisons acte de d’objectivité, de sincérité et de lucidité dans l’analyse de la situation, comme dans le projet de création de la compagnie régionale. Nous avons discuté avec les opérateurs qui ont compris notre message. La CMN a signé un protocole d’accord pour participer à la réflexion. Nous sommes également, après négociations, parvenus à un accord sur la baisse de l’enveloppe du contrat de subdélégation. Nous nous adresserons aux Corses, qui savent bien ce qui se passe, pour leur expliquer que ce projet est le moyen de sauvegarder les transports de marchandises et de passagers et de sécuriser notre économie. Nous ne désespérons pas que, dans l’hémicycle, des élus responsables comprennent, aussi, que ce n’est pas un positionnement idéologique, mais une issue raisonnable.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.