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Comment la classe politique corse se prépare à la possible adoption d'une loi anti-Airbnb


le Lundi 4 Décembre 2023 à 18:17

La semaine dernière, les élus de l'Assemblée nationale ont évoqué, en commission, le contenu d'une proposition de loi transpartisane, qui vise à durcir les règles de location des meublés de tourisme sur les plates-formes de type Airbnb. Qu'est-ce que ça peut changer pour la Corse, territoire fortement impacté par le phénomène ?



Photo Paule Santoni
Photo Paule Santoni
"La Corse est la pointe du bateau sur la crise du logement." Cette phrase n'a pas été prononcée par un profane. Elle émane d'un député qui a travaillé des mois durant sur la question : Inaki Echaniz. Élu dans les Pyrénées-Atlantiques, ce député socialiste est le co-rapporteur, avec Annaïg Lemeur (Renaissance), de la proposition de loi sur la régulation des meublés de tourisme, qui a été débattue mardi dernier en commission des Affaires économiques à l'Assemblée nationale. Et c'est à cette occasion que le député basque a fait ce constat particulièrement évocateur de la problématique du logement dans l'île.

Sa proposition de loi vise "à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue" en France, en soumettant un certain nombre de propositions. Fiscalement, les loueurs de meublés touristiques bénéficient actuellement d'un abattement de 71 % sur les loyers perçus, contre 50 % pour les meublés classiques et à peine 30 % pour les locations classiques vides à l'année. Si cette proposition de loi vient à être adoptée, l'abattement serait aligné à 40 %, quelle que soit la catégorie.

Parmi les autres mesures proposées, signalons l'obligation faite à un loueur de déclarer un meublé de tourisme en mairie. Et dans les copropriétés, la possibilité de refuser en assemblée générale la transformation d'un bien en meublé de tourisme, si le vote n'atteint pas la majorité des deux tiers (jusqu'à maintenant, c'est l'unanimité qui est requise). 

Un amendement de Jean-Félix Acquaviva

Surtout, il y aurait la possibilité pour les maires de délimiter dans les règlements d'urbanisme des secteurs dans lesquels la construction de résidences secondaires serait purement et simplement interdite. "Dans ce cadre, nous avons obtenu en parallèle que le Padduc (le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse) puisse définir des critères pour délimiter de telles zones dédiées à la résidence principale, selon le dispositif propre au Padduc des espaces stratégiques", a annoncé Jean-Félix Acquaviva, qui a déposé un amendement en ce sens durant la commission.  "La Corse a effectivement besoin d’outils adaptés à la réalité de son territoire, en accord avec la différenciation et la décentralisation", a validé Inaki Ichaniz, tout en reprenant à son compte l'amendement de Jean-Félix Acquaviva.

Ce dernier a rappelé à ses collègues députés qu'en Corse, "on n'a pas de problème de construction de logement neuf. Le problème porte plutôt sur la destination de ces logements." En effet, sur l'île, selon l'Insee, il y avait 96 790 résidences secondaires en 2020, sur un total d'environ 250 000 logements, ce qui représente un taux de 38 %.  En vingt ans, le nombre de résidences secondaires a grossi d'un bon tiers, puisqu'il était, en 1999, de 60 607. Mais tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Dans le bassin de vie de Porto-Vecchio, l'Insee dénombre 14 713 résidences secondaires en 2020 (contre 6 658 en 1999). Un bond du simple au double qui s'opère aussi en Balagne.

Jean-Félix Acquaviva a justifié les raisons qui l'ont conduit à déposer cet amendement : "En Corse, nous comptons 58 % de communes sans PLU (plan local d'urbanisme), soit quatre fois plus que la moyenne nationale. Pourtant, le taux d’artificialisation au RNU (le règlement national d'urbanisme, qui s'applique en l'absence de PLU) est supérieur à n’importe quelle commune au RNU de France continentale."

Pendant ce temps-là à l'Assemblée de Corse...

Ce travail du député Acquaviva a trouvé un écho trois jours plus tard sur les bancs de l'Assemblée de Corse. Vendredi, les conseillers territoriaux ont eu en effet à attribuer à la Chambre des territoires de la Corse la mission de lutter contre l'artificialisation des sols. Et ce conformément à la loi Climat et Résilience, dans sa volonté d'atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) à l'horizon 2050. L'objectif étant, en parallèle, de rendre le Padduc compatible avec cette loi. C'aurait pu n'être qu'une formalité, "mais on voit bien que le sujet passionne", a constaté la présidente de l'Assemblée, Marie-Antoinette Maupertuis, au terme d'une heure et demie de débat.

En sa qualité de président de l'agence d'urbanisme de la Corse, Julien Paolini a posé le cadre de ce débat : "Le zéro artificialisation nette (ZAN) vise à la réduction de l'artificialisation des sols. Pour le dire plus simplement : à la bétonisation.  En Corse, on a artificialisé environ 2 000 hectares entre 2010 et 2020. Si demain on choisissait un premier taux de réduction de 50 %, on ne pourrait plus artificialiser que 1 000 hectares jusqu'à 2030." Ce taux - qui pourra être différent d'un territoire à un autre, selon les spécificité de chacun - la Collectivité de Corse devra en réalité le définir en même temps qu'elle révisera le Padduc. 

"Une petite musique" qui "irrite"

Le problème, pour Jean-Christophe Angelini et d'autres voix issues de l'opposition, vient précisément du fait que le Padduc n'a toujours pas été révisé, alors que l'échéance court au 22 novembre 2024. "Or, tout ceci induit une enquête publique, fait remarquer le leader du groupe Avanzemu. C'est huit ou neuf mois... Comment peut-on, avec le retard qu'on a pris, et compte tenu des contraintes auxquelles on est soumis, tenir ce délai ? Vous allez dans quelques mois revenir devant nous en disant : on est trop court et on va reporter. Sauf que, à un moment, on ne pourra plus le faire. Et on restera confrontés aux mêmes difficultés."

Celui qui est aussi maire de Porto-Vecchio, où 63 % des logements sont des résidences secondaires, se dit surtout "irrité" par "une petite musique" qui dirait : "A Porto-Vecchio, vous comprenez, on sait pourquoi ils veulent réviser le Padduc. Ils ont consommé 219 hectares en dix ans, l'heure n'est pas à la sobriété..."

L'édile porto-vecchiais confirme la véracité de de cette consommation, qui a débouché sur la construction de "85 % de résidences secondaires" entre 2010 et 2020. Mais celui qui a été élu maire...en juillet 2020 affiche sa volonté de rééquilibrer "à 50-50" le parc des résidences principales et secondaires à Porto-Vecchio. "Or, en ne révisant pas le Padduc, vous m'empêchez de le faire", a-t-il reproché à l'exécutif.

Pour Nadine Nivaggioni, "la réalité, c'est que dans les grandes zones du littoral, et pas seulement dans l'extrême-sud, les logements sont ouverts deux mois dans l'année. On ne peut pas y loger les nôtres mais on continue à construire ! Et pourquoi on continue à donner les permis ?", interroge l'élu de Fà Populu Inseme, tout en défendant la majorité à laquelle elle appartient sur le Padduc : "On va peut-être au rythme de la tortue, c'est possible, mais aujourd'hui, le Padduc n'est pas en cause. Ce qui est cause, ce sont nos documents d'urbanisme qui sont au RNU. Et Jean-Félix Acquaviva, de par ses amendements, incite à l'élaboration de documents d'urbanisme."

La proposition de loi des députés Lemeur et Echaniz, ainsi amendée par Jean-Félix Acquaviva "réservera des zones dédiées à la résidence principale" si elle est adoptée, souligne Julien Paolini qui espère pouvoir intégrer cette disposition dans le Padduc. La proposition de loi doit être examinée au printemps par les députés de l'Assemblée nationale.